03/02/2022

MICHEL HENRICOT une interview par Irénée Sikora

 PEINTURE - L'interview avec Michel Henricot                              


L'élément fondamental de la peinture 
est d'essence abyssale. 

C'est un univers par excellence archaïque 
parce que descendant vers des strates très profondes 
de l'identité humaine originelle.



Une interview de Michel Henricot 
par Irénée Sikora
FlorRaison, Novembre 2013




Une rive.

Les humains la connaissent
parce que les humains vivent à sa surface, 
du moins leur semble-t-il de la connaître.

Sur cette rive
il y a un endroit fort singulier, très concret, à la fois paisible et intense,
chargé d'une énergie phénoménale de la Mémoire.

C'est un vortex.

J'y suis entré pour redécouvrir que Michel Henricot est bien là en chair et en os,
dans sa maison à Paris, prêt à notre rendez-vous dont la trace sonore aura été 
enregistrée sur un support numérique et plus tard retranscrite 
et affichée dans FlorRaison sur internet.

Le temps de cet après-midi est brumeux, nuageux, maussade.
C'est la grisaille qui laisse à peine suggérer qu'un soleil brille quelque part
au-dessus de nos préoccupations quotidiennes.
Quelque chose me chuchote qu'une éclaircie n'est déjà plus improbable
et qu'un rayon d'enchantement inconnu s'apprête à se manifester.

Comme convenu, me voilà donc à la table du salon, juste en face de mon hôte.
C'est un grand ami. Il y a avec nous Harm Kuijers, un artiste hollandais
qui se met à faire un portrait de Michel pendant cette interview.
 


 

Bonjour Michel.
Bonjour. 

Qui es-tu ? 

Ah ! .............. Celui qui je suis. 

Es-tu un peintre ? 

Excellente question. Si on me désigne comme peintre, je regarde toujours derrière moi pour voir à qui on s'adresse, parce que cette étiquette est limitative en tout cas pour celui qui je suis. Mais bon, pour simplifier notre quotidien et dans ce quotidien pour rendre notre dialogue plus intelligible, disons que je suis peintre. 

D'où viens-tu ? 

De loin. Juste regarde les murs de cet endroit et tu ressentiras peut-être ... un des multiples reflets qui réussissent à parvenir jusqu'ici depuis l'origine de celui qui je suis. 

[Je regarde tout autour les tableaux dont Michel Henricot est l'auteur] 



~ 1 ~
UN APPEL

L'univers qui émane de toi et au travers duquel tu t'exprimes est l'art. C'est manifestement la peinture qui donne corps à ta véritable dimension et en celle-ci à ta vibration essentielle. Pourquoi en est-il ainsi ? Que représente la peinture pour toi ? 

Eh bien ... voilà une question à laquelle je n'ai même pas réfléchi. Je ne suis pas du tout intellectuel sur ce point-là. Je peins depuis mon enfance. Force sera de constater que je ne suis pas allé vers la peinture, parce que c'est la peinture qui est venue à moi et c'est elle qui m'accompagne. Un jour je me suis dépassé, c'est-à-dire qu'à l'âge où les autres enfants s'arrêtent, j'ai continué. 

Quoi qu'il en soit, l'acte de peindre étendu dans le temps et allant bien au-delà de son résultat, représente dans mon entendement une chose aussi forte, aussi puissante que ... que le fait de manger, de rêver plus profondément qu'un rêve puisse le faire ou ... bien sûr de respirer. Oui, en quelque sorte c'est une démarche métaphysique du moment où on regarde tous les tableaux, sauf que le terme 'métaphysique' reste à mes yeux un peu flou. À l'origine, pour être plus précis, c'est comme une obligation. 

~ 2 ~
ENCADREMENT

Tu habites Paris. Souvent au mois d'août par exemple, lorsque la majorité des parisiens partent en vacances, Michel Henricot travaille chez lui, dans son atelier. Comment trouves-tu la vie dans cette ville ? L'aimes-tu ?  

Oui, j'aime Paris parce que j'ai l'avantage de vivre à contre-courant de toute la population, c'est-à-dire de sentir la pulsation de cette ville quand les gens sont au travail, de rester chez moi quand eux, ils sortent. Donc j'ai en somme Paris à moi tout seul et je ne m'ennuie pas ! C'est un univers regorgeant de vitalité et d'innombrables richesses. Il y a tellement de lieux, d'événements, d'expositions, de choses à voir que j'aurais du mal à vivre ailleurs. Je peux passer du temps à la campagne avec plaisir, j'en ai aussi besoin, mais il faut ... il faut que je revienne chez moi. 

Justement, y a-t-il des endroits à Paris que tu aimes particulièrement ? 

Oh oui. Depuis mon enfance il y en a toujours eu. Quand j'étais enfant, tous les jeudis ou presque (le jeudi était le jour des congés des écoles), on pouvait me repérer au Muséum d'Histoire Naturelle parce que là-bas j'avais la possibilité de me retrouver face à des animaux préhistoriques qui étaient devenus mes amis. Certains étaient bien évidemment plus impressionnants que les autres. Parmi ceux-là, il y avait un ... un allosaure. Je l'aimais beaucoup. On était devenus de véritables amis malgré son sourire préoccupant. Hélas, je n'ai pas pu le ramener à la maison. Voilà, ce fut un endroit que je fréquentais assidûment. Étant donné qu'il fallait payer pour entrer et que je n'avais pas d'argent, alors j'avais fait un chemin au-dessus des grilles. C'est-à-dire qu'il fallait passer au-dessus sur un mur très étroit et assez haut surplombant la fosse aux ours. 

La fosse aux ours ! 
Mais oui ! je crois avoir entendu que ces ours étaient terriblement féroces. Ils auraient pu manger une jambe de quelqu'un ou quelqu'un tout entier, qu'en sais-je, en tout cas ces ours étaient censés être des plus féroces. Toujours est-il que je suis là. Je ne suis jamais tombé dans cette fosse. 

Alors c'est comme ça que tu entrais ... 

... oui, c'est comme ça que j'entrais dans ce muséum sans payer.


~ 3 ~
LANGAGES MUSICAUX

Tu aimes aussi la musique. Tu joues du piano pratiquement tous les jours. Est-il important de jouer régulièrement ? 

Oui, tout à fait. Je le fais par plaisir et puis, l'âge venant, on est toujours un peu inquiet de ses facultés intellectuelles. Par exemple, si j'ai à apprendre une fugue de Bach à trois voix, ce qui pour ma petite tête est déjà bien compliqué [rire], je vérifie presque tous les jours si je suis à même de mener à bien ces trois voix. C'est pour moi un moyen de voir où j'en suis avec mon degré de sénilité ! 

Ça fait longtemps que tu joues du piano ? 

Oui. Ma mère était professeur de piano et mes premières leçons commencèrent quand j'avais une dizaine d'années. Donc j'ai travaillé à peu près jusqu'à seize ans. À un moment j'avais arrêté parce que l'on avait plus de piano. Et puis ......... j'ai recommencé à jouer du piano vers cinquante ans. Là, j'ai repris les leçons avec un assez grand professeur et voilà, je joue ... 

Quels sont tes compositeurs préférés ? 

Enfant, j'étais baigné dans la musique parce que ma mère jouait les sonates de Mozart, celles de Beetoven, les valses de Chopin, tout ça ... J'aimais beaucoup toute cette musique ... mais un jour, miraculeusement vers quatorze ans, à la radio, j'ai entendu Le tombeau de Couperain de Maurice Ravel. Et ça, ç'a été vraiment comme une illumination, comme un éclair. Je me suis dit "mais ... la musique, ça peut être ça aussi !" À cet instant j'ai connu une sorte d'éveil brusque. J'étais bouleversé. À cet instant j'ai décidé de réapprendre le piano pour pouvoir un jour jouer cette musique. Bon, après j'ai découvert Stravinsky, Rachmaninov et Bartók que j'adore vraiment. Plus tard j'en ai découvert quelques autres tels György Ligeti ou John Cage. Mais mon compositeur préféré est Ravel. 

Que tu joues aussi ... 

Oui, ce qui est à ma portée techniquement parlant, parce que c'est une musique assez difficile. Par exemple lorsque je déchiffre une partition de ce compositeur, j'ai à chaque fois l'impression d'ouvrir un coffre. Dedans, je trouve des quartz, des gemmes, des pierres précieuses, des cristaux, des corps stellaires qui renvoient des lueurs d'émerveillement. Les harmonies de Ravel sont pour moi extraordinairement riches, stimulant mon mieux-être et mon imagination à chaque fois de manière unique. Elles sont vraiment exceptionnelles. C'est une essence de laquelle je ne saurais me passer.

Ainsi, nous nous retrouvons sur les ondes de la musique classique. Lorsque tu es en train de peindre, qu'est-ce que tu écoutes ? Ne privilégies-tu pas de ci et de là un espace de silence ? 

Ça dépend. Quand je commence un tableau, il y a silence. Là, je n'ai besoin de rien. Mais une fois que le tableau est lancé et que je vois où aller, alors là, j'écoute de la musique. 

Principalement de la musique classique ou pas forcément ? 

En principe c'est le cas. J'aime aussi le jazz, mais pas pour travailler. J'aime d'ailleurs être plongé dans des ambiances musicales de pénombre, plutôt mystérieuses où une lumière crue ne se laisse pas révéler facilement. Une fois devant le chevalet, il m'arrive quelquefois d'écouter des musiques de film. Dans ce chapitre, Jerry Goldsmith ou John Williams sont mes compositeurs favoris. 

Bernard Herrmann ? 

Ah oui, bien sûr. Toute sa suite pour instruments à cordes conçue et réalisée pour "Psycho" est un chef d'oeuvre. Sans cette musique, le plus grand film de Hitchcock n'aurait jamais été ce qu'il est. 

Et Nino Rota ? 

On dira que tu lis dans mes pensées ! C'est un des plus talentueux compositeurs de musique de film que Fellini adorait. Rien qu'à écouter ce qu'il a fait pour "Casanova" suffit pour s'en convaincre. 

Que diras-tu à propos de l'univers sonore de la Nature ? y es-tu sensible ? 

Le vent, la mer, les oiseaux ... tout parle, tout chante. J'ai un disque que j'aime écouter de temps en temps. L'orchestre n'est personne d'autre qu'une grande forêt vierge quelque part en Pologne. 

Je crois deviner qu'il s'agit de la forêt de Bialowieza, je me trompe ? 

Oui, c'est ça. Un cadeau de toi. Un disque merveilleux. 

Cette forêt est la plus ancienne sur le continent européen. Il semble que certaines de ses parties les plus inaccessibles sont restées intactes depuis le Moyen-Âge. En tout cas j'aimerais bien y croire. 


~ 4 ~
RYTHME

Michel, peux-tu nous dire comment se déroule ta semaine professionnelle habituelle ? on imagine que tu as des heures fixes, un rythme, une discipline ...    

Oui, je suis absolument comme un bureaucrate. 

C'est-à-dire ? 

C'est-à-dire que j'ai des horaires très précises. Je travaille tous les jours. Si je ne travaille pas, que je passe ma journée à des futilités (ce qui peut arriver), le lendemain je sais que je le paierai par une abominablement mauvaise humeur. Donc j'essaie de ne pas me lever tard. Je travaille le matin, je m'arrête juste pour manger, pour aller remonter la machine et je travaille à peu près jusqu'à cinq heures. Mais ce n'est même pas une question d'envie. Il y a des jours où je n'ai pas envie de descendre dans l'atelier. Je sais toutefois qu'en se mettant devant le chevalet et en faisant le geste approprié, on attire les choses. Tant que l'on reste passif et que l'on ne fait rien, tout simplement rien ne vient. 

C'est juste ce que tu dis. Il y a une énergie spécifique qui s'instaure ... 

Bien sûr. En faisant le geste approprié, même si l'on n'a pas tellement envie d'aller de l'avant, au bout d'un quart d'heure ou de vingt minutes immanquablement il arrive quelque chose. On ne fait pas nécessairement un chef-d'oeuvre, mais il se passe quelque chose et on avance. 

La semaine dans l'atelier s'étend alors du lundi au vendredi. 

Non. Elle s'étend sur toute la semaine sans distinction du lundi au dimanche ! 


~ 5 ~
 
BALISES

Le foyer de Michel Henricot est ... unique. Y règne une ambiance d'un autre temps, d'un temps rempli d'objets dont chacun recèle une signification profonde que notre mental n'arrive pas toujours à cerner.  Comment te retrouves-tu chez toi ? Comment pourrais-tu définir le lien entre celui qui tu es et les objets qui décorent et de ce fait font partie intime de ta maison ? 

Je ne choisis jamais les objets pour leur côté décoratif. Leur fonction esthétique m'échappe complètement. Les objets qui m'entourent sont pour moi des repères magiques. Non, je n'ai pas le culte de l'objet joli pour lui-même. Ce genre de connexion ne m'intéresse pas. Il faut qu'un objet dégage quelque chose qui me touche, autrement dit qui communique un message que pour le moins mon subconscient saura sonder. Après tout, il n'y a pas que les objets qui composent notre monde. Je ne me considère pas comme collectionneur. Cela n'empêche en rien que je ne sois sensible à ce qui constitue à mes yeux la puissance intégrale d'un objet, cette force qui traduit la fusion entre ses dimensions extérieure et intérieure. Mais je ne cherche pas à analyser coûte que coûte, je ne cours pas après les explications. Tiens Irénée, ce vase par exemple. On peut y voir une sorte de ... diable ... ou des serpents si l'on veut, qu'en sais-je [rire] ...

  
Dans ton univers, dans ta maison, tout objet se trouve à sa juste place. Y règne un ordre exemplaire ... 

Oui, pour moi il est vital que les objets soient placés, disposés comme je le veux. Je ne suis pas maniaque, mais le désordre me fatigue, pompe mon énergie. 

Tu tiens un caillou dans ta main. Il te vient d'où ? 

C'est un petit galet qui vient de la Corse. Je l'ai ciré tu sais, pour qu'il reste brillant. Il a aussi une mémoire. 

Prenons à titre d'exemple cet objet imposant sur le piano, on dirait un fragment de squelette d'un animal. Qu'est-ce que c'est ?    

C'est une vertèbre de cachalot. 

De cachalot ! 

Oui, elle m'a été ramenée par un médecin qui vit en Afrique du Sud. C'est quelqu'un qui aime beaucoup ma peinture et qui sait que j'aime ce genre de choses. Un jour il est arrivé droit de Johannesburg avec une énorme valise ... J'ai été intrigué, très étonné. Il m'a dit : "Michel, j'ai quelque chose pour vous", sur quoi il a ouvert son bagage et en a sorti ça, voilà. 

Ça devait être lourd. 

Et comment ! terriblement lourd ! pour transporter une chose pareille, tu imagines ! Il y avait sa femme à ses côtés, car ramener cette merveille jusqu'à chez moi ne pouvait se faire qu'à quatre bras ! Un cadeau somptueux. D'ailleurs à chaque fois qu'ils viennent à Paris, ils me rendent visite et à chaque fois ils m'apportent quelque chose. Et à chaque fois l'objet qu'ils apportent est de plus en plus volumineux [rire] ... Je finirai par accueillir, je ne sais pas, un éléphant ? ou un mammouth ? 

Oui, ce serait génial, je suis sûr qu'il y aurait de la place ! [rire]

Là, ce crâne bleu indigo en matière transparente sur le piano, que représente-t-il pour toi ? 

Eh bien, il dénote un lien avec les personnages que je peins et qui sont comme des entités semi-éthériques, des émanations, transparents eux-mêmes, comme des radiographies. Rien que pour cette raison j'aimais beaucoup ce crâne. Oui, il représente pour moi quelque chose de mystérieux. 

Y aurait-il dans ta maison un autre objet singulièrement parlant pour toi ? 

Oui, il y a la calotte crânienne d'un Tibétain d'il y a au moins trois siècles. Elle est vraiment belle. L'os est merveilleusement poli, l'intérieur est fait de métal. Les chamans s'en servaient pour faire des libations, pour boire des potions qui leur donnaient des visions ... Cela m'a été offert par Leonor Fini qui l'avait eu aussi de quelqu'un. Mais comme elle était superstitieuse et qu'elle ne voulait pas de cet objet chez elle, un jour elle m'a dit au téléphone : "Michel, viens chercher ce crâne. Je n'en veux pas. Il faut que tu ailles le jeter dans la Seine". J'étais horrifié. D'abord j'étais allé le voir ... Leonor me l'a tendu sur une planche parce qu'elle ne voulait pas le toucher. Elle a redit : "Jette-le dans la Seine". Quelle idée folle ! Je l'ai bien évidemment gardé, sauvé de la noyade. Et puisque je l'ai sauvé, il m'est bénéfique, cela va de soi. 

Nous sommes en train de discuter de choses physiques qui t'entourent. Ce n'est bien sûr qu'un point de départ à partir duquel je prends la liberté de te proposer d'entrer dans ta peinture. Eh bien, il t'arrive parfois, plutôt rarement, de peindre uniquement un objet, par exemple une chaise. Pourquoi ? 

Ce genre de thème est pour moi d'un intérêt marginal. J'avais peint de vieilles chaises suédoises dont la forme m'avait séduit. En effet, j'ai réalisé le tableau que tu mentionnes, sur commande. Un ancien marchand est passé, a vu ces chaises, elles lui plaisaient, Dieu sait pourquoi, et m'a commandé un grand tableau dont nous parlons. Finalement il a changé d'avis et ne l'a pas acheté. Par suite de quoi, afin de me venger, j'ai ajouté une tête de mort en pensant que c'était lui. Elle se trouve donc sur une de ces chaises [rire].


~ 6 ~

UNE FAUNE

Ta maison est emplie de singularités. Il y a donc aussi des insectes comme ce scarabée, des scorpions sous verre et quelques spécimens de magnifiques coléoptères, en bref des carapaces ayant un temps abrité des corps souples en mouvement. D'où te vient une telle fascination pour ces animaux ? 


Tout d'abord parce que ce sont des animaux qui connaissent et subissent d'extraordinaires transformations. Leur existence physique est initiée sous une apparence de chrysalide molle, délicate, fragile et extrêmement vulnérable. Progressivement, ils se fortifient et deviennent comme des armures moyenâgeuses. Ils sont dotés d'une intelligence qui s'affirme à des niveaux à la fois particulièrement profonds et étonnamment spectaculaires, d'une intelligence qui le plus souvent échappe aux codes de l'entendement humain. Et même si aux yeux de certains d'entre nous les humains, ces animaux prennent un aspect assez redoutable, ils font partie de notre univers. Mais bon, on peut toujours penser que si un hanneton avait la taille d'une vache, ce serait terrifiant. [rire] 

Tu aimes les serpents ?    

Oui, j'en ai eu ... quatre. Un boa et trois pythons ! J'aime les serpents. Je trouve que le serpent est un animal très fort. Il est pour moi comme un médiateur entre les morts et les vivants. C'est un animal qui se réchauffe au soleil, qui est appelé par lui, et à la fois qui peut descendre très profondément dans la terre et rester vivre assez longtemps dans des souterrains, des grottes et des caves pour ensuite remonter se réchauffer. Il me semble que cet animal est une sorte de téléphone rendant possible une communication entre deux mondes. 

Ainsi, tu étais devenu ami avec les serpents que tu hébergeais ... 

Oui. Évidemment les serpents qui habitaient avec moi n'étaient pas venimeux.
Les pythons et les boas ne sont pas d'une taille inquiétante.
 


Il y avait en tout cas un contact. 

Oui, il y avait un contact. Les serpents viennent volontiers sur les humains chercher de la chaleur. Ce n'est pas tellement par affection ou par amitié. Cela dit, je pense que de tout humain émane une certaine qualité d'énergie calorique que les serpents savent reconnaître. Cette qualité est fonction de qui l'on est. Je pense qu'il ne s'agit pas uniquement de mesurer la température. 


Si quelqu'un a par exemple très peur ou qu'il s'avère violent à l'égard des animaux en général, soit le serpent ne viendra pas, soit il viendra transmettre son message adéquat que tel humain est un intrus. Quand je peignais, mon python se plaisait à venir sur mon épaule, il adorait ça. De temps en temps il filait en un clin d'oeil sous ma chemise. Quand à l'époque je travaillais dans un grand atelier avec un autre artiste, parmi les trois serpents qui nous honoraient de leur présence, il y en avait un - toujours le même - qui allait à chaque fois vers lui et jamais sur moi. Je taquinais alors mon ami en lui disant que c'est à l'évidence à cause de son odeur d'humain aux cheveux roux !   

Dis-moi, et les iguanes ? 

Ah ! quels êtres merveilleux ! De surcroît, ils sont très intelligents. J'en avais un. On peut avoir des rapports avec cet animal tout comme avec un chat ou un chien. Il venait manger dans ma main, mais pas seulement. Il cherchait la compagnie. C'était un animal très social et tout simplement adorable. Une fois sur mes épaules, je pouvais sortir avec lui dans la rue, mais pas forcément tout le monde aimait ça ... [rire] Lorsque les iguanes sont mécontents, ils secouent la tête violemment comme ça, donc de bas en haut et vite pour annoncer :"Attention, je vais te voler dans les plumes !". J'avais un miroir jusqu'au sol dans ma chambre et lorsque mon iguane s'y voyait, il se croyait menacé par un concurrent, un adversaire de son espèce. Il devenait alors tout rouge, prêt à l'assaut. Il était capable de se menacer comme ça pendant des heures. Il devenait fou. J'ai dû par la suite enlever ce foutu miroir, autrement mon iguane se serait tué à cause de son reflet.   

Tu l'as eu longtemps ? 

Pendant à peu près quatorze ans. Au début il était petit et à la fin il avait pas loin d'un mètre. Il était d'un vert phosphorescent avec des yeux jaune orange. Il était extraordinaire. 

Je ne puis m'empêcher de te demander si tu préfères les chiens ou les chats ?   

Au début je préférais les chats et puis, un peu par accident j'avais hérité d'un chien de qui j'étais devenu absolument fou. C'était un bouledogue français que j'adorais, qui avait l'air d'une grande chauve-souris et qui était merveilleux. Sauf que le drame avec ces animaux, c'est qu'ils ne vivent hélas pas longtemps. Nous les humains, on s'attache à eux. Quand mon chien est mort, j'ai connu un si grand chagrin que j'ai pris la résolution de ne plus avoir aucun animal. J'étais vraiment trop triste. Je l'étais à tel point que j'arrivais à voir son petit fantôme traverser la pièce ... 

Comment il s'appelait ? 


Kali
[silence prolongé] 


Dans tes oeuvres, un des thèmes que tu explores de temps à autre est justement le chien. Qui est-il ? 


Il est une présence intense et cela depuis la plus haute antiquité. Le chien est une sentinelle, un gardien du seuil. Le cerbère est quand même un chien le plus célèbre de l'histoire ! 

Michel, malgré ta préférence pour les chiens, il y a longtemps j'ai constaté que tu es habité aussi d'un respect singulier envers les chats. Tu te souviens de Munia, la noble chatte que je t'avais laissée en pension deux ou trois fois lorsque je devais m'absenter de Paris ?   

Et comment ! J'avais l'impression que par rapport à une multitude de chats, elle passait bien plus de temps à se lécher, à se laver, à faire sa toilette. Elle a toujours été très élégante, vêtue de partout de ses poils noirs soyeux et d'un détail qui lui allait à merveille tout en rehaussant sa noblesse innée, à savoir un jabot fait de ses propres autres poils blancs sur mesure. 

Oui. Quand j'habitais dans l'Aveyron, elle avait participé à pratiquement toutes mes répétitions. Elle se plaisait à écouter du Mozart ... 

... et à regarder chez moi des émissions sur les tigres, les lions, les panthères et tout ça. 

Je n'oublierai pas ce fait divers que tu m'as relaté de sa plongée dans ta baignoire. Elle était probablement très excitée Dieu sait pour quelle raison, elle avait donc sauté de son propre gré dans cette baignoire remplie à ce moment-là d'eau chaude émoussée d'un gel de bain de luxe fort efficace et relaxant juste avant que tu n'y sois entré. Et elle nagea ! Tu l'en as sortie magistralement dégoulinante jusqu'au dernier poil comme il se doit dans pareille circonstance, l'as essorée dans ta serviette de service et l'as rassurée que tout allait pour le mieux. Une expérience des plus mémorables ! Sauf que La Munia, on ne saura probablement jamais pour quelle autre raison, avait pris l'air d'altesse outrée sans modération. 

Oui, au final elle a été effectivement fâchée à outrance ! Munia était un véritable personnage, ah ça oui ! 

À ma connaissance, jusqu'ici aucun chat ne trouve son portrait dans tes oeuvres. Pourquoi ? 

Pourquoi ? Eh bien, je ne sais pas vraiment. Je trouve le chat d'une beauté inconditionnelle, mais à mes yeux, même si on peut en trouver des représentations fort mystérieuses dans l'art égyptien, cet animal n'a pas la force ni du chien, ni du cheval, ni du serpent, ni du scarabée au point de vu symbolique et mythologique. 

Peut-être que, dotée d'une intelligence différemment aiguisée qui échappe à notre entendement, la gent féline a su garder avec efficacité et pour cause certains de ses plus grands secrets ? 

C'est probable ... Je m'en suis toutefois servi un peu pour réaliser quelques tableaux que j'ai appelés "Les Sphynx". Pour ce faire, je suis parti de squelettes de chats ... Il y a peut-être une raison à cela ... [silence prolongé] ... Comme tu sais, j'étais très ami avec Leonor Fini qui avait, elle, vingt quatre chats. 

Ça alors ! Je dois avouer que tu es aussi télépathe ... tu es sur le point de lire dans ma pensée. Je réalise à cet instant que le thème de chat nous permet (comme si de rien n'était), de passer du règne animal au monde des humains dans lequel nous retrouvons donc Leonor Fini. C'était une protectrice des chats ! 

Oui, elle avait ses vingt quatre chats les uns plus beaux que les autres. Or, sachant quand même tout mon amour des squelettes et d'êtres dénudés de leur peau qui pouvaient témoigner d'une anatomie animale, humaine, hybride ou autre, Leonor m'a terrorisé en me disant : "Ne va pas t'aviser de peindre un chat !". Alors quoi faire ? Me laisser arracher un oeil ? ou ne pas m'aviser de peindre un chat ? J'ai choisi la seconde option. 

Je vois, cela aurait été insensé de courir un tel risque. 

C'était un grand risque. En tout cas, j'aurais pu subir une scène épouvantable. 


 ~ 7 ~
DES YEUX OUVERTS

Si tu y consens, nous allons parler de Leonor tout à l'heure.

Juste avant, je vais suggérer de nous entretenir d'autres bipèdes humains. T'arrive-t-il d'en produire un portrait ?   

Très sporadiquement, il m'est arrivé d'en faire par plaisir ou sur commande, mais ce genre de production, pour être honnête, ne m'intéresse pas. Si j'y ai recours, c'est par un concours de circonstances exceptionnel. Tu sais Irénée, l'essence de mon essence d'artiste m'incite à redonner corps à des archétypes sans nom. Ce sont des êtres par excellence anonymes. 

Une fois, tu as réalisé un portrait de Juliette Gréco. Peux-tu nous révéler les circonstances dans lesquelles cela s'est fait ? 

Ah ! Ce portrait, je l'ai fait il y a fort longtemps parce que le visage de Gréco me magnétisait. D'ailleurs j'adore toujours son visage qui recèle quelque chose d'intemporel. Quand elle incarnait une autre jeunesse d'un temps révolu seulement en apparence, elle ressemblait vraiment à une déesse égyptienne avec ses pommettes très hautes et ses yeux d'un regard à la fois mystérieusement arrogant et stellairement lointain. C'était une femme très belle ... et elle l'est toujours, différemment bien sûr, mais non moins intensément ! 

Donc j'étais allé voir une pièce de théâtre à Paris dans laquelle Juliette Gréco jouait. Tu imagines facilement la trouille que j'avais quand après le spectacle, un désir indomptable m'avaient pris d'aller la voir. Je tremblais tout entier, mais bon, c'était plus fort que moi. J'ai frappé à la porte de sa loge et lui ai demandé si elle me permettait de prendre quelques croquis d'elle. Et ... elle a été adorable avec moi en me disant "Oui, pendant que je me maquille, vous pouvez travailler". Alors dans la semaine je suis allé là et j'ai fait son portrait en deux ou trois soirées. En définitive oui, j'aimais bien ce portrait. Juliette Gréco l'a aussi apprécié et sur le revers a mis toute une littérature en me remerciant d'avoir réalisé ce que j'ai réalisé. 

C'était l'époque où j'organisais ma première exposition dans une galerie. Le portrait de Juliette Gréco, je l'avais mis dans la vitrine en demandant au marchand de ne pas le vendre parce que tout simplement je tenais à le garder pour moi. Mais inopinément avait tout à coup surgi une circonstance fâcheuse pour la suite de cette histoire. J'avais eu le malheur de devoir partir pendant trois jours. Quand j'étais rentré à Paris, il s'est avéré que ce salaud de marchand venait de vendre le portrait. Il l'avait vendu à un académicien qui, à un moment en passant par là, était tombé faible devant ce portrait et donc qui l'avait acquis.

À cette époque je ne pensais pas à noter les coordonnées des gens qui achetaient mes tableaux. L'académicien en question n'était pas quelqu'un de connu. Je crois qu'il faisait des livres de géographie et d'histoire. Entre-temps il a dû mourir trois fois ... [rire].   

Ah bon ? Enfin, décidément tout est possible !   

Oui, cela arrive. Tout peut arriver. Quelqu'un qui aimait ce portrait m'a dit qu'il l'a vu aux enchères. Tu sais, les tableaux finissent souvent comme ça à la suite de toutes sortes de faillites, de saisies, de mésaventures, de querelles entre les héritiers, qu'en sais-je. En tout cas, pour ce qui est du portrait de Juliette Gréco que j'ai fait, malheureusement non, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il est devenu.   

Ainsi, tes portraits auront eu les yeux ouverts. 

Ah oui, cela va de soi ! Il y a quand même quelqu'un qui m'a demandé une fois de lui faire son portrait quand il a les yeux fermés. 


~ 8 ~
DES YEUX OUVERTS DIFFÉREMMENT

Michel, dans tes oeuvres, les visages d'entités humaines - appelons-les comme ça, car ce ne seront pas des portraits faits sur commande - témoignent d'un leitmotiv visuel frappant qui est précisément celui des paupières closes. Quelles en seraient les raisons ? 


Cette question n'est pas simple pour moi. Eh bien, [silence prolongé] tous ces personnages existent dans leur vie intérieure, dans leur univers, dans leur sphère de conscience qui vibre sur une autre fréquence que celle sur laquelle nous percevons notre réalité. L'exercice de cette intimité, son mode d'emploi en quelque sorte m'échappe inévitablement. En conséquence, ces êtres vivent dans un monde qui n'est pas nôtre. Voilà. Ce serait pour moi terriblement anachronique que de me forcer dans mes tableaux à peindre un personnage avec les yeux ouverts. Il me semble que le sens d'un tel résultat en serait totalement faussé. 

Décideras-tu un jour de nous montrer un regard ? 

Ça, je ne le sais pas. Je ne peux en décider. [silence prolongé] L'évolution des personnages dans la peinture s'avère indépendante de la volonté du peintre que je suis. C'est peut-être étrange ce que je dis, mais c'est ainsi. Au départ, mes personnages étaient couchés, courbés, souvent recroquevillés. Ils n'avaient pas de bras, pas de jambes par exemple. C'étaient plutôt des troncs ... avec juste une tête. Tels étaient au moins les corps humanoïdes que je peignais quand j'étais très jeune. 

Je crois qu'au fur et à mesure que j'ai évolué et que je me suis construit, les personnages se sont construits en même temps. Les jambes ont poussé, puis les bras ... et tous ces êtres à un moment donné se sont levés, se sont mis debout. Tout ça pour dire que non, je ne peux pas décider quand je leur ouvrirai les yeux. J'ignore aujourd'hui si cela jamais se produira. Cela va indubitablement avec mon évolution psychique. Moi aussi, je voyage. [silence prolongé] 

Toutefois, je suis certain d'une évidence : tous ces personnages sont en train de regarder quelque chose et VOIENT. À quoi bon alors leur ouvrir les yeux ? Tellement d'individus autour de nous regardent ce bas monde sans voir ce qui s'y passe ! 


 ~ 9 ~

TECHNIQUE

Voici maintenant une même question que j'avais posée dans le contexte d'une autre interview à Harm Kuijers, notre ami silencieux, graveur et dessinateur ici présent [Harm sourit] qui est en train de faire ton portrait : quand on te demande des détails sur la technique, que réponds-tu ? Est-ce que savoir à quelle technique tu as recours, aide véritablement quelqu'un à saisir ce que tel ou tel tableau dont tu es l'auteur, recèle comme message ? 


Le plus souvent, les gens qui aiment les tableaux ne demandent pas ça. Ils doivent probablement pressentir que le fait de les instruire sur la technique employée ne les aidera pas du tout à comprendre mieux ce qui émane de l'oeuvre qu'ils sont en train de contempler, ne les aidera pas à s'y projeter, à plonger dedans et à fusionner avec. Ce genre d'information a d'autres applications et est fort utile ailleurs (par exemple je peux en discuter avec un collègue), mais ne sert pas inéluctablement de support à quiconque éprouve un véritable amour pour la peinture et pour l'art en général. 

Je tiens néanmoins à souligner que dans mon travail, je suis très attentif à une technique qui dure, c'est-à-dire que je m'emploie à ce que le tableau ne s'écroule pas au bout de cinquante ans, comme c'est si souvent le cas un peu partout.

Je viens de lire avec stupéfaction dans un journal, que les tableaux d'un peintre américain qui a connu sa gloire dans les années cinquante, étaient déjà en train de se désagréger. La critique a été virulente à ce propos et ce que cette critique a dit m'a fait rire un peu. Il s'avère que pendant la restauration d'un de ces tableaux, en-dessous d'une couche, on a trouvé une mouche ... engluée dans la peinture. On a donc soigneusement enlevé cette mouche et on l'a conservée pieusement. Bon. Face à un tel article, je trouve que nous avons là sous les yeux l'exemple d'une bouffonnerie consommée de l'art contemporain. 

Dans le chapitre des formats, quelles sont tes préférences ? 

J'aime beaucoup au même titre les formats carrés et les formats tout en longueur. Ces derniers auront été utilisés pour des vues panoramiques genre cinémascope. J'ai cependant aussi recours à des formats très petits qu'on peut considérer comme miniatures. J'ai peint énormément de tout petits tableaux. Je les fais en attendant que le grand format sèche.

Ce qui est crucial pour moi, c'est que mon épaule puisse se trouver au centre d'un compas imaginaire et se mouvoir adéquatement, parce que fatiguer mon corps par des postures inconfortables qui durent un temps n'est pas bon pour ma santé. Alors si le format est trop grand et qu'en conséquence je dois me hisser sur mes orteils, sautiller ou exécuter toute une séries de contorsions, je dis stop, ce n'est pas pour moi. [rires] Tu vois Irénée, il faut que la rotule ici soit le centre du compas. [Michel montre le geste] D'ailleurs les trop grands formats sont encombrants pour mon atelier qui est d'un volume modéré et puis, tout simplement je n'en ai pas envie. 

Est-ce qu'il t'arrive de travailler à la lumière électrique ? 

J'essaie d'éviter ça. Je travaille quasi exclusivement à la lumière du jour. De toute façon, dans le processus de la création d'un tableau on ne peut pas passer d'une lumière à une autre, parce que les couleurs ne sont pas les mêmes, je crois que tout le monde le sait.  

Et si jamais on te demande en combien de temps tu as fait un tableau, quelle est ta réponse alors ? 


Les gens qui aiment l'art ne demandent pas ça non plus. Ce genre de précisions ne sert à rien. Bien sûr, chaque jour je descends dans mon atelier à telle heure et je le quitte à telle autre, donc il y a un cadre temporel que je m'impose, parce qu'il est important pour moi qu'un rythme rigoureux soit établi et soutenu. Cependant, une fois immergé dans la peinture, tout bascule à tous les niveaux. Quand je peins - et je sais que tu peux me comprendre, parce que tu connais ce même phénomène - je change de fréquence ou disons de registre à l'intérieur duquel mon être tout entier fonctionne. Ce n'est pas seulement psychique, c'est aussi biologique. Cela signifie que le temps emprunte une autre piste et s'étend différemment. Les comparaisons sont donc inutiles et les conclusions qui puissent en résulter sont totalement à côté de la plaque. 

Je suis d'accord avec toi, je n'aime pas personnellement ce genre de question. 

Ce caillou que tu tiens dans ta main est d'un noir très beau.

Il y en avait plein comme ça dans le Cap corse.



~ 10 ~
UNE ÎLE

La Corse ... pendant combien d'années tu étais allé à Nonza ?    


Ah, Nonza .................. J'y suis allé pendant une vingtaine d'années. 

Tu étais en compagnie de qui ? 

Tout d'abord en compagnie de Leonor Fini. Elle louait là-bas un monastère du XII-ème siècle bâti à pic au-dessus de la mer sur une falaise. Ah, quelle vue ! quel endroit ! quelle atmosphère ! quelle époque ! ... Il y avait aussi surtout Stanislao Lepri et Constantin Jelenski. Et puis des personnalités de passage et des amis qui occasionnellement nous rendaient visite en principe sur invitation de Leonor. Parmi ceux-là je vais mentionner Marx Ernst ou Jan Lebenstein ... sur le coup il m'est difficile de les énumérer, il y avait vraiment tellement de soirées et de monde parfois ... 

Oui ... toutes ces personnalités composant à cet endroit précis un microcosme d'âmes parfaitement hors du commun au centre duquel scintillait celle de Leonor, le travail qui s'y accomplissait, les événements que vous orchestriez pour vous-mêmes et vos amis de passage, bien sûr l'ambiance qui y régnait, tout cela devait vous inciter à laisser des traces ... Existe-t-il un ou des documents de ce temps ? des photos ? un film ? 

Oui. J'ai plein de photos. C'était un monde qui tout naturellement nous incitait à en produire et à en préserver quelques traces. Il sera peu-être intéressant de savoir que même si dans notre monastère à Nonza nous n'étions que cinq ou six, Leonor adorait par exemple se changer, se déguiser, se travestir, se faire des coiffures insolites plus étranges les unes que les autres. Cela était évident qu'en notre compagnie, surtout en notre compagnie, elle pouvait se permettre d'être telle qu'elle était. En effet, elle adorait nous laisser entrevoir au moins quelques-unes d'entre les prodigieusement nombreuses facettes se sa personnalité.

C'était comme un spectacle. La vie en Corse de ce temps-là, ÉTAIT un spectacle, une aventure extraordinaire stimulant nos cinq sens et notre imagination, une véritable fête. Il n'y avait pas d'électricité là-bas. Les toilettes étaient à l'extérieur. On prenait notre douche sous un jet d'eau glacée qui se déversait de la falaise. Nous ne pouvions rester devant nos chevalets que de jour, n'ayant à notre disposition que la lumière du jour. Et puis, tous les repas du soir s'éclairaient obligatoirement à la chandelle. Dans un décor pareil, comment ne pas succomber à la tentation de produire un document ? 

Donc voilà, j'ai fait un film là-bas. Dans ce document, Leonor porte, comme d'ailleurs ç'a été le plus souvent le cas, des vêtements très inventifs, somptueux ! Une fois, ils étaient faits de branches, d'une sorte de lianes aussi, de brindilles et de feuilles ... Et donc tous les ans je faisais des séquences d'un film ... d'un film que j'ai. Il a été fait avec une petite caméra d'amateur. À l'époque on n'avait pas ces merveilleux appareils numériques ... voilà. Leonor l'aimait bien et m'a suggéré de le monter. Plus tard, à chaque fois qu'on lui demandait des films sur elle, elle ne voulait au final montrer que celui-là. Elle a même réussi à en vendre une copie à la télévision japonaise. 

Tu filmais toi-même alors ? 

Oui, mais je ne l'ai pas monté seul, car en ce temps-là, Frédéric Mitterrand qui était l'ami de Leonor, avait un studio à Paris. Il me l'avait prêté pour deux après-midi. En l'occurrence, il m'avait remis aux bons soins d'un ingénieur du son et d'un monteur. C'est ainsi que j'ai pu parachever ce petit film. 


 ~ 11 ~
VISITES ET COMPAGNIES

En Corse, tu as en définitive rencontré et côtoyé d'éminents artistes. Veux-tu en citer quelques-uns ? 


Comme j'ai dit Max Ernst ... aussi Enrico Colombotto Rosso, Ernst Fuchs, Fabrizio Clerici .. 

Fabrizio Clerici ... comment était-il ? Lui aussi un jour a été inspiré par l'Égypte ... As-tu retenu quelque chose de lui ? 

Oui. C'était d'abord un homme étonnamment cultivé, un véritable puits de science.  Il avait aussi une certaine dose d'humour qui le rendait assez facilement abordable. Pour être honnête, je n'ai jamais aimé énormément sa peinture. Cela ne m'empêchait pas d'apprécier sa personnalité. Il était drôle, tu sais ... Oui, j'aimais par exemple les thèmes qu'il agitait, mais sa peinture, ce qui émane de celle-ci, je ne la ressentais ... je ne la ressens pas vraiment. Le problème, c'est qu'il était architecte. Ce fait pourrait à la rigueur nous aider à mieux saisir la portée de ses oeuvres. C'est peut-être une des raisons qui puisse suggérer en tout cas pour moi, pourquoi il y a tant de froideur dans ce qu'il a créé. Pour être plus précis, c'est la texture dans ses tableaux qui ne me plaisait pas. C'est comme si ses tableaux, bien qu'à chaque fois ayant une toile comme support, étaient faits sur une tôle, c'est-à-dire sans cette chaleur, sans cette souplesse que la toile nous procure de par sa nature. 

Michel, que pourrais-tu dire au sujet de l'écrivain Constantin Jelenski ? 


C'était un des êtres les plus merveilleux que j'aie jamais eu l'opportunité de rencontrer. Au point de vue de l'intelligence, de la sensibilité et de l'art de se disposer à l'écoute d'autrui, Jelenski n'avait pas son pareil. Face à lui, on avait l'impression d'être plus intelligent, plus sensible, plus épanoui que l'on ne s'y croyait. On était bien en sa présence, dans la sphère d'énergie qui irradiait de lui. Oui, sa compagnie a toujours été très bénéfique. Et en plus, il avait une perception des gens extraordinairement aiguisée. On ne pouvait pas lui mentir. C'était impossible. Personne ne le pouvait. Leonor non plus. Ce n'est pas que je sois un menteur, pas du tout, mais on a peut-être trop souvent des petites choses à édulcorer, à fléchir et au bout du compte à cacher. 

Jelenski avait une aura unique en son genre ... 

Une aura unique tout court ! Il m'a beaucoup aidé dans ma peinture, surtout au tout début. Il m'indiquait des pistes, suggérait des directions dans lesquelles j'étais libre de me rendre, à mainte reprise confiait ses encouragements dans le contexte de ce que j'entreprenais. 

C'est juste une impression ... tu mentionnes un peu plus souvent Jan Lebenstein. A-t-il joué un rôle plus particulier dans ta vie d'artiste ? Quelle était sa personnalité ? 

Je l'admirais beaucoup. C'était un être inquiétant. Il avait une personnalité vraiment pas facile. 

C'est-à-dire ? 

C'était un alcoolique terrible, capable de subir des crises atroces. Quand il plongeait dans ses états d'ivresse profonds, il était infréquentable. Jelenski qui était très ami avec lui, le recueillait souvent et s'occupait de lui. À un moment donné j'aimais la peinture de Lebenstein, parce qu'il a su donner matière à des éléments en quelque sorte préhistoriques, enfouis en-dessous du niveau de la terre. Il a peint toute une série de ces tableaux. Pour la plupart, c'étaient des grands formats. Je trouve que cet artiste mérite une plus grande attention. On ne parle pas assez de lui et pourtant c'était un très grand peintre.    

Et Stanislao Lepri ? Parle de lui s'il te plaît. Témoignait-il d'une prestance ? d'une noblesse d'esprit ? 

Et comment ! Il avait cette attitude princière non pas acquise mais innée. C'était un aristocrate. 

Tu t'entendais bien avec lui ? 

À merveille ! Je l'aimais beaucoup, Stanislao. J'étais fasciné par la façon dont il peignait. Il était capable de commencer une toile par exemple dans un coin en bas à gauche et par la suite monter ... monter comme ça ... et puis miraculeusement le tableau apparaissait ... un peu comme les polaroïds. En général à ce stade les peintres esquissent les lignes, mais Lepri agissait différemment. Une autre réalité montait sous ses doigts comme quelque chose de médiumnique. Il avait pleins de tableaux dans sa tête et dès qu'il se mettait devant son chevalet, sa main se comportait comme ça. C'était fascinant !  

Alors tu l'as vu à l'oeuvre ... 

... mais oui, parce qu'en Corse, principalement tous les après-midi, on peignait ensemble dans une grande salle qui était l'ancien réfectoire des moines. On composait donc un trio : moi, j'étais dans le fond, à droite il y avait Leonor et à gauche il y avait Stanislao ... C'était drôle, parce que nous avions le même rythme de travail. C'est-à-dire quand on commençait un tableau (à peu près d'une même taille), on le finissait en même temps. 

Très intéressant. 

Il y avait peu ou prou un même temps de travail pour chacun, disons à un ou deux jours près. 

Vous étiez dans une espèce de symbiose, de réciprocité, de synergie ... 

Je pense que oui. C'était peut-être pour cette raison que l'on s'entendait si bien. Là-bas, l'ambiance a toujours été extrêmement amicale. 

Et donc ç'a été comme ça tous les jours ? 

Oui, le matin le plus souvent on allait se baigner, tandis que l'après-midi on travaillait. 


 ~ 12 ~
LEONOR FINI

Tous ces personnages parmi lesquels figure aussi Michel Henricot composent une constellation au centre de laquelle brille un astre connu aujourd'hui mondialement sous le nom Leonor Fini. Une femme. Elle a su, avec un succès foudroyant, inscrire ses messages dans les annales de l'Art Universel. C'était un être à maints égards étonnant. Michel, comment voyais-tu Leonor Fini pendant tous ces étés passés en sa compagnie en Corse ? 


Elle était par moments aussi dangereuse qu'un cobra !   

Ouh là ! 

Mais comme tu sais, j'aime les serpents. On marchait toujours un peu sur des oeufs avec elle, parce qu'elle était ombrageuse et très susceptible. À la fois, c'était au monde la personne avec laquelle j'ai le plus ri. Elle pouvait avoir des fous rires extraordinaires et sans pareille. Oui, elle était parfaitement capable de composer avec cette drôlerie qui faisait partie de sa nature. Son humour était noir, mais enfin un tel humour est le meilleur, bien évidemment. Donc voilà, j'ai beaucoup ri et j'ai eu beaucoup peur avec elle. 

Elle était disposée à écouter les autres ? 

Ah ça oui, tout à fait. 

Elle devait parler quelques langues ? 

Bien sûr. Elle en parlait cinq je crois, l'italien ayant été sa langue maternelle. Son français était exquis, elle le parlait avec un accent inimitable, propre à elle seule. Son R roulé dans le mot 'rododendron' est resté mémorable à mes oreilles. Sa voix était belle, c'est-à-dire grave, en tout cas assez basse. Souvent au téléphone, les interlocuteurs se méprenaient en pensant qu'ils s'adressaient à un homme. Une fois le combiné décroché et la formule 'Oui j'écoute' énoncée, elle était prête à entendre "Bonjour Monsieur" ! Elle parlait l'anglais plutôt avec difficulté, en revanche elle était très à l'aise dans l'allemand qu'elle maîtrisait parfaitement et dans l'espagnol. Et comme Leonor est née à Trieste, il est probable qu'elle ait été sensible aux affinités linguistiques slovènes et peut-être croates, mais je ne saurais affirmer ce détail avec certitude. Ce qui est quasi certain pour moi, c'est que de sa région natale, elle a dû hériter d'un goût pour les influences culinaires de toutes ces cultures qui s'y côtoyaient et sans doute s'imprégnaient, se mélangeaient les unes aux autres.  

Comment avait évolué ton amitié avec Leonor Fini ? 

Au départ, ce n'est pas moi qui étais allé vers elle. C'est elle, Leonor, qui était venue vers moi. En disant ça, j'ai peut-être l'air présomptueux, ce à quoi je ne tiens pas, mais au départ, ç'a été comme ça. J'avais vingt ans à l'époque. Il y avait un de ses amis qui était passé quand je faisais une exposition. Il lui avait dit par la suite "Tu devrais aller voir ce jeune peintre et ce qu'il fait". Donc elle était passée voir l'exposition. À ce moment je n'étais pas là. Leonor avait laissé un mot : "C'est intéressant ce que vous faites, téléphonez-moi". J'étais très content. 

Je ne serais jamais allé la voir, même si je l'admirais beaucoup. C'est que ... aller tirer sur la sonnette des gens célèbres, c'est quelque chose que je sais pas faire. En ce temps il y avait à Paris un restaurant russe qui s'appelait 'Dominique' où avaient régulièrement lieu des vernissages de décorateurs de théâtre. C'était l'époque à laquelle Leonor avait fait beaucoup de costumes et de décors de théâtre. Eh bien, elle m'avait donné rendez-vous là-bas À MINUIT.

  
Ça alors ! 

Oui ! Donc j'y suis allé. J'avais eu une idée bizarre : m'habiller en pasteur, ce que j'ai fait. C'est-à-dire j'étais habillé tout en noir avec un petit col blanc. Et c'était tellement crédible que sur le trottoir, un passant m'avait salué en me demandant "Bonsoir mon père, sauriez-vous où est la rue Machin Chose ?", mais ne le sachant pas, je lui avais donné ma bénédiction et suis parti ...

[rires] ... et je suis arrivé. Leonor m'avait regardé d'un air un peu étonné. Je l'ai regardée aussi d'un air un peu étonné, car elle était magnifique, habillée tout en noir avec une voilette et tout ça. Elle m'a entraîné au bar en me disant "Est-ce que vous aimez les 'choux bliks' ?" [?!] [rires] J'ai dit "Oui Madame". Je n'avais strictement aucune idée ce que c'était. C'était de la viande crue inévitablement russe avec je ne sais quoi. Bon, au bout d'un moment, elle m'avait abandonné ... 

Qui t'avait abandonné ? La viande inévitablement russe ou Leonor ? 

Leonor. Je devais paraître pétrifié comme c'est pas permis, ce qui était bien le cas, donc elle est partie voir d'autres gens célèbres qui d'ailleurs remplissaient à ce moment ce restaurant. Leonor s'imposait de manière vraiment unique. Cela ne voulait pas dire que l'on devenait amis vite, que l'on devenait amis nécessairement. J'ai compris dès le début qu'avec elle, entrer dans l'amitié était un acte de patience étendu au ralenti dans le temps. Au départ, elle disait "Téléphonez-moi dans un mois", "Venez me voir à telle date", puis elle se décommandait ou reportait les entrevues ... Ça a duré comme ça pendant presque deux premières années de notre connaissance. Avec le temps, petit à petit, on s'est vus à des moments moins espacés. En tout cas, il y avait une progression, on s'apprivoisait. Bien évidemment je ne pouvais pas la tutoyer. Le temps passant, les choses devenaient un peu plus faciles ... 

Et un jour elle t'a invité en Corse. 

Et une fois elle m'a invité en Corse ... pour très peu de temps, pour quatre ou cinq jours. Elle était méfiante au commencement. Et puis, comme je passais brillamment mon examen de cette fois première au monastère de Nonza, l'année d'après, Leonor m'avait invité à y passer beaucoup plus de temps en sa compagnie. Et depuis notre amitié s'est fortifiée.


 ~ 13 ~

LEONOR ET SES AFFINITÉS

Elle était une amie avec d'autres artistes célèbres qui n'ont pas encore été mentionnés dans notre conversation. Je pense notamment à Federico Fellini, María Félix, Alida Valli, Salvador Dalí, Anna Magnani ... Les as-tu rencontrés ?  


Oui, la très belle Alida Valli ou la superbe star mexicaine María Félix. Pour moi, ces femmes étaient d'une beauté incomparable et vraiment extraordinaire. En ce qui concerne Dalí, oui, je l'ai rencontré une ou deux fois chez Leonor. On était surpris, parce qu'il n'avait pas du tout été arrogant comme on pouvait le voir dans certaines émissions ... C'était quelqu'un d'un peu plus silencieux. Là, il était d'un âge déjà bien avancé, pas très bien portant. On avait donc vu un Monsieur arriver avec une canne, un peu fatigué ... voilà. La seule excentricité qu'il avait faite, c'était au cours du dîner. Il y avait une quinzaine de convives. Dalí avait sa place d'honneur au bout de la table juste aux côtés de Leonor et de Jelenski. J'étais à l'autre bout, donc loin ... On servait les huîtres. À un moment donné on a entendu une voix lamentable "Je ne veux pas manger de bêtes qui n'ont pas de visage". [rire] Mais enfin, le pauvre homme n'en avait pas envie ! Il avait quand même le droit de le dire !

Je présume que cela n'empêcha pas la société de manger les huîtres. 

Eh bien, étant donné que Leonor a dit "Emportez-les !", et que j'adore les huîtres, j'avais filé derrière la porte de la cuisine pour en manger quelques-unes. Elles étaient de choix, délicieuses ! 

Et Anna Magnani ? Je crois que Leonor et Anna étaient très amies.   

Oui oui, elles étaient très amies. Je me souviens lorsque Leonor m'avait proposé de passer la voir chez elle dans son appartement à Paris. C'était en somme la deuxième fois qu'elle m'invitait chez elle. Elle m'avait dit "Venez Michel, il y aura une amie à qui je vais vous présenter". 

Alors ... j'y vais, je sonne, la porte s'ouvre et qui vois-je ... ? Anna Magnani ! C'était pour moi tellement inattendu ... je tremblais. Je me disais "Mais ce n'est qu'un rêve ! Ça doit être la bonne qui ressemble à Anna Magnani". [rire] Eh bien, c'était bien elle en personne. Donc ... on mange à trois, (j'ai l'appétit totalement coupé, penses-tu) et soudain Leonor renchérit "Venez avec nous Michel, on va au cinéma". Bon. Je suis hors d'état de dire oui ou non, j'obéis, on y va tous les trois. On débarque sur une salle de cinéma des Camps-Élysées. On s'installe donc : Leonor à droite, Anna Magnani à gauche et moi au milieu. Essaie de me comprendre Irénée, je suis mort comme un poulet irrémé...diablement trop cuit [rire] ! 

Et le film ? 

Mais je ne m'en souviens pas du tout ! 

C'était un film dans lequel elle jouait ? 

Non non, pas du tout. J'essaie de me le rappeler ce que c'était ... attends ... non, je ne sais plus. J'étais dans un état second. 


 ~ 14 ~
JELENSKI ET SES SOIRÉES

Tu as connu Roman Polański. C'était en Corse ? 


Non, c'était à Paris. Kot, c'est-à-dire Constantin Jelenski, avait l'habitude d'organiser une soirée polonaise dans son appartement parisien à peu près une fois tous les deux mois. Lors de ces soirées il y avait donc des personnalités très connues comme Jan Lebenstein, Andrzej Wajda ou Roman Polanski. Il m'avait demandé de venir. J'y suis allé. Le problème, c'est que les stocks de bouteilles de vodka s'y vidaient à une vitesse incroyable. C'étaient des soirées arrosées vraiment sans modération. [fous rires]   

Oui, les Polonais savent étonner le monde ... On a quand même des qualités ! 

Oh que oui ! Cela dit, je ne crache pas du tout sur l'alcool, non. Mais c'est quand même insensé ce que ces gens peuvent boire ... tout en continuant de mener une conversation parfaitement mondaine et souvent très intéressante. Les LITRES de vodka coulaient à flots et disparaissaient. C'est quand même insensé tout ça ! Dans ce contexte j'étais enfant de choeur.  

[fou rire] Est-ce que tu aimes les films de Polański ? Lequel parmi ceux-la serait ton oeuvre de prédilection ? 

Oui, j'aime un des premiers qu'il a faits, c'est-à-dire "Répulsion" avec Catherine Deneuve. J'aime beaucoup ce film. Il est très étrange. J'aime aussi celui qui a été réalisé en Pologne si je ne me trompe et qui est je crois son tout premier film de long métrage dans sa carrière de metteur en scène. Il s'agit de ... attends ... 

"Le couteau dans l'eau". 

Oui, c'est ça. Et puis peut-être aussi "Le Locataire" qu'il dirige et dans lequel en même temps il joue de manière tout à fait convaincante avec Isabelle Adjani. 

Il y a eu aussi Czesław Miłosz, un Prix Nobel de Littérature, tu l'as accueilli en Corse je crois. 


Oui, je l'ai connu en Corse. Leonor et Jelenski qui à ce moment n'étaient pas là, m'avaient demandé de l'accueillir. J'étais un peu épouvanté, car je n'avais rien lu de ce Monsieur ... peut-on lire tout dans une vie ? il faut faire des choix ...   

Son séjour s'était-il bien passé ? 

Mais oui ! À peine a-t-il eu compris que dans notre groupe personne n'avait rien lu de lui, il a dit : "Ça tombe très bien, on ne va pas parler de littérature.[rire] On lui avait fait un très bon dîner. J'avais l'impression que Milosz s'était très bien reposé chez nous en Corse. Il y était venu en compagnie d'une dame. Il avait une énergie féroce, parce qu'une fois il s'est mis en tenu d'Adam et s'est jeté dans l'eau. Le monastère comme j'ai dit se trouve juste au bord de la mer ... et donc il a pris le grand large et a nagé pendant très très longtemps. On l'a vu disparaître à l'horizon. À un moment donné, on était tous inquiets, mais il est revenu. 


~ 15 ~
AU-DELÀ DU RHIN ET DE L'ATLANTIQUE

Le pays d'Outre-Rhin n'est pas le seul à reconnaître en toi un des plus grands artistes de notre temps, je pèse mes mots. C'est néanmoins bien là que se trouve une partie non négligeable de tes oeuvres. Le philosophe Wolfgang Sauré, le professeur Rudolf Kober ou Gerd Lindner qui est le directeur du Panorama Museum à Bad Frankenhausen dans les collections duquel figurent aussi tes tableaux, t'ont connu ou te connaissent personnellement. C'est par exemple grâce à eux que nous avons sous les yeux un très beau catalogue "Michel Henricot - Terra Incognita". Veux-tu dire quelque chose au sujet de ces personnes ? 


Wolfgang Sauré était un écrivain et un critique d'art qui a vécu à Paris pendant quelques longues années. On s'était rencontrés il y a fort longtemps. Il aimait beaucoup ma peinture. Il suffira peut-être de lire un des articles qu'il a écrits à mon sujet pour avoir une idée comment il voyait mes tableaux. Un jour il avait disparu, on s'était perdus de vue. Et puis, il y a peut-être une quinzaine d'années de cela, il était venu en compagnie d'un très riche marchand de tableaux que Sauré avait convaincu de me faire une exposition et un livre en Allemagne. Ça m'est vraiment tombé du ciel. Psychologiquement, ce marchand n'était pas facile d'accès, mais Wolfgang Sauré faisait le lien entre nous.   

En définitive, on a réussi à exposer une série conséquente de mes tableaux dans une belle galerie à Munich. Il y a eu donc aussi un livre que je n'aime pas particulièrement, à cause de la médiocre qualité des reproductions. Par la suite, Wofgang Sauré m'a fait rencontrer Rudolf Kober, un professeur et un collaborateur très proche de Gerd Lindner. Je crois que c'était en partie sur les conseils de Monsieur Kober qui savait parler très bien de la peinture, que le Panorama Museum à Frankenhausen en Allemagne a acheté toute une collection de mes tableaux. Bien évidemment Gerd Lindner, le directeur du musée en question a dû avoir son dernier mot dans ces acquisitions. Monsieur Lindner était assez souvent venu ici chez moi, pratiquement à chaque fois en compagnie du professeur Kober. Ce que je peux affirmer sans parti pris, c'est que ces deux hommes ont toujours été très enthousiastes pour ma peinture. J'ai rarement vu des gens enthousiastes à ce point. À chaque fois je leur faisais un dîner et nous discutions de l'art. Dans ton rôle d'interprète, tu t'en souviens bien. 

Oui, ces quelques soirées sont restés pour moi singulièrement inoubliables. 

Wolfgang Sauré a été pour moi comme une bonne fée. Hélas il n'est plus là de ce monde. 

Et les pays d'Outre-Atlantique ? y as-tu exposé tes oeuvres ? 

J'ai fait une exposition à New York. Ça n'a pas été un succès du tout, parce que la galerie n'était pas bonne, elle n'était pas faite pour ma peinture. Je n'aurais pas dû y être exposé. Non, je n'en garde pas un bon souvenir. Cela dit, il y a eu quand même des ventes et des reventes, donc quelque part, cela a été utile. Les personnes qui là-bas avaient acheté mes tableaux, sont plus tard venues chez moi à Paris pour acheter d'autres tableaux. Parmi ces gens il y a donc ce couple qui m'a ramené le fameux os de cachalot. 

Sur le coup, cela n'avait pas été un succès, mais c'en est un sur d'autres plans. 

Après tout oui, c'en est un.


 ~ 16 ~
PUISSANCES ET FASCINATIONS

En Corse ou ailleurs, tu as noué aussi des amitiés qui n'ont jamais faibli, qui se sont magnifiquement épanouies. Le lissier Philippe Chleq et l'opérateur de cinéma Denys Clerval sont restés tes amis fidèles et très proches. Est-ce qu'ils t'ont soutenu ou épaulé d'une manière ou d'une autre ? Voudrais-tu dire quelque chose a leur sujet ? 


Ils ont toujours été très bénéfiques pour moi. Ils m'ont toujours encouragé, accompagné et en somme soutenu dans l'amitié, ce qui est vital. Cela crée des liens inconditionnellement forts. Ce sont en effet des amis très proches. Vraiment, ils m'ont toujours épaulé dans toutes sortes de circonstances et de situations de la vie. Combien de fois Philippe Chleq a par exemple monté et démonté mes expositions ! C'est pas rien ! Quand il avait son très bel atelier de tapisserie (pas loin de deux cents mètres carrés) dans la rue du Dahomay à Paris, j'y faisais des expositions presque tous les ans. Les gens venaient en grand nombre, c'était bien, c'était un bel espace. Philippe exposait ses tapisseries, moi mes tableaux et en général on invitait aussi un sculpteur à exposer ses oeuvres ou en tout cas quelqu'un qui faisait autre chose. 

Denys Clerval ?

C'est un grand ami. Denys a par exemple toujours su parler de son métier d'opérateur avec passion et dans ce domaine, on peut toujours apprendre beaucoup de lui. N'oublions surtout pas qu'il a co-créé en France quelques oeuvres majeures ne serait-ce que dans la période de la Nouvelle Vague. Mais pas seulement. Quand on l'approche, très vite on s'aperçoit que c'est quelqu'un ... hummm ... quelqu'un qui excelle dans l'écoute de ses interlocuteurs. Dans ce monde il y a tellement de gens qui parlent beaucoup, qui parlent trop, parce qu'ils ne savent pas écouter les autres. Eh bien, je considère que savoir être à l'écoute d'autrui est un art et dans ce domaine Denys Clerval est aussi un grand artiste, un artiste d'une humanité ... oui, au coeur pur, je crois que le mot est juste. 

Peut-être ...... Décidément il y a dans l'air quelque chose de télépathique, étant donné que ma question suivante porte sur cet événement culturel majeur en Bourgogne. Au fait, je tiens dans ce contexte à évoquer la personne de Christian Duriez qui t'a stratégiquement aidé dans l'organisation et la mise en place d'une exposition époustouflante de tes oeuvres. Son soutien à l'égard de ta peinture ne date pas d'hier. Je trouve personnellement que c'est quelqu'un de fort intéressant. Il est par exemple l'initiateur d'un restaurant du coeur qui accueille des gens privés de suffisamment de moyens pour se nourrir régulièrement. Eh bien, cette exposition qui a eu lieu ... donc à Tournus en Bourgone est, dans ta carrière de peintre, très importante. Je pèse mes mots, car avant, tu n'as pas vraiment eu en France beaucoup d'expositions et surtout d'expositions de cette taille.   

Non, je n'en ai pas eu. 

Voudrais-tu dire quelque chose au sujet de Christian Duriez ? 

C'est quelqu'un qui est habité d'une grande énergie. Quelqu'un de très social, d'accueillant et de convivial. Il ressent ma peinture de manière instinctive. C'est rare. Christian ne va pas perdre son temps dans les analyses qui à la longue ne font que fatiguer nos esprits. Il aime ou il n'aime pas, mais en gros, il aime honnêtement ce que je fais comme peintre. Avec le temps, il m'est évident que je peux toujours compter sur lui. Il m'a donc proposé de faire cette exposition à Tournus dans la grande salle d'une somptueuse abbaye. Un espace tellement épuré !, vaste et beau, en bref : FANTASTIQUE ! Il m'a fait rencontrer des gens de ce lieu et je vais souligner que c'est bien l'exposition qui m'a fait le plus plaisir de toute ma carrière. J'ai pu donc y présenter une centaine de mes oeuvres. L'éclairage était parfait, c'est-à-dire pas cru, pas agressif du tout : mes tableaux sont faits pour une lumière légèrement tamisée partant d'un projecteur. De surcroît, ô merveille !, ce fut un événement SANS marchands de tableaux ! [rires] Merci Christian ! 

Des femmes un peu plus anonymes t'ont inévitablement épaulé aussi. Je pense par exemple à Anne-Marie Kucharski. C'est quelqu'un qui t'a beaucoup aidé et continue de t'assister dans les coulisses de l'internet. Il y eut un temps ou Anne-Marie m'a énormément aidé aussi, notamment à une époque particulièrement difficile pour moi. Je saisis donc l'opportunité de la remercier de tout mon être pour ce qu'elle a fait à mon égard et pour ce qu'elle continue de faire pour d'autres artistes. Que pourrais-tu dire au sujet de cette femme ? 

Anne-Marie Kucharski est un être vraiment touchant. C'est quelqu'un de très cultivé. Il y a quelques années, elle m'a déniché je crois sur l'internet. C'était un temps où je travaillais sur toute une série de tableaux que j'appelle "aquatiques". Je peignais des êtres immergés dans un liquide mystérieux comme une eau aux caractéristiques non révélées ou peut-être comme un liquide amniotique, tout cela souvent dans une sorte de piscine ou de matrice. Anne-Marie était absolument hypnotisée par un de ces tableaux. Il l'attirait indéniablement et en même temps elle en avait peur. Finalement elle l'a acheté. 

Et voilà, on est devenus amis comme ça. Par la suite, on était sortis beaucoup ensemble voir de préférence des expositions. Anne-Marie est passionnée de littérature. C'est d'ailleurs une experte dans ce domaine. Elle est devenue libraire et a un stand aux puces. C'est parce qu'elle adore les livres en général, et des livres anciens en particulier. Et c'est en effet bien elle qui a eu l'initiative de montrer au grand public et de manière très efficace sur l'internet ce que je fais . D'ailleurs de temps en temps, elle continue d'agir dans ce sens. Ce que j'aime en cette femme, c'est aussi le fait qu'il émane d'elle une espèce de modestie que rehausse son raffinement inné face à l'art. Je suis très content de la connaître.  

Existe-t-il quelqu'un en France qui a écrit des articles sur ta peinture et que tu apprécies particulièrement, un peu comme pour le cas de Wolfgang Sauré en Allemagne ? 


Oui. Jean-Claude Dedieu. Il est professeur de philosophie et écrivain. Il a écrit trois préfaces pour mes catalogues que je trouve les plus pertinentes et juste sur mon travail, mais également Alain Bosquet, l'auteur de nombreux articles sur ma peinture.


Je tiens à signaler une chose qui dépasse peut-être le cadre de ce que je dis au sujet de tous ces gens tantôt célèbres, tantôt inconnus. Eh bien ... évidemment il est plus facile de parler de personnes célèbres une fois qu'on les a côtoyées. Je pense toutefois qu'il ne faut pas sous-évaluer ou passer sous silence le rôle fondamental que jouent les gens plus ou moins anonymes, les connaissances et les amis. Ils co-créent notre quotidien. Sans eux, comment être intègre ? Sans eux, à quoi bon être artiste et en définitive être qui on est ? Est-ce que Marcel Proust serait devenu celui qui il est aujourd'hui à nos yeux, si un jour une Céleste Albaret, sa gouvernante, n'avait jamais préservé et rangé ses feuilles ?

[Silence prolongé] 

~ 17 ~ 
 
LES RACINES  

Michel, tu dis quelquefois que tu es à la fois du Nord et du Sud. Pourquoi ?
Il faudrait le demander à mes chers parents. Ma mère est du Nord, des environs de Valenciennes, c'est-à-dire de Saint-Amand-les-Eaux, une petite ville située dans les Flandres françaises tout près de la frontière belge. Mon père est aussi du Nord [de la France], mais il est de lointaine origine italienne. Je l'avais très peu connu, parce qu'il est mort quand j'avais quatre ans. J'ai très peu de souvenirs concernant mon père. Je me souviens quand même que quand il rentrait du bureau, je m'asseyais sur ses genoux et lui demandais qu'il me dessine des voitures et des locomotives, comme le font tous les petits garçons ...

Des locomotives à vapeur alors ! J'ai un goût immodéré pour les locomotives à vapeur ... 

Ah bien sûr ! Des locomotives à vapeur ! 

[rire] 

En tout cas Michel, je respecte et réalise ton voeu de prononcer le nom de famille que tu portes à l'italienne, donc (H)E-nricO(T), le H initial et le T final ayant été rajoutés bien avant ta naissance. 


Parfaitement. Mon nom de famille a été naturalisé français je crois au XIX-ème siècle ou peut-être même avant. D'abord on a ajouté le H et plus tard on a ajouté le T. Aujourd'hui, je suis le seul de toute ma famille à avoir recours à la prononciation à l'italienne de mon nom, donc [H]Enrico[T]. En tout cas, c'est ce que je préfère. Voilà. 

Quoi qu'il en soit, le français est ta langue maternelle et, quand on ne te connaît pas suffisamment, on ne peut pas présumer qu'il y ait en partie des racines italiennes dans ton histoire. 

Je ne parle pas d'autres langues, hélas, j'arrive à peine à comprendre vaguement ce qui est dit en anglais. Et pourtant, lorsqu'en ville, un passant anonyme me demande où se trouve telle ou telle rue et que je dis un seul A ou un B, j'entends immédiatement "Vous avez un accent Monsieur, vous venez d'où ?" [rires] 

Il y a quelques années déjà, pendant deux ans de suite j'ai été un dernier élève de ta mère Jeanne Henricot. Elle était mon professeur de piano, le seul d'ailleurs ... À peine ai-je eu fait sa connaissance, elle et moi sommes devenus amis. C'était une femme ... adorable, je ne trouve pas d'autre épithète en ce moment, mais la liste de termes édifiants désignant Jeanne serait bien longue. Michel, parle-nous un peu de ta mère. Commençons par le Nord de la France, veux-tu ? 

[sourie] Maman a eu une jeunesse un peu amusante, parce que tout le monde dans ma famille s'exerçait dans la musique. Ainsi, ma grand-mère maternelle donnait des leçons de piano. Ses filles, nées à la campagne, donnaient des leçons de piano dans des fermes. Maman, ensemble avec son frère, montait une espèce de petite entreprise pour jouer du piano dans des salles de cinéma pendant la projection de films. 

C'est vrai, c'était l'époque du cinéma muet. 

Oui. Donc, elle était sous un écran avec un petit bastringue et jouait. Elle regardait d'abord ce qui se passait à l'écran et donc elle s'adaptait à la circonstance, parce que le plus souvent elle ne savait strictement rien de ce qu'un film racontait avant sa projection dans la salle ... [rire]. Donc elle jetait un coup d'oeil sur l'écran et si c'était une chevauchée, alors elle devait se dire immédiatement "C'est une chevauchée, bon, allons-y !", sur quoi elle jouait "tagada tagada tagada tagada tagada tagada", ça devait être épique !! [rires]   

Nous sommes là en pleine improvisation. 

Et comment ! Si c'était une romance, une scène où un homme en pince pour sa dulcinée, ma mère devait jouer alors au ralenti une musique sirupeuse. Et puis, si dans la séquence d'après on voyait une poursuite où ce même homme courait un risque énorme de se laisser pincer par les hussards, il fallait alors brusquement changer de registre et jouer un autre tagada-tagada de manière inévitablement plus dramatique. C'était incroyable ! [rires] .......... Ma mère était et est restée très vive tout au long de sa vie. Elle aimait à courir, à voir le monde, à organiser des dîners et recevoir des invités, des amis. Elle aimait rire. C'était quelqu'un de très social, d'enjoué, de qui émanait une énergie vitale intense, on dirait inépuisable. 

Est-ce que ta mère se plaisait à vivre à Paris ? 

Énormément. Je crois qu'elle ne se plaisait pas du tout dans sa province et qu'une fois installée dans la capitale, il n'y avait plus question pour elle de retourner là-bas. Maman aimait trop les gens. Un jour, elle a tout simplement écarté l'idée de s'enterrer dans un petit village où, comme dans tous les villages, une vie culturelle en société est pratiquement inexistante, en tout cas, n'a rien de comparable avec ce que peut apporter une grande ville. Ainsi, dès que l'opportunité de vivre à Paris se présenta à elle, elle n'a pas hésité. Elle pouvait d'une certaine façon réaliser son rêve. Cela correspondait parfaitement à son tempérament. 

Ta mère était aussi allée en Corse et y avait donc côtoyé Leonor Fini ? 

Non, maman est allée en Corse quand Leonor était partie et m'a laissé le monastère. C'est parce que Leonor n'était pas pour les rapprochements avec les familles. Quand j'y pense ..... si, pour être précis, une fois les deux femmes avaient pris un thé en Corse dans un petit village à côté, mais pas au monastère.   

Comment s'entendaient-elles ? 

Elles s'entendaient. Leonor était très gentille avec ma mère, mais ma mère était quand même pétrifiée par cette femme. En réalité, Leonor préférait voir les gens en tête-à-tête si possible. Par exemple, quand il s'agissait d'un couple marié et selon la personne envers laquelle Leonor ressentait davantage d'affinités, elle avait l'habitude de dire  : "Venez seul(e)". 


 ~ 18 ~
DE LA MUSIQUE ENCORE ! 

Michel, tu es l'ami d'un couple de grands pianistes : Tania et Éric Heidsieck. Comment les as-tu connus ? 


J'ai connu d'abord Éric Heidsieck d'une façon étrange. C'était quand je faisais mon service militaire et lors d'une permission. Je l'avais donc rencontré dans un train. J'ai vu juste devant moi un type de mon âge en train de feuilleter des partitions. Je lui ai adressé la parole du genre : "À te regarder feuilleter des partitions, tu dois être musicien ?". Il m'a dit "Oui en effet. Je suis pianiste ... en ce moment en permission" etc.  

Éric était déjà célèbre, parce qu'à vingt ans il avait eu le Grand Prix du Disque. Il faisait donc son service tout comme moi. L'armée lui faisait donner beaucoup de concerts pour La Croix Rouge, tout ça. Il faut savoir que j'étais militaire en Algérie, et c'est donc en tant que tel que j'avais formé ... enfin fondé là-bas une espèce de petit orchestre pour faire danser les officiers et les sous-officiers en principe tous les dimanches. Eh bien, un beau jour je ne sais plus ce que j'avais fait, mais je me suis retrouvé en tôle. Du coup, il n'y avait personne qui puisse jouer du piano et c'était quand même moi le pianiste du dimanche ! 

C'est fascinant ! 

Les autorités ont de ce fait demandé à Éric de venir me remplacer ! [fous rires]. 

BRAVO ! 

Alors Éric Heidsieck s'exécuta et au final trouva que c'était dégueulasse, vraiment dégueu dégueu, parce que les gens et surtout l'orchestre étaient ceci et cela, enfin bref, un fait divers des plus insolites dans sa carrière. Et puis, quand je suis sorti de la tôle et que j'ai rejoint mon orchestre, les musiciens m'ont dit "Tu sais Michel, ce gars Éric, ce pianiste, mais qu'est-ce qu'il jouait mal !" [fous rires]. Voilà comment s'écrit l'histoire. 

Bon, et après on est revenus, on a été libérés en même temps et il s'est trouvé que par un incroyable miracle, chacun de son côté bien sûr, on a acheté un appartement dans une même maison, face à face sur le même palier. On n'a pas fait ça de concert, pas du tout ! J'étais installé depuis à peine peut-être une quinzaine de jours avant lui et voilà qu'une fois je suis chez moi et que j'entends un grand remue-ménage ... j'ouvre la porte et ... qui je vois sur le palier entrer et s'installer dans son appartement juste en face du mien ? Éric en personne ! Voilà. J'avais vécu quinze ans là-bas. Éric et moi sommes devenus des voisins de palier exemplaires ! Ç'a été une cohabitation merveilleuse. 

Très souvent, quand Éric avait fini de travailler, il aimait venir chez moi prendre un thé et alors nous discutions de peinture, de musique et de plein d'autres choses. C'étaient des moments vraiment tonifiants et très agréables. Par la suite, j'ai fait connaissance de Tania, l'épouse d'Éric, aussi une grande pianiste. Avec elle, Éric aura souvent joué pendant des années, ce qu'il fait d'ailleurs périodiquement jusqu'à ce jour. C'est un couple de pianistes remarquable. Éric et Tania sont très appréciés dans de nombreux pays et notamment au Japon. Et pour moi, ce sont de surcroît et avant toute autre considération, d'excellents amis.   

Tu t'assois au clavier de ton piano à queue pratiquement tous les jours. Tu n'as jamais joué à quatre mains ? 

Siiiiiiiiii ! J'ai une très grande amie. Elle s'appelle Hélène Rascle-Franc et est un professeur de piano. Tous les deux, on n'est peut-être pas de la même force [rire], mais on est à peu près du même toucher. C'est très agréable parce qu'il existe toute une littérature merveilleuse pour jouer à quatre mains. En plus, ce qui nous importait pour beaucoup, c'est bien le fait que cela imposait un rythme soutenu de nos rencontres pianistiques et une discipline. Il faut faire très attention et en somme être très vigilants, beaucoup plus que lorsqu'on joue à deux mains. Pour Hélène et moi, c'est une expérience vraiment enrichissante. 


 ~ 19 ~
PAS SEULEMENT D'UN SANG POLONAIS

Michel, avant de reparler de ta peinture, permets-moi de mentionner peut-être encore Piotr et Anna Dmochowski - les initiateurs et réalisateurs de la Fondation Beksiński en Pologne. Ce sont d'éminents collectionneurs aussi d'une partie non négligeable de tes oeuvres et qui gardent un contact avec toi.  


Oui, c'est un couple que je connais depuis longtemps ... Piotr Dmochowski a acheté toute une série de mes tableaux. Nous ne nous voyons pas très souvent, toutefois assez régulièrement. C'est quelqu'un qui sait très bien ce qu'il attend, ce qu'il veut d'un tableau. Sa femme Anna a aussi son mot à dire et pas des moindres ... Ce sont des gens intéressants, des personnalités qui sortent du commun. Piotr est un homme intransigeant dans les affaires, cela va de soi, et à la fois très riche humainement. Anna, de qui émane une beauté intemporelle, est vraiment charmante. Nous sommes toujours en contact. 

Le peintre Franciszek Starowieyski. Que veux-tu dire à sont sujet ? L'as-tu rencontré chez Constantin Jelenski ? 

Non. Je l'ai rencontré d'une façon étrange à Paris. C'était chez un encadreur qui avait une toile de moi dans sa vitrine. J'ai vu un homme observer attentivement ce tableau. L'encadreur nous a présentés et cet homme m'a dit tout le bien qu'il pensait de ma toile. Il m'a dit qu'il était peintre lui aussi et m'a invité à voir son atelier situé dans le même quartier. En ouvrant la porte j'ai tout de suite réalisé qui il était. Je connaissais bien sûr ses merveilleuses affiches qu'il a faites pour le théâtre polonais et pour le cinéma. J'étais évidemment confus de ne pas l'avoir reconnu. Nous sommes devenus amis et nous rendions visite périodiquement dans nos ateliers mutuels. Il me téléphonait souvent pour me demander un avis quand il était embarrassé par une de ses peintures. J'étais à mon tour très embarrassé à lui donner mon avis parce que je considérais et je considère que Starowieyski était un très grand artiste. Il a quitté Paris il y a quelques années et maintenant, hélas, il est mort. 

Des gens, des vies, des âmes qui peuplent ton voyage ... Laisse-moi retrouver mes propres racines de cette mienne incarnation qui advient ici et maintenant. Tant de visages qui te reconnaissent ... Il semble que comme par un tour de magie, tu as souvent croisé ou été entouré de Polonais. Serait-ce un hasard ? Comment vois-tu les Polonais ? 

Comment je les vois ? Ce sont des gens qui me plaisent beaucoup. Chose un peu étrange, c'est que je ne suis pas allé vers eux, ce sont eux qui sont venus vers moi. [rires] Avec toi, ç'a été différent, parce que la première fois on s'est rencontrés sur un terrain neutre chez des amis, mais en général ce sont les Polonais qui viennent en premier. 


S'il s'agit de ce que nous entendons communément dans le terme "hasard", je trouve personnellement qu'il existe bel et bien une intelligence qui dépasse de loin ce que nous pouvons appréhender des circonstances de la vie et de ce que nous sommes. Ce n'est pas que nous soyons de ce fait rien de plus que des marionnettes, pas du tout, mais je veux dire qu'il existe vraiment quelque chose qui nous dépasse. Je pense que reconnaître cette évidence ne serait pas dépourvu de sens, ne nous enlèverait en rien notre statut de créateurs ou co-créateurs de notre réalité. C'est juste une question d'être un peu humble. C'est au même titre admettre par exemple la possibilité d'une vie intelligente ailleurs, sur d'autres exo-planètes. Voilà une parenthèse sur le hasard. 


Pour en revenir aux Polonais, ce sont des gens que j'aime beaucoup. Dans l'histoire de leur pays, ils ont connu de longues périodes très difficiles pour ne pas dire dramatiques et dans leur vie privée ils ont souvent dû subir énormément de déchirements. Mais ce qui me fascine auprès de ce peuple, c'est le fait que les Polonais témoignent d'une vitalité féroce. Ils sont parfaitement capables de se relever des pires circonstances, des pires situations et d'aller de l'avant. Toujours est-il que ce sont des gens un peu mélancoliques sans pour autant se faire des illusions. Et puis, par moments, ce sont des gens qui aiment la fête. Voilà pour ce qui est des principales caractéristiques au moins de ceux d'entre les Polonais que j'ai eu l'opportunité de découvrir et de connaître. Et c'est très vrai, il existe dans mon périmètre "comme par hasard" tout un groupe assez conséquent de Polonais.

Connais-tu la Pologne ? 

Non. Une fois, il y a trois ou quatre ans, quelqu'un m'a invité à y passer quinze jours dans le contexte d'un atelier. J'allais me retrouver dans un même espace avec un groupe de peintres. Le but était de travailler donc en compagnie de tous ces gens et d'y laisser son tableau avant de partir. 

Tu sais, dans ma vie, ce n'était qu'en Corse que j'ai pu faire ça, je veux dire travailler avec un autre peintre juste à mes côtés. C'est parce que là-bas, je partageais un même atelier avec Leonor Fini et Stanislao Lepri. Trois chevalets et nous trois ... Même si nos univers n'étaient pas les mêmes (heureusement !), nous étions quand même des êtres venus d'une même galaxie ! Ce fut la seule circonstance, la seule exception dans ma vie lorsque je me sentais librement disposé à partager une même pièce avec d'autres peintres. 

Alors, s'il s'agit de cette invitation qui m'est parvenue depuis une lointaine Pologne, je n'ai pas donné suite. Tu sais très bien que je suis en dehors de toute compétition ! [rires]  

La Pologne ? Peut-être un jour, qui sait, j'irai là-bas ? Si on organise tout, alors ce serait avec joie. 

Michel, revenons donc à tes tableaux, s'il te plaît.   

Je t'en prie. 


 ~ 20 ~
ABZU

Certaines de tes oeuvres m'inspirent au point à en créer un reflet sous forme d'un pict-texte, c'est étrangement puissant en syntonie ... À mes yeux, en tout cas comme je le ressens au plus intime de mon être, tu as une faculté ... 


C'est-à-dire ? 

Tu as cette faculté formidable et sans pareille de compulser les archives d'une mémoire planétaire ancestrale à l'échelle cosmique du temps où sont enregistrées des expériences qui continuent d'avoir un impact sur nous-mêmes ici présents en chair et en os en tant qu'Humanité. Les personnes qui vibrent singulièrement fort avec ta peinture doivent consciemment ou non s'y retrouver parce que, quelles qu'en soient les incertitudes, les croyances et les convictions, elles ont, d'une manière ou d'une autre, connu, c'est-à-dire vécu ce genre d'expériences et pour elles, tu catalyses quelque chose de vital. Il est au moins tout à fait vraisemblable que ces personnes reconnaissent dans ta peinture les ambiances d'un tel vécu. Dans ces enregistrements tu as de surcroît la maîtrise d'identifier l'essentiel, autrement dit de manifester un message transcendant d'importance qui puisse nous inciter à réfléchir très sérieusement sur notre devenir en tant qu'espèce, une espèce qui a la prétention de se considérer comme hautement intelligente. 

C'est complexe. Je n'y avais pas pensé sous cet angle, ni dans ces termes, mais c'est très intéressant ce que tu avances Irénée, enfin pourquoi pas ? En tout cas, je dois avoir accès à quelque chose ... 

Tu fais ressurgir par exemple tout un monde d'humanoïdes aux proportions parfaites pour notre entendement de ce qu'est la référence. Quelquefois ils prennent l'apparence d'entités hybrides. Tes portraits aux yeux fermés sont immobilisés dans les résultats d'un mode d'emploi dont ni les étapes, ni les détails ne nous auront pas été révélés. Les cités désertées que tu nous dévoiles s'avèrent inéluctablement complémentaires aux êtres manifestés dans les autres séries de ta peinture et témoignent, pour moi en tout cas, de l'existence d'une réalité tangible dans une fréquence avoisinant la nôtre, mais pas la même, donc au demeurant vibratoirement inaccessible à nos cinq sens. Je suis personnellement très sensible à tes paysages. Il émane d'eux une conscience qui les a figés dans un but civilisateur majeur à notre adresse. C'est indéniablement une question d'invention, mais aussi de mémoire. Tes oeuvres en sont dotées,  je le ressens particulièrement fort. Qu'est-ce qui se passe en toi lorsque tu peins un paysage ? 

Eh bien, en général ce sont en effet des paysages presque entièrement inventés. Ils recèlent une information qui me vient d'une époque très reculée dans le temps. Ce sont en conséquence des paysages archaïques qui ressurgissent de diverses et multiples strates de ma mémoire. Cette mémoire s'avère tout naturellement enfouie au plus profond de qui je suis, c'est comme des souvenirs ... En réalité ce SONT des souvenirs de régions, de zones, d'arrière-pays et de terres qui existent quelque part. Ils sont probablement préservés, j'ignore comment, mais quand même préservés dans l'histoire d'un monde, d'une planète et plus concrètement peut-être dans les abysses de celle-ci. 

De la planète Terre ? 

Cela se peut, mais ça pourrait être tout aussi bien une autre planète. Il se peut que ma mémoire revoie des paysages à la fois d'ici et d'ailleurs. Après tout, nous ne sommes pas les seuls êtres pensants dans l'immensité du Cosmos, j'en suis profondément convaincu. 

En tout cas pour moi, c'est avant tout une question de mémoire. 

Oui, pour moi aussi. Bien sûr, je serais capable de peindre des paysages existant aujourd'hui avec des ruisseaux luxuriants, des arbres, des vergers, des choses comme ça, mais cela ne m'intéresse pas. J'aime le terme "archaïque", parce que ce terme décrit viscéralement ce que j'explore, ce que je vis, ce que je vois. Et puis je suis aussi quelqu'un qui a une sensibilité bien sûr. Elle me guide aussi.    


 ~ 21 ~

UNE FLORE

Ta passion des plantes est connue de tes amis. C'est entre autres à travers elles que ta sensibilité s'exprime. Hum ... tu sais Michel, enfin, comme tout un chacun, j'ai naturellement aussi ma sensibilité. D'une certaine façon, elle m'aide à construire une compréhension sans doute inconfortablement non-académique d'une part autour de cette énergie originelle depuis laquelle viennent à prendre corps tes oeuvres et d'autre part, de ce que tu communiques à travers celles-ci. Mais bon, parlons maintenant de l'univers des plantes. L'aimes-tu alors, cet univers ? 


Quelle question ! mais bien sûr que j'aime tous ces êtres sublimes que les humains identifient comme plantes. Quand j'étais petit, je crois aux alentours de mes sept ou huit ans, j'ai voulu devenir horticulteur. J'ai toujours adoré les parcs, les jardins potagers, les vergers, les serres. À un moment donné, j'avais même essayé de faire pousser un maximum de choses, donc même des arbustes et puis bien évidemment des légumes, des fleurs tantôt de chez nous, tantôt exotiques, des plantes grimpantes comme le lierre, des herbes ...


C'est un fait, j'aime toutes les plantes : celles qui s'enracinent droit dans le sol, comme celles qui sont à l'aise dans les pots et aussi les bouquets. Il y en a pratiquement toujours dans ma maison. Il m'arrive d'héberger des spécimens plus rares comme certaines merveilles insectivores aux formes en même temps très belles et inquiétantes. Concernant les fleurs, j'aurai une préférence pour celles qui ont plutôt de longues tiges et qui sont de couleur foncée avoisinant le rouge cramoisi, le bleu indigo ou littéralement le noir. Je crois qu'il existe aujourd'hui par exemple ... des pétunias dans ces gammes et même certaines espèces de roses. Toujours est-il que les fleurs blanches ou en général plus claires édifient mon bonheur aussi. J'aime quelquefois les contrastes à l'image d'un bouquet composé de deux couleurs de fleurs en apparence totalement contradictoires comme le bleu marine et le rose orangé. Avant, seules les fleurs jaunes demeuraient à l'écart de mes goûts, je les adorais dans un square ou dans un pré, mais pas dans mon appartement. Aujourd'hui je les accueille sans façon, car fort heureusement nos goûts évoluent !  

C'est peut-être étrange, mais je ne suis pas vraiment tenté de peindre les plantes. Il y a sans doute une raison à cela, c'est comme ça. Que pourrais-je dire de plus dans ce paragraphe ... Oui ça y est : les plantes sont un point de départ pour les parfums ! Tu en sais quelque chose Irénée. 

Or, dans le règne des parfums, je privilégie de loin les encens. Ces substances résineuses aromatiques, quand je les brûle, sont pour moi l'évocation d'un autre temps conjugué dans d'autres espaces comme un antre, une grotte, un temple, une chapelle, un caveau, une crypte, un refuge, une pyramide ... Pour moi, les encens ont quelque part une envoûtante connotation olfactive avec l'Égypte. C'est très particulier. Bien sûr, je peux aimer un tas d'autres émanations. Je suis très sensible aux odeurs. 

Donc voilà, c'est ce que je peux dire au sujet du règne des plantes et de ce que ce règne représente pour moi.  

Tiens, le temps s'éclaircit ...


 ~ 22 ~
PALAIS DES SAVEURS

Parlons de la cuisine. Quelle place occupe-t-elle dans ta vie ?


Mniam mniam ! [rires]. Oui, j'aime cuisiner et même si je ne mange pas beaucoup, j'aime manger bien. J'ai l'habitude d'organiser des dîners que je fais moi-même et auxquels j'invite des gens. Ça me plaît de nourrir mes amis. Je ne trouve pas d'intérêt dans la procréation, en revanche la création gastronomique m'attire énormément. C'est donc aussi là-dedans que je trouve mon compte. Voilà pourquoi j'ai en somme aussi un peu ce côté d'un père nourricier. J'aime dire et redire à chacun de mes amis "Mange, mange, mange". [rire] Bien sûr je n'insiste pas, mais de temps à autre ce genre d'encouragement s'échappe de ma bouche. Et puis, ça m'amuse de composer au piano de la cuisine !
Les mets que tu nous sers à ta table sont toujours de véritables compositions à la fois gustatives et picturales. C'est bon et c'est beau ! Je n'aurai pas été le seul à l'avoir constaté. 

Tu sais, c'est parce qu'en principe les artistes peintres, précisons : les BONS peintres [rires] se plaisent à cuisiner et en général le font très bien. 

Qu'est-ce que tu aimes manger ? 

Je n'aime pas vraiment la cuisine du nord parce que je la trouve un peu trop grasse, trop lourde. Ce qui est long à digérer, je le mets plutôt de côté. Ma cuisine aura été donc légère avec cependant beaucoup de condiments, d'épices et de parfums. Je ne mange pas énormément de viande, encore que de temps en temps il m'arrive d'honorer un petit salé, quand même ! Mais c'est rare. Je vais privilégier les poissons et autres frutti di mare. Et puis les salades de nos jardins, ça oui ! J'aime servir les fruits au dessert. Les kakis auront été facilement ma prédilection. Peut-être en raison du fait que quand j'avais douze ou treize ans, j'avais le droit à un kaki si seulement ma mère, c'est-à-dire dans cette circonstance mon premier professeur de piano, était contente de mon jeu. Il faut savoir qu'à l'époque on trouvait difficilement ce fruit et qu'il devait coûter cher. 

Et les boissons ? 

Le matin, j'aime prendre une tasse de thé, d'un bon thé parfois légèrement parfumé ou, ce qui est mieux, d'un thé fumé. Plus tard dans la journée, je bois un peu de café. Je dois faire attention à l'alcool si je tiens à rester qui je suis, à savoir un peintre très actif qui travaille beaucoup au quotidien et qui aime aussi jouer du piano pendant une heure tous le soirs ou presque. Et puis, l'alcool ne me réussit plus comme avant. J'aime toutefois quelques bons vins blancs, rosés et rouges en fonction du repas. J'aime de temps en temps faire l'honneur à un peu de bon whiskey, à une vodka de choix ou à un verre de suze à l'heure de l'apéritif. À table, je préfère inconditionnellement le vin d'ici à l'eau de là, même si l'au-delà est quelquefois matière d'une conversation savoureusement animée ! Je n'aime pas le champagne. 


 ~ 23 ~
QUI SOUHAITE QUOI ?

À l'heure de l'apéritif, tu as l'habitude de t'asseoir au piano et pendant une dizaine de minutes de nous jouer un ou trois morceaux de ton choix. Plus tard, tu mets assez souvent un disque. Cela peut être de la musique instrumentale, par exemple le jazz ou la chanson. Un jour tu m'as par exemple fait découvrir la magnifique Lotte Lenya. Tu l'aimes écouter toujours ? 

Oh oui ! ça fait longtemps que je n'ai pas mis ce disque ... Cette chanteuse née à Vienne et mariée à un moment donné à Kurt Weill était prodigieuse. Le cabaret allemand a eu ses lettres de noblesse et Lotte Lenya y a laissé une page mémorable. Il y a aujourd'hui une autre artiste que j'apprécie, elle s'appelle Ute Lemper, mais ça fait un moment que je n'ai pas entendu des nouveautés d'elle. 

J'aime beaucoup Ute Lemper. Elle chante bien sûr en allemand, mais aussi en anglais, en yiddish, en français et récemment aussi en espagnol les textes de Pablo Neruda. C'est quelqu'un qui explore toutes sortes d'ambiances et de courants dans le genre Chanson. Tu connais son disque "Songbook" avec les compositions de Michael Nyman pour les poèmes de Paul Celan, Shakespeare et Rimbaud ? 

Non. Ce disque semble intéressant ... 

Quelques autres chanteurs ou chanteuses ? 

Oui, il y a quelqu'un que j'aime tout particulièrement et qui s'appelle Sade. Le phénomène de ce que j'appelle "scies musicales", ce n'est pas du tout son univers. C'est une femme belle différemment, j'aime ce qu'elle fait. Je peux l'écouter en boucle. Avec elle, on ne retient jamais les airs, ce qui permet de ne pas s'en lasser, tout au contraire, je respire mieux en écoutant cette chanteuse. Dans ses interprétations il y a toujours une très belle atmosphère de timbre et de rythme. Sa voix est comme du velours mais un peu éraillé, comme usé. Tous ces ingrédients constituent un mélange qui magnétise et tout ce qui en ressort est pour moi simplement irrésistible.

Quelle est ta chanson préférée ?

"Cry Me a River". Elle a été chantée par beaucoup d'artistes et pour te dire la vérité, pour moi en tout cas, c'est Julie London qui l'interprète le mieux. Julie London a une voix merveilleuse et c'est elle qui l'a créée, cette chanson. Quand elle chantait, on avait toujours l'impression qu'elle venait juste de sortir du lit, qu'elle était fatiguée et pas encore bien réveillée. Il y a aussi un homme qui chante un peu comme elle, c'est Chet Baker. Quand ces gens chantent, j'ai comme un pressentiment qu'une fois la chanson finie, ils vont s'écrouler. On a vraiment l'impression qu'ils ont passé des nuits blanches et à l'évidence qu'ils ont fait ensemble beaucoup l'amour au lit, sur le gazon ou dans une étable, qu'est-ce qu'on en sait !


 ~ 24 ~
AILLEURS

Aimes-tu voyager ?


Euh ........ à condition qu'on prenne mon billet, qu'on me fasse mes valises, qu'on me dépose à la gare, qu'on vient me chercher à mon arrivée et qu'on me dise où je vais. 

Je vois. Connais-tu l'Europe ?
Un peu. Récemment je suis allé à Prague par exemple. J'ai aimé cette ville à la folie. Hélas, il y a trop de touristes qui abîment tout. Mais l'architecture de cette ville et ce qui émane d'elle, c'est vraiment merveilleusement inhabituel. J'ai eu l'impression de me retrouver dans un dessin de Victor Hugo. C'était extraordinaire. C'est là-bas aussi que je suis entré dans l'enceinte d'un cimetière juif dont les bases datent, si je ne me trompe, du XIII-ème siècle. Ce lieu m'a inspiré au point où par la suite j'ai exceptionnellement pris la résolution de faire deux ou trois tableaux avec un leitmotiv de dalles sépulcrales entassées et délaissées à cet endroit pour on ne sait combien de temps.
Toujours est-il que peindre d'après la nature est pour moi chose sporadique. Il en est ainsi parce que j'ai l'habitude de peindre en accord avec ce que MA MÉMOIRE me dévoile. Cette habitude est enracinée solidement dans un besoin viscéral auquel mon mental ne saura faire face. 

Dans de nombreux de tes tableaux, certains motifs architecturaux laissent deviner, disons des tombes, mais ce n'est pas si évident, car elles sont toutes vides, comme si leur fonction essentielle n'était pas ce que l'on peut attendre d'un tel endroit. À ma connaissance, tu ne mets d'ailleurs jamais le titre "Tombes" à ce genre d'emplacement. Pourquoi ? 

En effet, ce sont bien davantage des excavations. Elles ne sont pas faites nécessairement pour recevoir un corps. Chacune d'elles est en tout cas une espèce de porte, c'est d'ailleurs comme ça que je vois leur fonction. Elles assurent un passage. 

Ainsi, le voyage pourra continuer ... es-tu allé un jour au-delà du continent européen ? 

Oui, quelquefois. Par exemple ......... je suis allé en Inde. 

Veux-tu nous dire quelque chose à propos de ce pays, de ce que tu y as vécu ? 

Ah ! à propos de l'Inde, je dois dire que c'est un pays dont on ne revient pas indemne. J'y suis allé il y a déjà une bonne quinzaine d'années. Là-bas, tout me fascine : l'architecture, les sites entiers vraiment insolites, les paysages somptueux et les gens qui vivent de façon ... terrifiante, très très difficile en tout cas si on considère cette façon depuis notre perspective occidentale. Car ce sont des gens qui fonctionnent dans un autre registre de la conscience. Ils sont patients, recentrés et comme passifs face à l'ampleur de toute cette misère qui les entoure et dont ils font partie dans le sens biologique, viscéral, tellurique. C'est une autre planète. C'est à la fois fascinant et troublant. 

J'ai vécu là-bas une expérience très étrange. Eh bien, je traversais ce pays en compagnie d'un de mes amis qui fait des tapis et qui s'appelle Philippe Chleq que j'ai déjà mentionné. Philippe y est donc allé surtout pour des raisons professionnelles, l'Inde étant ce magnifique pays où on fabrique de très beaux tapis depuis la nuit des temps. Philippe a fait toute une série de dessins de tapis et par la suite cette série était manufacturée là-bas sur place. 

Nous parcourions l'Inde en voiture en compagnie d'un marchand de tapis très riche et de son chauffeur. À un endroit il y avait un grand arbre et dans cet arbre vivait un anachorète qui n'en descendait jamais. Les gens du village lui donnaient de la nourriture, mais il ne descendait jamais. Donc, on est montés par une échelle de cordes dans l'arbre. Je n'étais pas bien, parce que j'ai le vertige et c'était quand même haut. On est au final arrivés sur une petite plate-forme en bois (un peu comme cette pièce ici) où vivait cet homme. Il était beau et très maigre, décharné. Il savait parler anglais. Mes compagnons de voyage lui avaient donné un peu d'argent sans lui avoir dit quoi que ce soit. 

Or, cet homme ne s'intéressa qu'à ma personne. Il a pris ma main et il a fait, figure-toi, une description très précise, très détaillée de tous mes tableaux. Muni à l'évidence d'une faculté de s'immerger dans les strates abyssales de notre mémoire humaine et de voir au travers de ses enregistrements, il s'est mis à dépeindre le défilé de contrées figées dans le temps que ma nature la plus profonde reconnaît. Il s'est mis à me parler d'excavations, de couloirs et d'espaces souterrains gigantesques baignés de cette lumière diffuse et tamisée qui m'est tellement familière. Il évoquait toutes ces entités et créatures qui peuplent un nombre si considérable de mes tableaux. Il me parlait de ces eaux qui accueillent une barque et de quelqu'un qui est dedans. Il gardait ses paupières ouvertes de manière différente. Il voyait au travers de ce que je vois. Il lisait ce que je peins sans que j'ouvre ma bouche, sans que je dise quoi que ce soit. J'avais l'impression de me retrouver quelque part au milieu entre deux mondes comme en effet dans une barque. C'était très troublant. J'en suis resté totalement bouleversé.

[silence prolongé] 

C'est fascinant ce que tu racontes. Il devait avoir trouvé une entrée à cet instant, je veux dire il devait avoir accès à une onde d'énergie mémorielle qu'il identifiait et décodait de façon télépathique, si on se met d'accord que la télépathie consiste en tout premier lieu en la mise en place et la transmission d'images. 

Oui, c'est ça. En tout cas, c'était un homme qui vivait donc dans son arbre à dix mètres au-dessus du sol, qui au moins dans cette vie à lui n'a jamais visité d'autres lieux, probablement n'a jamais quitté son village et qui depuis de très longues années n'est pas descendu sur terre. J'étais profondément ébranlé à l'avoir vu me parler de tout ce qu'il voyait, de ce dont il m'est si difficile de parler et que je n'arrive à exprimer avec justesse qu'au travers de ma peinture. 

Il est fort probable que lui aussi ait été ébranlé d'une certaine façon. 

Il devait probablement reconnaître la qualité ou la fréquence d'une énergie particulière. C'est tout à fait possible.


~ 25 ~
KEMET

Veut-tu nous dire quelque chose au sujet de l'Égypte ?   


Oui ... sauf que ... il y a tellement de choses à dire à ce propos que je ne saurais par quoi commencer. 

Étais-tu entré dans une pyramide ? 

Oui, je suis entré dans une pyramide. Il faut savoir qu'il y a fort longtemps, bien avant d'aller dans ce pays de mes rêves, j'avais déjà beaucoup fréquenté l'Égypte au Musée du Louvre. Figure-toi qu'une fois, c'était un soir, (je dois avoir eu quatorze ou quinze ans), j'avais réussi à me faire enfermer dans ce musée après que les derniers visiteurs sont partis. Bien évidemment j'étais à ce moment-là quelque part dans les salles égyptiennes. C'est-à-dire que je m'étais caché derrière un énorme sarcophage. À l'époque, s'il y avait des caméras de surveillance, elles n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui, il n'y avait pas de ces systèmes d'alarme infrarouge et tout ça, ça n'existait pas encore. 

Dis donc, on pourrait en faire un épisode pour Belphégor. 

Absolument. Bon, on m'a quand même trouvé très vite au bout d'une vingtaine de minutes. On m'a amené manu militari, on m'a engueulé, on a prévenu ma mère que je faisais des choses épouvantables et tout ça. Tu vois, j'avais besoin de me trouver à l'écart des foules, d'avoir ces merveilles à moi tout seul, d'être immergé dans un silence éloquent, ce silence qui contient une histoire concrète dirigée uniquement vers moi. C'était un besoin très fort. 

Et donc des années plus tard, c'était en 2008, je suis allé un jour en Égypte, j'ai vu beaucoup de lieux insolites et je suis entré dans une pyramide ... On y entre donc par des couloirs extrêmement étroits et escarpés, et alors on sent ces TONNES de pierres au-dessus de soi ... oui, on peut facilement ressentir une menace, une sensation très étrange. Mais les pyramides, à la limite, c'est plus extraordinaire de les voir de l'extérieur. 

Je suis allé dans la Vallée des Rois qui pour moi est presque plus intéressante que les pyramides. Juste regarde : tous ces sites ressurgissent d'un concept qui ouvre grand le portail de l'imagination humaine. Tous ces monuments sont d'une splendeur sans pareille. Ils composent une architecture qui impressionne magistralement. Il suffit de jeter un coup d'oeil ne serait-ce que sur les photos que nos médias font circuler partout où c'est possible. Néanmoins, je considère qu'il faut être sur place pour se laisser imprégner d'une force étrange n'existant que là-bas, de cette force qui doit provenir inévitablement d'un brassage de puissantes énergies à la fois telluriques et cosmiques que le temps n'affecte pas. Toutes ces fresques et ces sculptures monumentales rient de nous, parce que l'égyptologie officielle qui écarte ce qui la dérange et qui assoit toutes ses propres théories, ne sait toujours pas vraiment comment on a fait tout ça. 

Je suis content Michel que tu le dises, parce que l'establishment archéologique mondial qui a quand même étiqueté, répertorié et préservé ce que l'Égypte nous a livré à ce jour, s'exerce en même temps à censurer et à exclure tout ce qui ne rentre pas dans la pensée consensuelle du comme-il-faut et qui misérablement n'est qu'une pensée de surface. La police scientifique y est pour beaucoup, parce que c'est elle avec ses partisans qui n'arrête pas de mettre en doute, de ridiculiser ou d'interdire la sortie de publications sérieuses serties d'indications et de révélations inédites faites par des spécialistes intègres, honnêtes, responsables, courageux et indépendants. Fort heureusement la situation change.   

Oui, il est grand temps que ça change. Tu sembles agité Irénée, que veux-tu dire ?   

Permets-moi de faire juste une parenthèse en ajoutant ici que je partage le sentiment de l'éminente égyptologue française Antoine Gigal qui dit qu'il est grand temps que des spécialistes de diverses disciplines se mettent à travailler ensemble, parce qu'il est impératif de remonter vers tout ce qui se passe AVANT la quatrième dynastie en vue de remonter plus loin encore, à savoir non seulement jusqu'au déluge, mais bien avant, avant le et même LES déluges. Tout cela dans le contexte d'une recherche impartiale et très TRÈS approfondie en ce qui concerne le plateau de Gizeh sous lequel il existe tout un réseaux de couloirs et d'espaces souterrains sophistiqués s'étendant sur plusieurs centaines de kilomètres. Merci.   

Pour continuer ma trame, je vais souligner à mon tour que tout au long des années j'avais retardé autant que possible ma première visite dans ce pays mythique. Bien sûr, j'ai toujours voulu y aller, mais en même temps j'avais peur d'être désillusionné ne sachant rien de la réalité d'une Égypte d'aujourd'hui. Non, je n'avais pas le moindre besoin d'être déçu en raison de notre modernisme prétentieux et prosaïquement malsain. Je n'avais pas besoin de me voir confronté à quelque chose que je n'aimerais pas. Alors pendant des années je refusais de m'y rendre. 

C'est parce que l'Égypte est pour moi une dimension vitale qui me nourrit et qui me ressource de manière essentielle. Cette dimension est donc aussi très tactile bien sûr. C'est une terre contenant une énergie que je ressens au plus profond de mon être. Cela dit, il me suffit juste de savoir qu'elle existe, cette terre, et qu'elle se trouve dans une zone définie géographiquement. Je n'ai pas besoin d'y aller physiquement pour puiser dans ce que l'Égypte a à me donner afin que je puisse réaliser mon travail de peintre. Je pense que c'est une question de connexion incluant le phénomène de réciprocité vibratoire en quelque sorte. L'Égypte et moi surfons sur une même longueur d'onde et pour ça, y aller n'est pas pour moi indispensable.

Et pourtant, ô miracle ! Lorsque finalement j'y suis allé avec un ami qui, comme je disais, avait pris les billets et pratiquement tout organisé, l'Égypte m'a littéralement subjugué. C'était comme au-delà de mes rêves ! C'était beaucoup plus beau et de bien loin plus fort que ce que je n'avais imaginé. 

Dans un des temples, comme d'habitude rempli de touristes à ce moment-là, en regardant le naos, c'est-à-dire l'équivalent du choeur de nos cathédrales ...... (je ne sais plus dans quel temple j'ai éprouvé ça, tellement c'était fort) ........... j'ai vécu quelque chose d'extraordinaire. C'est comme si je retrouvais quelque chose de fondamental, de radical au sens des racines, comme si ce moment était depuis fort longtemps attendu ...... J'avais pleuré ...... Je ne suis pas quelqu'un qui pleure facilement. Mais là, c'était plus fort que tout. Oui, j'ai eu une véritable crise de larmes, tellement j'étais ému d'être là et tellement je ressentais cette force magnétique et en somme irrépressible. Elle irradiait de cet endroit et ma nature la plus profonde la reconnaissait, d'autant plus que cette force me traversait librement tout entier. Quelque chose s'est à ce moment précis déverrouillé en moi. 

[Silence prolongé ... Michel desserre sa main et met le petit caillou noir sur la table] 


Un livre qui s'ouvre ...

 ~ 26 ~
UNE ÉTAGÈRE

Est-ce que tu aimes la lecture ? 


Bien sûr. Le texte en tant que support peut receler quelque chose de magnétique. Cela peuvent donc être aussi des documents antiques araméens, égyptiens, chinois et autres, indéchiffrables (pour moi).

Les livres ... Étant éclectique dans ce domaine, je lis un peu de tout. J'en suis même venu maintenant à lire des romans policiers, peut-être parce qu'ils sont imprimés en caractères plus gros que les autres bouquins ? [rires]

À une époque j'ai lu pas mal de littérature classique, mais ma prédilection se situe très honnêtement dans le fantastique. Dans cette catégorie, il y a un écrivain américain de science-fiction, mort tout récemment. Je l'aime beaucoup. C'est Richard Matheson. Il a écrit de très beaux livres comme par exemple "L'Homme qui rétrécit" ou "Je suis une légende" que j'adore ... Il y a aussi un autre écrivain américain - Philip K. Dick que j'apprécie parce qu'il a écrit des tas de nouvelles extraordinaires. Il sait construire la trame de manière vraiment magistrale. Me vient à l'esprit son roman "Glissement de temps sur Mars", c'est fou comme cet auteur arrive à imbriquer les ambiances inquiétantes, les personnages et les situations. Tout part chez lui d'une logique on dirait extraterrestre qui subjugue. Et puis, bien sûr il y a le grand Howard Phillips Lovecraft dont les oeuvres me magnétisent, je peux lire en boucle cet écrivain. C'est très vrai : plus rien n'existe quand je lis Lovecraft.


 ~ 27 ~
UN ÊTRE UNIQUE

Il y a quelques années ... notamment en 2005, tous les deux, on est allés voir une exposition intitulée "Le monde selon H.R. Giger" à la Halle Saint Pierre ici à Paris. Pour Hans Rudolf Giger, c'était à ce moment-là une des rétrospectives de son Oeuvre les plus importantes en dehors de la Suisse. Est-ce que tu apprécies ce que fait cet artiste ? 


En partie seulement. Je n'aime pas trop sa peinture parce que trop souvent dans ses tableaux il place des êtres humains qui ne devraient pas s'y trouver. Du coup, ce qu'il peint devient banal, même vulgaire. Est-ce qu'on a besoin de ce genre de mannequins humanoïdes dans ses tableaux ? je ne sais pas. 

Cela dit, Giger est pourtant quelqu'un qui nous laisse entrevoir les ingrédients d'un univers spectaculairement insolite. 

J'apprécie surtout ce qu'il a fait pour le cinéma. Sa créature d'Alien est un des plus beaux monstres qui existe dans le cinéma fantastique. Il est terrifiant, il est efficace, il est beau et il fait tout pour plaire ! Ça, c'est une merveilleuse réussite. Les décors qu'il a conçus pour cette oeuvre cinématographique sont tout aussi extraordinaires. Ils contribuent à composer une ambiance très singulière qui va parfaitement avec l'histoire racontée. Ne serait-ce que pour cela, Giger a droit à toute mon estime.   

Alors de toute la série "Alien", lequel des épisodes apprécies-tu le plus ? 

Inconditionnellement le premier, parce que dans les films qui ont suivi il y a plusieurs monstres. Or, l'idée du monstre, c'est d'être unique. J'aime aussi le deuxième épisode de James Cameron, mais quand on te flanque quinze aliens, alors ils se désamorcent mutuellement et en conséquence la tension du spectateur baisse. Invariablement pour moi, l'idée du monstre est d'être seul, incomparable, unique. Le premier épisode est décidément le mieux réussi de tout le volet "Alien". Il l'est grâce aussi à la musique de Jerry Goldsmith qui pour ce film a composé une véritable symphonie de la terreur. Acoustiquement, cela approfondit une atmosphère irrésistiblement mystérieuse. Il en est ainsi en raison de l'évidence que Goldsmith a un énorme talent d'orchestrateur. Récemment, j'ai pu trouver quelques extraits d' "Alien" transcrits pour piano. Au premier coup d'oeil, c'est rien du tout. Ce sont juste des petits thèmes vaguement harmonisés. Cependant, si tu les réécoutes joués par l'orchestre, alors tu réalises ce que Goldsmith a trouvé dans le spectre des ombres, des lumières et des couleurs et comment il se sert de tous les instruments, c'est fou !


 ~ 28 ~
DIMENSIONS CINÉMATOGRAPHIQUES 

Qu'en est-il des autres films de science-fiction ? 


Je parlerais plutôt de films fantastiques. C'est ce que je préfère. Il y avait un vieux film fantastique réalisé vers la fin des années quarante intitulé "Le Portrait de Jennie" de William Dieterle. C'était un très beau film, très émouvant, très touchant. Il y a aussi par exemple un film fantastique qui est un pur chef-d'oeuvre adapté du livre "Le Tour d'Écrou" de Henry James et qui porte le titre "Les Innocents" de Jack Clayton. C'est un film en noir et blanc absolument fabuleux sorti au début des années soixante si je ne me trompe. 

C'est une histoire avec un couple d'enfants, c'est ça ? 

C'est ça. Les prises de vue y sont très très belles. Et puis il y a encore un film britannique (sorti en 1948) qui a marqué mon enfance, que j'ai revu tellement de fois ! ... que j'ai d'ailleurs ici chez moi et que je regarde presque toutes les semaines. Il s'intitule "Les chaussons rouges". Un film merveilleux.

Il est de qui ? 

De Michael Powell et Emeric Pressburger, avec Moira Shearer qui est une ballerine absolument magnifique. Dans le cinéma surtout, j'ai toujours été touché et ému aux larmes par les histoires d'amour qui se passent dramatiquement. Alors j'aurai bien sûr adoré "Nosferatu" sorti en 1922 de Friedrich Wilhelm Murnau et, cela va de soi : "La Belle et la Bête", ce film mythique réalisé en 1946 par Jean Cocteau et lequel me touche tellement que le trop-plein d'émotion me monte à la gorge à chaque fois que je le regarde ....... ou par exemple les deux versions de "King-Kong", donc évidemment celle qui est sortie en 1933 où joue l'inoubliable actrice d'origine canadienne Vina Fay Wray, et puis celle qui est sortie en 2005 je crois et tournée en Nouvelle Zélande, de Peter Jackson. Voilà, les amours impossibles m'ont toujours bouleversé ! 

Et "Metropolis" de Fritz Lang de 1927 ? 

Quelle question ! mais évidemment que j'adore ce chef-d'oeuvre ! C'est quand même incroyable ce que Fritz Lang a pu faire encore à l'époque du cinéma muet. Dans ce film grandiose, le fait qu'une partie importante de l'histoire se passe sous la surface de la terre, en même temps me fascine et me bouleverse. J'en suis viscéralement troublé. 

Ce film a une fin optimiste ... 

Oui, juste dans la toute dernière séquence. 

"2001 : L'Odyssée de l'Espace" de Kubrick ? 

C'est le chef-d'oeuvre absolu. J'avais oublié celui-là qui est par excellence dans la catégorie science-fiction. J'aime tout dans ce film : les plans, cet univers hermétique dans l'immense vaisseau, tous ces espaces de silence, les paysages cosmiques, la respiration. Et musicalement, je trouve géniale l'idée d'avoir recours tantôt à Richard Strauss, tantôt à Johann Strauss fils ou à Aram Khatchatourian avec son adagio "Gayaneh" pour deux orchestres à cordes, ou nécessairement à György Ligeti et sa "Lux Aeterna". Bien évidemment les conversations avec cet ordinateur diabolique et puis cette fin tellement mystéreuse et belle, exercent sur moi une force magnétique inédite et irrésistible. Ce film anglo-américain qui date de 1968 n'a pas vielli d'un yota. Je m'en suis rendu compte quand, tu t'en souviens ?, en compagnie de Denys Clerval, tous les trois, on était sortis le revoir en 2001 dans une salle de cinéma. 

Oui, je m'en souviens parfaitement. C'était dans l'enceinte de la Place d'Italie dans une salle de cinéma équipée à cette époque du plus grand écran à Paris. Ce chef-d'oeuvre qui m'aura inspiré plus tard dans certains de mes écrits, il faut le voir impérativement dans les meilleures conditions, donc dans une grande salle.   

J'ai aimé le fait qu'on a respecté le souhait de Kubrick. C'est-à-dire il y a eu d'abord une introduction dans laquelle on ne voit pendant cinq ou six minutes que l'écran nu avant que le film ne commence et qu'on n'entend que Lux Aeterna de Ligeti. Plus tard, vers les 3/4 du film il y a eu l'interstice, c'est-à-dire une pause silencieuse d'une dizaine de minutes, juste après la séquence dans laquelle les deux astronautes se sont concertés dans une capsule à l'intérieur du vaisseau-mère à l'abri acoustique de l'ordinateur.

Et penser que juste une année d'après, donc en 1969, Neil Amstrong aura posé ses pieds sur la Lune. 

Michel, je brûle d'envie de dire quelque chose. 

Attends que je touche à ton front ... c'est vrai, tu brûles. On appelle les pompiers. Da subito ! 

Ils ne seront pas venus à temps. 

Bon d'accord, alors je vais prendre un verre d'eau de là pendant que tu dis ce que tu as à dire, je m'offre un intermède. Vas-y ! 

Tu parlais de .............   

De l'année 1969. 

Voilà. Depuis cette date il n'y a pas eu d'autres hommes sur la Lune. Cela fait donc presque 35 ans que rien ne se passe en apparence dans ce domaine. Il y a deux arguments implicites qui semblent justifier cette anomalie : 1) La Lune est inintéressante, parce qu'il n'y a rien à sa surface et 2) ça coûte cher d'y aller.   

Cependant, on injecte des milliards de sous dans les laboratoires, les conflits et les guerres en tout genre et surtout dans l'industrie médiatique qu'on utilise pour programmer la pensée humaine sur cette planète. Les deux arguments évoqués ne sont rien de plus qu'une mystification de taille cosmique que de plus en plus de gens ont vraiment du mal à digérer. 

La NASA par exemple ne montre que ce qu'elle veut montrer et dans ce qu'elle nous laisse montrer, la plupart des photographies sont soigneusement "adaptées" et "améliorées" pour ne pas heurter notre sensibilité. À un moment, cette organisation a essayé de se rattraper tant soit peu, mais je crois qu'il est trop tard. La NASA a perdu beaucoup de sa crédibilité et n'est plus une référence aux yeux de chercheurs et scientifiques rigoureux, intègres, honnêtes, courageux et indépendants. 


Il est temps que ça change ! 

Oui, la situation est en train de changer. Pendant cinq jours du 29 avril au 3 mai 2013 à Whashington DC, a eu lieu le congrès international The Citizen Hearing on Disclosure avec des dizaines d'heures d'écoute de témoins et de scientifiques parmi lesquels il y avait l'investigatrice américaine Linda Moulton Howe, l'ex-ministre de la défense canadienne Paul Hellyer ou l'astronaute Dr Edgar Mitchell (mission Apollo 14 en 1971) etc. Un documentaire intitulé "L'embargo sur la vérité" produit par ce congrès vient de sortir. Voilà, c'est ce que j'ai voulu dire. 


 ~ 29 ~
ASSISTANCE 

Michel, tu aimes aussi les documentaires qui parlent de la vie sur notre magnifique planète bleue telle qu'elle est censée avoir été il y a des centaines de milliers d'années. Le fait que ce que contient Le Muséum d'Histoire Naturelle à Paris t'hypnotise tant n'est pas dû au hasard ... 


Les dinosaures ! Quelles créatures formidables ! Oui, tu m'as offert un jour un coffret avec toute une série de cassettes VHS (c'était ça la technologie du moment) sur ces animaux préhistoriques. Je crois que c'était une série britannique, une reconstitution scientifique de la vie sur Terre d'avant l'extinction énigmatique, parce que brusque et définitive de toute cette faune. 

Oui, c'est ça. 

Une très belle série. Quand tu regardes les squelettes de ces animaux ou ce que les paléontologues et les cinéastes peuvent nous en reconstituer, avoue qu'il y a de quoi être bouleversé. Quand on regarde ce qu'étaient un ptérodactyle ou un brontosaure, il y a quand même matière à réfléchir. Quand on contemple le fameux tyrannosaurus rex, quand on voit sa taille, sa tête avec sa mâchoire terrifiante, sa queue, ses gigantesques pattes de derrière et ses minuscules, quasi atrophiées pattes de devant, il est impossible de ne pas se poser des questions. Est-ce que Darwin a vraiment raison ? 

Hum, n'oublions pas que le darwinisme qui a joué son rôle dans les cercles académiques, n'en reste qu'une théorie que notre monde s'est empressé de prendre trop vite pour vérité. Cette théorie se désagrège aujourd'hui irréversiblement. Il y a de plus en plus de découvertes et d'artefacts qui dérangent la police scientifique. 

Je pense que ce genre d'exubérance laisse supposer qu'il y a bien eu, à maintes reprises, des ... essais. C'est comme si La Nature avait fait des expériences pour tester quelque chose ... 

Dans mon entendement, ce n'est pas La Nature seule qui a fait ce genre d'exubérance comme tu dis. Les plus récentes révélations scientifiques nous dirigent vers des possibilités totalement inattendues et jusqu'ici difficilement imaginables. 

Quoi qu'il en soit, le fait qu'à un moment donné et cela pendant très longtemps régnaient sur la Terre ces animaux à la fois tellement beaux, terrifiants et monstrueux donne à réfléchir. Bon, ils n'étaient peut-être pas aussi dangereux que la Marquise de Merteuil que tu provoques dans ta peau de Valmont, mais quand même ! [rires] Pourquoi par exemple cette extinction a été tellement violente ? Oui, on sait qu'un astéroïde gigantesque a percuté cette planète, mais en définitive, était-ce un hasard ? Et l'Homme dans tout ça, quelle est sa place ? 

À nos yeux des terriens habitués à avaler machinalement toute une production à la chaîne de films de science-fiction où quasiment à chaque fois, ce qui est inconnu, ressort comme synonyme de danger, de péril, de survie et de lutte pour la survie, existe-t-il un autre mode d'emploi ? 

Bien sûr. Il est évident pour moi qu'il existe d'autres modes d'emploi. Toujours est-il que ... au moins pour l'être humain, l'inconnu fait peur. Il en a toujours été ainsi. C'est manifestement inscrit dans nos gènes. Bien sûr que des procédures et des solutions tout à fait bénéfiques pour l'humanité sont parfaitement envisageables, possibles et donc réelles. Mais c'est la peur de l'inconnu qui fait que sur nos écrans nous avons toute cette production de films qui sont faits pour faire peur. 

Que dis-tu de la réalité parfaitement possible d'une vie extraterrestre qui soit intelligente au point à en représenter une civilisation ? Une civilisation qui soit à la fois pacifique et spectaculairement plus développée à tous les niveaux, c'est-à-dire spirituel, artistique, écologique, scientifique et sociologique ? 

D'abord, il faut être magistralement obtus et borné pour penser que seule la planète Terre est habitable. Prétendre à cela aura été synonyme d'une étroitesse d'esprit suffocante et d'un manque d'humilité total comparable seulement à l'état d'esprit de l'humanité tel qu'il fut à la veille de la découverte copernicienne. Quand on regarde le ciel par une nuit étoilée, il est pour moi simplement aberrant de douter de cette évidence. Nous savons aujourd'hui, preuves astronomiques à l'appui, qu'il existe un nombre incalculable de systèmes stellaires avec leurs exo-planètes. Alors oui, j'espère qu'il y a des civilisations auprès desquelles nous pourrions apprendre énormément pour un mieux-être général dans tous les secteurs et à tous les niveaux de la vie au quotidien. 

Sincèrement, nous ne sommes pas seuls. 

Tu dis juste :  nous ne sommes pas seuls. Il y a déjà Harm qui est en train de faire mon portrait. [rires] 

Tu vois Harm ? [à Harm] Maintenant tu AS la confirmation de tes origines extraterrestres. Bienvenu au club ! [fous rires] 


 ~ 30 ~

ALLEGRETTO CON RISO 

Quand on rit de bon coeur, tout va mieux !
Tu aimes les comiques professionnels ?
 


Non, personne de cette catégorie professionnelle ne me fait rire, à une exception près quand même qui est celle de Buster Keaton. Il est incroyablement drôle dans ce qu'il fait et en même temps irrésistiblement lunaire et mélancolique. Son humour est totalement surréaliste. 

Je vais privilégier diverses scènes d'un film comme "Amarcord" de Fellini où on peut se régaler par exemple avec les séquences tirées de la vie des écoliers et de leurs professeurs. Ces derniers sont tellement drôles ! (les élèves d'ailleurs n'en sont pas moins) que j'en ris jusqu'aux larmes. Et pour la plupart, ce ne sont pas des comédiens professionnels, mais des gens engagés pour jouer juste dans deux ou trois séquences. Du coup, quand je pense à Fellini et à son "Casanova" interprété par l'inimitable acteur canadien Donald Sutherland, la scène qui est vraiment comique, c'est celle dans laquelle Casanova s'entretient à table avec une belle aristocrate. Leur conversation est très sérieuse. Ils parlent d'une personnalité qui s'avère arrogante à l'extrême. Ce n'est qu'au bout d'un temps qu'on s'aperçoit que ladite personnalité n'est rien d'autre que ...... le savoureux derrière de la belle aristocrate. C'est en réalité l'aristocrate en personne qui dit : "Mais , ce qu'il est arrogant, mon derrière, c'est insensé comme il est arrogant !" [rires]

    
Et les dessins animés ? 

C'est un univers MERVEILLEUX !! J'adore les dessins animés. Les récents me plaisent moins parce qu'ils se rapprochent de plus en plus de la réalité. Ce sont presque des images normales. En revanche les vieux dessins animés ont gardé cette fraîcheur de rêve incomparable et du coup jamais reproduite, ce qui est un peu dommage. Et puis, c'est un univers plat, ce qui rejoint le chapitre où je m'exprime au sujet de mes sources d'inspiration. En tout cas, il y a bien sûr des dessins animés qui me font rire. 

Comme "Cendrillon" de Disney par exemple ? 

Oui et dedans me plaît surtout Lucifer, c'est-à-dire le chat. Si j'ai bonne mémoire, c'est le seul personnage qui ne parle pas dans ce film, tout comme notre ami Harm aujourd'hui. 

Harm, je ne savais pas que tu es un ange ...
[fous rires] 
 
 


Michel, je ne suis pas le seul ... 
... ange ? Pas du tout, si jamais tu en es un, ce qui me paraît étrangement vraisemblable ... 

... je ne suis pas le seul ... 

parmi les terriens ? Mais bien sûr que non, on s'est déjà identifiés !

Laisse-moi finir ma question, s'il te plaît [rire] 

Vas-y ! 

Je ... ne suis donc pas le seul à constater que tes qualités sont multiples.   

Chiche ! 

À mes yeux, il y en a trois qui s'équivalent et se complètent de manière intime. 

Seulement trois ? 


1) Tu es habité d'une force lucide supra-conductrice manifestée dans ton talent d'artiste peintre. Cette force te permet de compulser diverses strates d'enregistrements mémoriels profonds depuis lesquels tu transcris et transmets des messages d'importance catalytique majeure. Ces messages concernent directement et/ou indirectement une ingérence dans les formes de vie consciente sur la planète Terre. 

Hum ............ et ma qualité numéro 2 ?   

2) Tu es honnête, responsable et intègre dans ce que tu fais. Tu travailles assidûment et avec une régularité exemplaire. 

Ah bon ? ............ Cette qualité numéro 2 contient plusieurs qualités. Tu es un mauvais comptable Irénée, mais bon, ça va. Et ma qualité numéro 3 alors ?   

3) Tu es un bon vivant. 

Je vois parfaitement où tu veux en venir. Tu as soif et tu veux un verre de vin d'ici. Je te sers ? 

Pas maintenant, ce sera pour plus tard [rire] 

Attends un instant. Tu as dit que j'ai cette faculté de compulser diverses strates d'enregistrements mémoriels profonds. Ce terme "mémoriel", que veux-tu dire au juste ? 

À la rigueur, ce terme pourrait être remplacé par "akashique". La racine "akash" vient du sanskrit et signifie "mémoire". Je n'aime pas trop utiliser ce mot, parce qu'il est surexploité dans la mouvance New Age où il y a, certes, quelques ingrédients dignes d'un grand intérêt, mais où à la fois on fourre tout et où l'amateurisme, la mystification et le manque de discernement règnent en maîtres incontestés. Quoi qu'il en soit, pour ce qui nous préoccupe ici, il s'agit d'enregistrements de dossiers indestructibles, mais modifiables qui sont de nature quantique éthérique. Notre planète est aussi une bibliothèque vivante.  

Ça me dépasse. 

Non, c'est toi qui te dépasses, mais si ça te rassure, ça me dépasse aussi. 

Bon, alors pose ta question suivante. 


~ 31 ~
SANS ÉTIQUETTE

Il existe de part le monde tellement de gens qui s'évertuent en exhibant leurs titres universitaires, leurs récompenses, leurs parcours jalonnés d'applaudissements. Bien sûr, nous comprenons fort bien que souvent leurs victoires personnelles ont été durement acquises à la suite de compétitions et de concurrences acharnées en tout genre. Dans le domaine de l'art au moins ... est-ce que les brevets, diplômes et certificats sont vraiment incontournables ? Si nous nous limitons à ce genre de conditionnement, un jour l'histoire de l'art risque de s'arrêter pour de bon. Dans ce paragraphe, la question que je formule donc à l'adresse de Michel Henricot qui est autodidacte et Maître EN DEHORS DE TOUTE COMPÉTITION, est la suivante : Qu'en dis-tu ?   


Nous vivons dans un monde où il y a de moins en moins de personnes qui ont des parcours artistiques façonnés par les écoles. De moins en moins de gens sortent des Beaux-Arts. C'est un phénomène social que tout un chacun peut observer pratiquement de partout. Il en est ainsi parce que la sensibilisation à l'art, à ce qui est beau, intemporel et transcendant, n'est pas du tout la préoccupation majeure de nos systèmes d'éducation et cela déjà au niveau de l'enseignement secondaire pour le moins. Ce qui est aberrant, c'est le fait que l'éducation artistique où l'imagination joue sa fonction de base, est congédiée au second plan comme si elle était d'importance mineure. Pourquoi ? je ne sais pas. Signe des temps ? mais alors que veut dire ce signe ? Que pourrais-je dire de plus là-dessus ....... J'aurais bien aimé fréquenter les Beaux-Arts, mais je n'en ai pas eu l'occasion. Je devais travailler très tôt. C'est peut-être le bon moment de réfléchir très sérieusement à tout ça et d'agir en conséquence sans tarder. La situation est complexe et inquiétante. 

Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner que pour la plupart, les gens que l'art interpelle dans les strates de leur nature la plus profonde, deviennent autodidactes, comme cela a toujours été mon cas. Puisque nos sociétés - dans le giron de ce qu'elles sont devenues - éloignent, banalisent et dévalorisent ce qui est vital pour elles, alors non, je ne crois pas qu'un parcours académique soit indispensable pour devenir grand artiste et artiste tout court.

Un parcours académique peut être utile et enrichissant à qui éprouve le besoin de se construire de cette façon. Toujours est-il que les plus grands artistes n'ont pas besoin de se construire de cette façon et peuvent se passer de diplômes royalement. Contemplatifs et nourris par ce qui les fascinent et par ce qui les propulse, ils s'emploient d'eux-mêmes à composer une musique, à sculpter une main, à chorégraphier un pas de deux, à dessiner un portrait, à graver un paysage, à incarner un personnage, à écrire un livre, à peindre un tableau. Il suffit de plonger tant soit peu dans l'histoire de l'Art pour saisir immédiatement cette évidence. 

Et le mécénat ? 

À quelques exceptions près, les mécènes sont aujourd'hui une espèce en voie d'extinction comme les dinosaures en raison de ce que je viens de dire. Je n'ai pas de mécène et pourtant je vis de ce que je crée. Cela dit, les mécènes auront toujours été bienvenus. Le mécénat est une autre façon de coopérer avec les artistes. 

Quelqu'un a dit une fois que si un artiste ne vit pas de son art, il n'est pas artiste. Partages-tu ce point de vue ? 

C'est stupide ! J'ai l'impression qu'on se noie là dans des arrière-pensées mercantiles. Si on adopte ce genre de point de vue, alors il faut rayer de l'histoire de l'art la plupart des artistes et souvent d'excellents artistes. Combien de prédateurs se sont fait des fortunes une fois l'artiste enterré au cimetière ! Van Gogh était un minus ! 

Bingo !


 ~ 32 ~
DEUX UNIVERS

Est-ce que les rêves remplissent une fonction dans ton travail de peintre ? 


Pas vraiment. Je fais des rêves pratiquement toutes les nuits. J'ai souvent l'impression d'être très fatigué le matin, tellement j'ai rêvé. C'est comme un cinéma permanent ... mais je ne fais jamais de rêves pouvant plus tard avoir une issue sur ma peinture. Je peux ajouter que je ne suis pas concerné par le rêve éveillé ou par ce qu'on appelle songe ou rêverie.

Alors, est-ce que les rêves remplissent une fonction dans mon travail ? Non. Pour moi, l'univers des rêves n'a rien à voir avec l'univers de la peinture. Ce sont deux mondes totalement différents. L'univers des rêves se situe juste au sous-sol, tandis que l'univers de la peinture se trouve beaucoup plus bas. Il en est ainsi du fait que l'élément fondamental de l'univers de la peinture est d'essence abyssale. Ce qui signifie que c'est un univers beaucoup plus archaïque parce que descendant vers des strates de mémoire TRÈS PROFONDES. Jamais je n'aurai eu d'interférence entre les rêves et la peinture. Jamais. 

Quand tu commences un nouveau tableau, qu'est-ce qui se passe ? Le vois-tu déjà tout entier ou il y a une progression, une concrétisation dans le temps ? 

Quand je commence un nouveau tableau, je le vois mettons à cinquante ou à soixante pour cent. Ensuite, en cours de route, je peux tenir compte des imprévus, des revers et tout naturellement des accidents qui arrivent et qui peuvent être dérangeants ou bénéfiques pour le tableau. Je les écarte alors ou je les utilise, c'est selon. Je ne pars jamais dans le vide.   

Le vide est par ailleurs perpétuellement habité de quelque chose, ne serait-ce que d'une conscience et c'est déjà énorme ! Il se peut que ce soit donc quelque chose d'invisible, pourquoi pas. L'espace cosmique n'est pas du tout un vide. Il en est de même avec toutes les possibilités imaginables et inimaginables qui se trouvent de l'autre côté d'une porte fermée, quand on ne sait pas ce qu'il y a au-delà. Et si jamais il y a un vide, il aura été habité. C'est une autre façon de dire que je ne pars jamais dans le vide. 


Les êtres que tu peins apparaissent quelquefois comme inscrits dans une phase transitoire ou dans un résultat d'hybridation. Ceux de ces êtres qui ont des corps parfaitement humains sont assez souvent en présence d'autres entités ressurgies depuis d'autres dimensions de notre réalité. Veux-tu t'exprimer à ce propos ?   

Les humanoïdes hybridés dans leur apparence comme tu dis ont quelque chose d'incarné en eux, ce même quelque chose qui est peut-être plus facilement définissable lorsque je peins une entité juste derrière un humain. J'appelle ces entités "anges". Je préférerais un autre terme à celui-ci, parce que "l'ange" peut avoir des connotations religieuses et ce n'est pas de ça du tout que je parle. Quoi qu'il en soit, une entité comme ça nous dirige d'une certaine façon, nous guide, nous protège. Ces créatures ne sont pas nécessairement maléfiques, en tout cas pas pour l'humain qu'elles protègent. Elles sont néanmoins dotées d'une influence, d'une force et il existe une connexion intime avec l'humain qui est devant et qui ne voit pas tout. L'aspect à la rigueur inquiétant de ces créatures peut être trompeur. 

Personnellement, je ressens que dans certaines circonstances bien précises, tu as la faculté de te remémorer de l'existence de diverses consciences individualisées dans les spectres de la deuxième et peut-être même de la première dimension de notre monde, c'est-à-dire dans les dimensions aux fréquences dites astrales et en l'occurrence plus denses où la lumière n'est pas telle que nous la connaissons dans notre troisième dimension et où les formes de vie manifestées divergent des nôtres. En tout cas pour moi, ta peinture est complexe et révélatrice aussi dans ce domaine. 

Je ne sais pas. Mais dis donc, une première dimension ? Quelle en pourrait être la particularité ? 

Depuis la perspective d'une fréquence lumineuse spécifiquement dense et propre à la première dimension ou à la première octave si on préfère, les êtres qui y séjournent verraient simultanément aussi tout ce qui se passe dans les deux octaves supérieures, donc la deuxième et la troisième. Pour ces êtres, les images se juxtaposent comme quelquefois dans un hologramme. Ainsi, ces êtres peuvent nous voir, mais nous dans notre troisième dimension, nous ne les voyons pas. Je ressens aussi qu'il existe des êtres dotés d'une faculté de modifier leur taux vibratoire et de changer de dimension, donc par exemple ils peuvent descendre même jusqu'à la première dimension et puis d'en remonter. Je pense que certains serpents en sont parfaitement capables. Les anciens Sumériens appellent les trois premières octaves dimensionnelles "Kigal", tandis que les indigènes de Gizeh en Égypte appellent les souterrains de ce plateau moyennant le terme "Gigal".   

Difficile de dire que ce soit un hasard. 

Mais lorsque tu peins une barque et un être qui est dedans, c'est une autre histoire, même si tout est interconnecté. Une scène de ce genre tient lieu véritablement dans notre monde. 


 ~ 33 ~
UN GUÉRIDON-BALADEUR

Que diras-tu de l'idée d'incarnation et donc aussi de réincarnation ? 


Quand j'étais très jeune, j'ai connu personnellement le successeur d'Alain Kardec, le fondateur de tout ce mouvement des spirites. Un jour, ce successeur, quelqu'un de très sympathique, a vu mes tableaux et a pensé que j'étais médium. Alors il m'avait fait un tas d'expériences avec le ouija, c'est-à-dire cette planchette de bois sur laquelle sont inscrites les lettres, aussi les chiffres et deux mots "oui" et "non". À cette époque, je t'assure que dès que je posais mes mains juste au-dessus du ouija, la table entière se soulevait. 

J'étais un médium extraordinaire jusqu'à à peu près dix-huit ou dix-neuf ans. Ce phénomène, quand la table se soulève - et ça a souvent été en présence d'autres personnes - était vraiment intéressant, parce qu'il n'y avait aucune espèce de trucage. Donc ça marche, bien que je n'y aie jamais cru. On m'invitait beaucoup à ce genre de séances. Dès que je posais mon doigt sur le ouija, tout bougeait. Même les guéridons se baladaient.

Il y avait des conversations à n'en plus finir.  J'ai toujours observé que ça marchait, donc il est indubitable que diverses réalités que nos cinq sens n'arrivent pas à identifier, existent bel et bien. Cela dit, j'avais du mal à croire que c'est aussi simple que ça et d'ailleurs je n'ai pas vraiment cru que c'étaient ce que les gens appellent "esprits". Un esprit qui tape sur un guéridon ? C'est trivial. Mais qu'est-ce que c'est que cet esprit ! Donc bien sûr on parlait beaucoup de réincarnation dans ce milieu, de fantômes et d'esprits de mères ou de cousins défunts qui revenaient pour transmettre des messages et tout ça. 

Au bout d'un temps j'ai donné un grand coup de pied là-dedans parce que j'avais dix-neuf ans, parce que j'avais envie d'autres choses et parce que je n'aimais pas toute l'atmosphère qui entourait tout ça et qui était sinistre, vraiment sinistre. Plus tard, j'ai beaucoup réfléchi au phénomène de réincarnation. Il y a quand même des faits extrêmement troublants. 

Je pense notamment à l'histoire d'Agustin Lesage, un mineur qui est devenu peintre. Or, une voix lui dit un jour d'aller à tel endroit bien précis, de se pourvoir de tous les outils nécessaires pour peindre et de se mettre de suite à la peinture. Je crois que c'était en 1911. Lesage aura réalisé des tableaux qu'il peignait méthodiquement souvent des deux mains comme ça [geste]. Il aura fait des fresques très belles dont l'origine sous forme d'un reflet parfait sera trouvée dix ans plus tard dans un tombeau. Les peintures de Lasage ont été inspirées pour la plupart directement de l'art de l'Égypte antique.

En définitive, tout cela ne peut pas être réduit à quelque chose de banal et de sommaire. Toutes ces histoires de guéridons-baladeurs, mais qu'est-ce qu'on y comprend ?! L'enchevêtrement entre les mondes me paraît vraiment complexe. On ne voit que le sommet d'un iceberg. 

Je comprends à plus forte raison que j'ai connu de manière un peu différente ce genre de phénomène.   

Beaucoup de gens parlent de réincarnations comme si le temps était linéaire sur d'autres plans, ce qui semble, en tout cas pour moi, ne pas être le cas du tout. Les autres dimensions où la perception du temps est totalement différente se déploient sur d'autres fréquences que doit caractériser un autre taux vibratoire. Donc, les autres incarnations et les réincarnations semblent aussi parallèles ou simultanées par rapport à ce que nous explorons en 3D. Dans certaines circonstances, il se peut qu'il y ait des interférences. Nous ne pouvons pas mesurer tout ça avec nos moyens spatio-temporels d'ici. C'est complexe.   

Oui, c'est ça.   

Tu connais l'histoire de Dorothy Louise alias Omm Sethy ? 

J'ai entendu vaguement, tu peux me rappeler ? 

Elle est née Dorothy Eady Louise à Londres en 1904, la même année où on a déterré à Abydos une structure architecturale considérée comme la plus ancienne à ce jour en Égypte et qui est dénommée Osiréion. À l'âge de trois ans, Dorothy fait une grave chute dans un escalier, est déclarée morte par le médecin, pour reprendre connaissance quelques heures plus tard. 

À partir de ce moment-là, elle fait des rêves lucides étranges où elle se trouve dans un grand temple avec d'immenses colonnes et un jardin. Elle veut rentrer chez elle, mais son chez elle n'est pas la maison de ses parents. Une fois, en voyant une photo d'Abydos, elle a l'inébranlable certitude qu'elle a trouvé la source de ses rêves et de ses visions et s'étonne pourquoi cet endroit est en ruines. Des années plus tard, elle étudie l'égyptologie sans passer par les écoles, apprend à déchiffrer les hiéroglyphes et prétend être en communication avec un pharaon. Elle s'installe définitivement à Abydos en 1956 où elle coopère avec des archéologues et où elle restera jusqu'à la fin de ses jours. Elle se remémorait de tout les détails ... 

... et disait aux scientifiques de fouiller à tel endroit pour trouver tel objet et jamais elle ne s'est trompée ! 

EXACT ! 

C'est troublant, on a du mal à expliquer ce genre de phénomène. Comme je disais tout à l'heure, les autres dimensions où la perception du temps est totalement différente, se déploient sur d'autres fréquences. Dans le cas de cette femme, je ne sais pas, cela semble ne pas être quelque chose dont on va dire que ce n'est qu'un fantasme ou une hallucination. Cette femme semble avoir été ... je ne sais pas ... avoir subi une sorte de possession ? Comment tu vois ça ? 


Je ne crois pas que ce soit le cas d'une possession. Celle-ci n'est jamais faite avec un accord. Ici, c'est une histoire d'un amour impossible. Je pense qu'il s'agit là d'un walk-inC'est un échange vibratoire de nature astrale au niveau de l'essence vitale et de sa conscience. Cet échange résulte justement d'un accord signé énergétiquement entre deux consciences individualisées qui savent qu'il y aura eu un moment propice (chute dans l'escalier) qui, à son issue, puisse permettre cet échange. L'essence vitale (ou l'âme) d'une femme qui a connu un pharaon, entre dans un corps déjà formé de la petite Dorothy et à ce moment précis Dorothy part définitivement de ce monde vers d'autres plans de la conscience. Ce genre de phénomène existe et tient place pour diverses raisons. L'une d'elles sera, je pense, pour nous entr'ouvrir certaines portes dans notre propre évolution, mais aussi pour catalyser quelque chose d'important aux yeux de notre civilisation et de sa conscience collective. 

Alors d'après ce que tu dis, après cette chute dans l'escalier, c'est quelqu'un de totalement différent, une autre personnalité. Très intéressant ! En tout cas, c'est complexe. Cela me rappelle la chute d'Alice dans le terrier du lapin blanc et toute l'histoire qui s'en suivit ! 


 ~ 34 ~
FACULTATIVEMENT 

Est-ce que tu as des projets ? 


S'il s'agit d'une exposition, non, pas dans l'immédiat. Par contre, j'ai plein d'idées en tête et beaucoup de projets pour mon travail. Je suis maintenant intrigué par des inscriptions antiques écrites ou gravées dans la pierre. 


J'ai l'intention de peindre quelques tableaux avec une inscription composée en araméen. Une première toile de cette série est déjà faite. 

Une des langues dans lesquelles s'exprimait Jésus. 

Oui. 

Un voyage ? 

J'aime de moins en moins voyager, parce que les déplacements géographiques distants m'enlèvent de mon atelier et me distraient de mon travail. Ce que j'avais envie de connaître dans le monde, je l'ai connu. Je suis allé à Pétra, en Égypte, en Inde ... Je voudrais bien voir la Capadoce avec tout ce réseau d'habitations troglodytiques et surtout ses villes souterraines. Le reste, non, cela me paraît un tourisme vain qui n'est pas fait pour moi. 

Je crois que tu penses à Göreme en Turquie avec cette ville souterraine qu'a fait construire Enlíl-Seth, l'adversaire familial d'Osiris. 

Est-ce que tu t'intéresses à la politique ? 

Non. 

Moi non plus. [fous rires] Tu regardes la télévision ? 

Vaguement, très distraitement. Un peu d'infos, mais pas trop, parce ce que ça soûle. Quand je regarde les infos, ce qui m'intéresse, c'est quasi exclusivement la couleur de la cravate du présentateur. [fous rires] 

Des journaux ? 

J'achète quelques journaux le matin juste pour me tenir vraiment vaguement au courant de ce qui se passe. 

Tu sors dans un restaurant ? 

Très peu à cause du bruit qui règne dans ce genre d'endroits ...

[Michel saisit de nouveau le caillou]


[Silence prolongé] 



 ~ 35 ~
EN-DESSOUS DE NOS PIEDS

Il y a encore une chose qui me fascine dans ta peinture, à savoir la source de lumière. Celle-ci ne se laisse pas facilement identifier ... 


J'ai toujours eu le sentiment que je peignais des scènes qui se passaient dans les souterrains, donc dans d'énormes cavernes, grottes, salles, couloirs, cryptes et autres espaces énigmatiques pour la plupart étonnamment vastes, même gigantesques, enfouis très TRÈS PROFONDÉMENT sous la surface de la terre. Chose singulière : il y a quand même une atmosphère et un ciel. Au-dessus du ciel, il y a la croûte terrestre. 

C'est-à-dire, c'est un monde par excellence concret qui se situe en-dessous, à une profondeur insondable sous la surface de la planète. Je ne peux pas te l'expliquer : c'est quelque chose que je ressens toujours vraiment très fort, au point à en avoir la conviction irrésistible que je connais ce monde et que ce monde constitue une réalité tangible. La lumière y est donc nécessairement diffuse et tamisée. 

C'est fascinant ce que tu dis. Les scientifiques s'aperçoivent que les aurores boréales ne sont pas dues à ce que l'on a supposé et soutenu à ce jour. Les conjonctures des vents solaires et des champs magnétiques s'avèrent incompatibles pour pouvoir expliquer ce phénomène. D'aucuns commencent à envisager très sérieusement la bouleversante possibilité d'une source de lumière en provenance du centre de la Terre. Si ça se trouve, notre planète est creuse avec un soleil intérieur de structure cristalline.  

Après tout, la conviction que notre planète n'est qu'une boule mi-liquide mi-solide faite de magma, de lave essentiellement métallique et de feu dans son noyau ne résulte que de spéculations jamais fondées qu'on a prises peut-être trop vite pour certitude et qu'on nous a enseignées à l'école.   

Oui. Il est temps de reconsidérer avec grand soin ce qu'en disent les anciens Sumériens, les Tibétains, les Hopis d'Arizona ou encore les Esquimaux avec quelques autres peuples et de nous pencher avec une attention accrue sur le cas d'un pilote américain du nom Richard E. Byrd mort en 1957. Il sera intéressant de revoir une série de photographies prises au-dessus du Pôle Nord en 1973 par un satellite ATS3 ... attends une seconde, que je vérifie dans mon cahier ... oui c'est ça, ou encore par le satellite ERS en 1992 au-dessus de l'inexistante en réalité banquise de Ross en Antarctique ... 

Tu laisses entendre qu'il y a quoi ? des trous ? une espèce d'entrées ou de vortex ? 

Oui. 

Alors Jules Verne n'est pas entièrement à côté de la plaque ! C'est quelque part rassurant. 

Il n'est pas entièrement à côté de la plaque.   

Tu sais, il adorait les encyclopédies et les dictionnaires scientifiques de son temps, a dû connaître un muséum d'histoire naturelle et puis par-dessus tout avoir une mémoire vraiment singulière. Une planète creuse, ah quelle merveille !  Je pense que tout cela ne nous empêche en rien de reconnaître le fait qu'un plateau de Gizeh peut receler à lui seul des souterrains qui abritent des révélations phénoménales. 

Tout à fait. 


 ~ 36 ~
SANS COMPROMIS 

Est-ce que la réalité t'inspire ? 


Non. Je ne me suis jamais inspiré par la réalité. Je peux être inspiré par des choses réelles à condition qu'elles soient sur un support plat, c'est-à-dire photographiées ou reproduites. Jamais un tableau de moi n'est parti d'un objet qui soit là dans un décor tridimensionnel. Cela part d'une image, donc d'un repère bidimensionnel. Je ne puis démarrer un tableau qu'à partir de documents, de références et de supports plats du genre photographie, gravure, reproduction, illustration. Tu es aussi un de mes modèles et tu vois bien comment je travaille. Le corps d'un modèle doit être de préférence photographié d'abord. Par la suite, je pars donc d'un support plat qui définit une surface. Cela a toujours été comme ça. 


 ~ 37 ~
INTERSTICE

Pourquoi de temps à autre tu as recours au thème de la barque ? 


Il s'agit d'un passage, peut-être le plus important de notre vie, de ma vie. Il y a donc un fleuve majestueux comme le Nil Souterrain ou le Styx avec ses rives et son lit. On voit que ses eaux amniotiques sont patientes et très calmes parce que faites probablement de courants contemplatifs de leur propre mémoire, de cette mémoire manifestée si intimement ... et venant depuis une conscience cosmique supra humaine qui simultanément immerge et dépasse tout.   

Quand j'étais en Égypte, j'ai fait une partie de mon voyage en bateau sur le Nil. Oui, j'étais alors témoin de toutes ces contrées figées somptueusement dans le temps. Elles défilaient sous mes paupières que je gardais ouvertes de manière différente. Soudain, je me suis retrouvé au milieu entre deux mondes, en ce milieu artériel qui me permettait de traverser tous ces paysages bibliques que mon coeur reconnaissait. 

Alors je baisse mes paupières comme autrefois tellement de fois je l'ai fait pour voir ce que je peux voir au plus intime de qui je suis ... et je vois une barque et dedans ... il y a un être qui sait qu'il y a l'Autre Rive, même s'il ne La voit pas (encore).


[Silence prolongé] 


 ~ 38 ~
UNE OUVERTURE 

À ton avis, vers quoi se dirige notre monde ? vers quels horizons ? Voudrais-tu dire quelque chose pour clore notre rencontre ? 


Nous vivons dans le cadre d'une civilisation de surface. Si cette civilisation continue de penser comme elle pense et de faire ce qu'elle fait, elle va inéluctablement vers le chaos. J'en suis profondément persuadé. L'humanité se dirige vers sa propre implosion à grands pas. Il ne faut pas se faire d'illusions là-dessus. Tant que les attitudes et les modes de réflexion et d'action n'auront pas changé, on va vers le précipice. D'ailleurs nous sommes déjà à son bord. Il faut être cosmiquement naïf et borné pour ne pas voir, pour ne pas constater que rien n'a fonctionné dans ce monde. Aucun système politique, économique et social n'a marché. De surcroît, la mentalité de tant de gens est atrocement terrible. Ce qui intéresse maintenant les peuples, c'est le sacro-saint "pouvoir d'achat". C'est tout simplement aberrant. Que représente un tel "pouvoir" ? Tu approuves ce terme, Irénée ? 

Pour moi, ce terme est véhiculé par une civilisation repliée sur elle même, une civilisation non éclairée et implosive. Tellement de gens se déresponsabilisent, montrent du doigt les autres et vendent leur âme pour ce prétendu "pouvoir" ! Tellement de gens en réalité n'en arrivent qu'à atrophier et en définitive à détruire leur véritable pouvoir personnel ... Le pire, c'est que ces gens se déconnectent de la Nature d'une manière ou d'une autre et arrêtent de penser par eux-mêmes. En conséquence, ils ne savent même plus ce que veut dire l'intuition et le discernement. Si jamais ils connaissent la signification de ces deux forces, ils ne savent plus ni à quelle fin, ni comment les utiliser. 

Mais oui, c'est ça le paradoxe ! Quand on regarde toutes ces réunions sur plateau, tous les référendums, tous ces débats et toutes ces revendications, il n'y a qu'un seul mot d'ordre qui revient en boucle et qui sonne "pouvoir d'achat". C'est indigeste. 

Tout cela relève en grande partie de la philosophie du profit. Dans le profit - n'en déplaise aux économistes et autres figures politiques de référence - il n'y a aucune éthique, aucune pensée qui élève. Je ne parle même pas de morale, car je n'aime pas ce mot. Il ne peut en être autrement parce que le profit est le fruit empoisonné d'un système économique cancéreux. Ce système s'auto-détruit et notre civilisation avec. Elle n'est pas victime de ce système, parce que c'est elle qui l'a conçu, l'a mis en place et c'est elle qui ne veut pas s'en débarrasser par manque d'imagination.


[silence prolongé]



Je ne sais pas si la solution serait dans l'art. Ce qui est certain, c'est que l'art est un refuge à partir duquel on aura eu les possibilités et les moyens d'agir, peut-être pour qu'au moins une partie de cette humanité terrestre s'éveille et change sa manière d'être. 

Cela dit, en ce qui me concerne, je tiens toutefois à préciser que je n'ai jamais eu la prétention de transmettre des témoignages à l'humanité entière, oh non. Tous ceux qui découvrent et apprécient ma peinture, y puisent ce qu'ils ressentent au plus profond de ce qu'ils sont.   

Tiens Irénée, un rayon de soleil ! Le temps s'éclaircit pour de bon


Ainsi,
je contribue à ma façon 
à construire quelque chose de vibrant 
au travers de nos masques et de nos comportements consensuels 
qui nous étouffent, quelque chose qui, tel un rayon de laser, 
transperce toutes ces strates abyssales de notre mémoire, 
quelque chose qui nous aide peut-être à repérer 
les sources de notre drame. 

Tout cela dans l'exercice d'une Conscience indéfinissable qui nous immerge 
et qui nous dépasse extraordinairement pour que l'Homme 
qui est tel qu'Il est, puisse aller de l'avant
 .......................................... 
... vers l'Autre Rive ... 
...  

Michel, je te remercie de tout mon être pour cette ouverture 

Je t'en prie  





Je vous laisse tous les deux. 
Harm, je te remercie de travailler 
sur le portrait 
de Michel Henricot

.                                                                                                                                                                                                      .

À l'exception de la photo avec raisins faite par Yohannes Theron pour la pièce de théâtre "Casanova" de Irénée Sikora, toutes les 44 photos présentées dans l'interview 
avec Michel Henricot sur les pages FlorRaison en novembre 2013, 
ont été réalisées par Harm Kuijers & Irénée Sikora 

Nous allons apprécier les propositions de traduction 
de cette interview dans sa version intégrale vers d'autres langues.

FlorRaison, Paris-Rotterdam, Novembre 2013
Contact : ireneelartiste@gmail.com

 PEINTURE - L'interview avec Michel Henricot 22/11/2013             

No comments:

Post a Comment