PEINTURE - L'interview avec Michel Henricot
L'élément fondamental de la peinture
est d'essence abyssale.
C'est un univers par excellence archaïque
parce que descendant vers des strates très profondes
de l'identité humaine originelle.
Une interview de Michel Henricot
par Irénée Sikora
FlorRaison, Novembre 2013
Une rive.
Les humains la connaissent
parce que les humains vivent à sa surface,
du moins leur semble-t-il de la connaître.
Sur cette rive
il y a un endroit fort singulier, très concret, à la fois paisible et intense,
chargé d'une énergie phénoménale de la Mémoire.
C'est un vortex.
J'y suis entré pour redécouvrir que Michel Henricot est bien là en chair et en os,
dans sa maison à Paris, prêt à notre rendez-vous dont la trace sonore aura été
enregistrée sur un support numérique et plus tard retranscrite
et affichée dans FlorRaison sur internet.
Le temps de cet après-midi est brumeux, nuageux, maussade.
C'est la grisaille qui laisse à peine suggérer qu'un soleil brille quelque part
au-dessus de nos préoccupations quotidiennes.
Quelque chose me chuchote qu'une éclaircie n'est déjà plus improbable
et qu'un rayon d'enchantement inconnu s'apprête à se manifester.
Comme convenu, me voilà donc à la table du salon, juste en face de mon hôte.
C'est un grand ami. Il y a avec nous Harm Kuijers, un artiste hollandais
qui se met à faire un portrait de Michel pendant cette interview.
Bonjour Michel.
Bonjour.
Qui es-tu ?
Ah
! .............. Celui qui je suis.
Es-tu un peintre ?
Excellente question. Si on me désigne comme peintre,
je regarde toujours derrière moi pour voir à qui on s'adresse, parce que cette
étiquette est limitative en tout cas pour celui qui je suis. Mais bon, pour
simplifier notre quotidien et dans ce quotidien pour rendre notre dialogue plus
intelligible, disons que je suis peintre.
D'où viens-tu ?
De loin. Juste regarde les murs de cet endroit
et tu ressentiras peut-être ... un des multiples reflets qui réussissent à
parvenir jusqu'ici depuis l'origine de celui qui je suis.
[Je regarde tout autour les tableaux dont
Michel Henricot est l'auteur]
~ 1 ~
UN APPEL
L'univers qui émane de toi et au travers duquel tu t'exprimes est l'art. C'est manifestement la peinture qui donne corps à ta
véritable dimension et en celle-ci à ta vibration essentielle. Pourquoi en
est-il ainsi ? Que représente la peinture pour toi ?
Eh bien ... voilà une question à laquelle je n'ai même
pas réfléchi. Je ne suis pas du tout intellectuel sur ce point-là. Je peins
depuis mon enfance. Force sera de constater que je ne
suis pas allé vers la peinture, parce que c'est la peinture qui est venue à moi
et c'est elle qui m'accompagne. Un jour je me suis dépassé, c'est-à-dire qu'à
l'âge où les autres enfants s'arrêtent, j'ai continué.
Quoi qu'il en soit, l'acte de peindre étendu dans le temps et allant bien
au-delà de son résultat, représente dans mon entendement une chose aussi forte,
aussi puissante que ... que le fait de manger, de rêver plus profondément qu'un
rêve puisse le faire ou ... bien sûr de respirer. Oui, en quelque sorte c'est
une démarche métaphysique du moment où on regarde tous les tableaux, sauf que
le terme 'métaphysique' reste à mes yeux un peu flou. À l'origine, pour être
plus précis, c'est comme une obligation.
ENCADREMENT
Tu habites Paris.
Souvent au mois d'août par exemple, lorsque la majorité des parisiens partent
en vacances, Michel Henricot travaille chez lui, dans son atelier. Comment
trouves-tu la vie dans cette ville ? L'aimes-tu ?
Oui, j'aime Paris parce que j'ai l'avantage de vivre à
contre-courant de toute la population, c'est-à-dire de sentir la pulsation de
cette ville quand les gens sont au travail, de rester chez moi quand eux, ils
sortent. Donc
j'ai en somme Paris à moi tout seul et je ne m'ennuie pas ! C'est un univers
regorgeant de vitalité et d'innombrables richesses. Il y a tellement de lieux,
d'événements, d'expositions, de choses à voir que j'aurais du mal à vivre
ailleurs. Je peux passer du temps à la campagne avec
plaisir, j'en ai aussi besoin, mais il faut ... il faut que je revienne chez
moi.
Justement, y a-t-il des endroits à Paris
que tu aimes particulièrement ?
Oh oui.
Depuis mon enfance il y en a toujours eu. Quand j'étais enfant, tous les jeudis
ou presque (le jeudi était le jour des congés des écoles), on pouvait me
repérer au Muséum d'Histoire Naturelle parce que là-bas j'avais la possibilité
de me retrouver face à des animaux préhistoriques qui étaient devenus mes amis.
Certains étaient bien évidemment plus impressionnants que les autres. Parmi
ceux-là, il y avait un ... un allosaure. Je l'aimais beaucoup. On était devenus
de véritables amis malgré son sourire préoccupant. Hélas, je n'ai pas pu le
ramener à la maison. Voilà, ce fut un endroit que je fréquentais assidûment.
Étant donné qu'il fallait payer pour entrer et que je n'avais pas d'argent,
alors j'avais fait un chemin au-dessus des grilles. C'est-à-dire qu'il fallait
passer au-dessus sur un mur très étroit et assez haut surplombant la fosse aux
ours.
La fosse aux ours !
Mais
oui ! je crois avoir entendu que ces ours étaient terriblement féroces. Ils
auraient pu manger une jambe de quelqu'un ou quelqu'un tout entier, qu'en
sais-je, en tout cas ces ours étaient censés être des plus féroces. Toujours
est-il que je suis là. Je ne suis jamais tombé dans cette fosse.
Alors c'est comme ça que tu entrais ...
... oui, c'est comme ça que j'entrais dans
ce muséum sans payer.
~ 3 ~
LANGAGES MUSICAUX
Tu aimes aussi la musique. Tu joues du piano pratiquement tous les
jours. Est-il important de jouer régulièrement ?
Oui,
tout à fait. Je le fais par plaisir et puis, l'âge venant, on est toujours un
peu inquiet de ses facultés intellectuelles. Par exemple, si j'ai à apprendre
une fugue de Bach à trois voix, ce qui pour ma petite tête est déjà bien
compliqué [rire], je vérifie presque tous les jours si je suis à même de mener
à bien ces trois voix. C'est pour moi un moyen de voir où j'en suis avec mon degré de
sénilité !
Ça fait longtemps que tu joues du piano ?
Oui. Ma mère était professeur de piano et
mes premières leçons commencèrent quand j'avais une dizaine d'années. Donc j'ai
travaillé à peu près jusqu'à seize ans. À un moment j'avais arrêté parce que
l'on avait plus de piano. Et puis ......... j'ai recommencé à jouer du piano
vers cinquante ans. Là, j'ai repris les leçons avec un assez grand professeur
et voilà, je joue ...
Quels sont tes compositeurs préférés ?
Enfant, j'étais baigné dans la musique parce que ma
mère jouait les sonates de Mozart, celles de Beetoven, les valses de Chopin,
tout ça ... J'aimais beaucoup toute cette musique ... mais un jour,
miraculeusement vers quatorze ans, à la radio, j'ai entendu Le tombeau de
Couperain de Maurice Ravel. Et ça, ç'a été vraiment comme une illumination,
comme un éclair. Je me suis dit "mais ... la musique, ça peut être ça
aussi !" À cet instant j'ai connu une sorte d'éveil brusque. J'étais
bouleversé. À cet instant j'ai décidé de réapprendre le piano pour pouvoir un
jour jouer cette musique. Bon, après j'ai découvert Stravinsky, Rachmaninov et
Bartók que j'adore vraiment. Plus tard j'en ai
découvert quelques autres tels György Ligeti ou John Cage. Mais mon compositeur
préféré est Ravel.
Que tu joues aussi ...
Oui, ce qui est à ma portée techniquement
parlant, parce que c'est une musique assez difficile. Par exemple lorsque je
déchiffre une partition de ce compositeur, j'ai à chaque fois l'impression
d'ouvrir un coffre. Dedans, je trouve des quartz, des gemmes, des pierres précieuses, des
cristaux, des corps stellaires qui renvoient des lueurs d'émerveillement. Les
harmonies de Ravel sont pour moi extraordinairement riches, stimulant mon
mieux-être et mon imagination à chaque fois de manière unique. Elles sont
vraiment exceptionnelles. C'est une essence de laquelle je ne saurais me
passer.
Ainsi, nous nous retrouvons sur les ondes de la musique classique. Lorsque tu es en
train de peindre, qu'est-ce que tu écoutes ? Ne privilégies-tu pas de ci et de
là un espace de silence ?
Ça
dépend. Quand je commence un tableau, il y a silence. Là, je n'ai besoin de
rien. Mais une fois que le tableau est lancé et
que je vois où aller, alors là, j'écoute de la musique.
Principalement de la musique classique ou pas forcément ?
En principe c'est le cas. J'aime aussi le jazz, mais pas pour travailler. J'aime d'ailleurs être plongé
dans des ambiances musicales de pénombre, plutôt mystérieuses où une lumière
crue ne se laisse pas révéler facilement. Une fois devant le chevalet, il
m'arrive quelquefois d'écouter des musiques de film. Dans ce chapitre, Jerry
Goldsmith ou John Williams sont mes compositeurs favoris.
Bernard Herrmann ?
Ah oui,
bien sûr. Toute sa suite pour instruments à cordes conçue et réalisée pour
"Psycho" est un chef d'oeuvre. Sans cette musique, le plus grand film
de Hitchcock n'aurait jamais été ce qu'il est.
Et Nino Rota ?
On dira que tu lis dans mes pensées ! C'est un des
plus talentueux compositeurs de musique de film que Fellini adorait. Rien qu'à
écouter ce qu'il a fait pour "Casanova" suffit pour s'en convaincre.
Que diras-tu à propos de l'univers sonore de la Nature ? y es-tu
sensible ?
Le
vent, la mer, les oiseaux ... tout parle, tout chante. J'ai un disque que
j'aime écouter de temps en temps. L'orchestre n'est personne d'autre
qu'une grande forêt vierge quelque part en Pologne.
Je crois deviner qu'il s'agit de la forêt de
Bialowieza, je me trompe ?
Oui,
c'est ça. Un cadeau de toi. Un disque merveilleux.
Cette forêt est la plus ancienne sur le
continent européen. Il semble que certaines de ses parties les plus
inaccessibles sont restées intactes depuis le Moyen-Âge. En tout cas j'aimerais
bien y croire.
~ 4 ~
RYTHME
Michel, peux-tu nous dire comment se déroule ta semaine professionnelle
habituelle ? on imagine que tu as des heures fixes, un rythme, une discipline
...
Oui, je
suis absolument comme un bureaucrate.
C'est-à-dire ?
C'est-à-dire que j'ai des horaires très précis. Je
travaille tous les jours. Si je ne travaille pas, que je passe ma journée à des
futilités (ce qui peut arriver), le lendemain je sais que je le paierai par une abominablement
mauvaise humeur. Donc j'essaie de ne pas me lever tard. Je travaille le matin, je
m'arrête juste pour manger, pour aller remonter la machine et je travaille à
peu près jusqu'à cinq heures. Mais ce n'est même pas
une question d'envie. Il y a des jours où je n'ai pas envie de descendre dans
l'atelier. Je sais
toutefois qu'en se mettant devant le chevalet et en faisant le geste approprié,
on attire les choses. Tant que l'on reste passif et que l'on ne fait rien, tout
simplement rien ne vient.
C'est juste ce que tu dis. Il y a une énergie spécifique qui s'instaure
...
Bien
sûr. En faisant le geste approprié, même si l'on n'a pas tellement envie
d'aller de l'avant, au bout d'un quart d'heure ou de vingt minutes
immanquablement il arrive quelque chose. On ne fait pas nécessairement un
chef-d'oeuvre, mais il se passe quelque chose et on avance.
La semaine dans l'atelier s'étend alors du lundi au vendredi.
Non. Elle s'étend sur toute la semaine sans
distinction du lundi au dimanche !
~ 5 ~
BALISES
Le foyer de Michel Henricot est ... unique. Y règne une ambiance d'un
autre temps, d'un temps rempli d'objets dont chacun recèle une signification
profonde que notre mental n'arrive pas toujours à cerner. Comment te
retrouves-tu chez toi ? Comment pourrais-tu définir le lien entre celui qui tu
es et les objets qui décorent et de ce fait font partie intime de ta maison ?
Je ne
choisis jamais les objets pour leur côté décoratif. Leur fonction esthétique
m'échappe complètement. Les objets qui m'entourent sont pour moi des repères
magiques. Non, je
n'ai pas le culte de l'objet joli pour lui-même. Ce genre
de connexion ne m'intéresse pas. Il faut qu'un objet dégage quelque chose qui
me touche, autrement dit qui communique un message que pour le moins mon
subconscient saura sonder. Après tout, il n'y a pas que les objets qui
composent notre monde. Je ne me considère pas comme collectionneur. Cela n'empêche
en rien que je ne sois sensible à ce qui constitue à mes yeux la puissance
intégrale d'un objet, cette force qui traduit la fusion entre ses dimensions
extérieure et intérieure. Mais je ne cherche pas à analyser coûte que coûte, je
ne cours pas après les explications. Tiens Irénée, ce vase par exemple. On peut
y voir une sorte de ... diable ... ou des serpents si l'on veut, qu'en sais-je [rire] ...
Dans ton univers, dans ta maison, tout objet se trouve à sa juste place.
Y règne un ordre exemplaire ...
Oui, pour moi il est vital que les objets soient
placés, disposés comme je le veux. Je ne suis pas maniaque, mais le
désordre me fatigue, pompe mon énergie.
Tu tiens un caillou dans ta main. Il te vient d'où ?
C'est un petit galet qui vient de la Corse. Je
l'ai ciré tu sais,
pour qu'il reste brillant. Il a aussi une mémoire.
Prenons à titre d'exemple cet objet imposant sur le piano, on dirait un
fragment de squelette d'un animal. Qu'est-ce que c'est ?
C'est
une vertèbre de cachalot.
De cachalot !
Oui, elle m'a été ramenée par un médecin qui vit en
Afrique du Sud. C'est quelqu'un qui aime beaucoup ma peinture et qui sait que
j'aime ce genre de choses. Un jour il est arrivé droit de Johannesburg avec une énorme valise ... J'ai
été intrigué, très étonné. Il m'a dit : "Michel, j'ai quelque chose pour
vous", sur quoi il a ouvert son bagage et en a sorti ça, voilà.
Ça devait être lourd.
Et
comment ! terriblement lourd ! pour transporter une chose pareille, tu imagines ! Il y
avait sa femme à ses côtés, car ramener cette merveille jusqu'à chez moi ne
pouvait se faire qu'à quatre bras ! Un cadeau somptueux. D'ailleurs à chaque
fois qu'ils viennent à Paris,
ils me rendent visite et à chaque fois ils m'apportent quelque chose. Et à
chaque fois l'objet qu'ils apportent est de plus en plus volumineux [rire] ...
Je finirai par accueillir, je ne sais
pas, un éléphant ? ou un mammouth ?
Oui, ce serait génial, je suis sûr qu'il y aurait de la place ! [rire]
Là, ce crâne bleu indigo en matière transparente sur le piano, que
représente-t-il pour toi ?
Eh bien, il dénote un lien avec les personnages que je
peins et qui sont comme des entités semi-éthériques, des émanations,
transparents eux-mêmes, comme des radiographies. Rien que pour cette raison
j'aimais beaucoup ce crâne. Oui, il représente pour moi quelque chose de
mystérieux.
Y aurait-il dans ta maison un autre objet singulièrement parlant pour toi ?
Oui, il y
a la calotte crânienne d'un Tibétain d'il y a au moins trois siècles. Elle est
vraiment belle. L'os est merveilleusement poli, l'intérieur est fait de métal.
Les chamans s'en servaient pour faire des libations, pour boire des potions qui
leur donnaient des visions ... Cela m'a été offert par Leonor Fini qui l'avait
eu aussi de quelqu'un. Mais comme elle était superstitieuse et qu'elle ne
voulait pas de cet objet chez elle, un jour elle m'a dit au téléphone : "Michel,
viens chercher ce crâne. Je n'en veux pas. Il faut
que tu ailles le jeter dans la Seine".
J'étais horrifié. D'abord j'étais allé le voir ... Leonor me l'a tendu sur une
planche parce qu'elle ne voulait pas le toucher. Elle a redit : "Jette-le dans la Seine".
Quelle idée folle ! Je l'ai bien évidemment gardé, sauvé de la noyade. Et
puisque je l'ai sauvé, il m'est bénéfique, cela va de soi.
Nous sommes en train de discuter de choses
physiques qui t'entourent. Ce n'est bien sûr qu'un point de départ à partir
duquel je prends la liberté de te proposer d'entrer dans ta peinture. Eh bien, il t'arrive parfois, plutôt rarement, de
peindre uniquement un objet, par exemple une chaise. Pourquoi ?
Ce genre
de thème est pour moi d'un intérêt marginal. J'avais peint de vieilles chaises
suédoises dont la forme m'avait séduit. En effet, j'ai réalisé le tableau que
tu mentionnes, sur commande. Un ancien marchand est passé, a vu ces chaises,
elles lui plaisaient, Dieu sait pourquoi, et m'a commandé un grand tableau dont
nous parlons. Finalement
il a changé d'avis et ne l'a pas acheté. Par suite de quoi, afin de me venger,
j'ai ajouté une tête de mort en pensant que c'était lui. Elle
se trouve donc sur une de ces chaises [rire].
~ 6 ~
UNE FAUNE
Ta maison est emplie de singularités. Il y a donc aussi des insectes
comme ce scarabée, des scorpions sous verre et quelques spécimens de
magnifiques coléoptères, en bref des carapaces ayant un temps abrité des corps
souples en mouvement. D'où te vient une telle fascination pour ces animaux ?
Tout d'abord parce que ce sont des animaux qui
connaissent et subissent d'extraordinaires transformations. Leur existence
physique est initiée sous une apparence de chrysalide molle, délicate, fragile
et extrêmement vulnérable. Progressivement, ils se fortifient et deviennent
comme des armures moyenâgeuses. Ils sont dotés d'une intelligence qui
s'affirme à des niveaux à la fois particulièrement profonds et étonnamment
spectaculaires, d'une intelligence qui le plus souvent échappe aux codes de
l'entendement humain. Et même si aux yeux de certains d'entre nous les humains,
ces animaux prennent un aspect assez redoutable, ils font partie de notre univers.
Mais bon, on peut toujours penser que si un hanneton avait la taille d'une
vache, ce serait terrifiant. [rire]
Tu aimes les serpents ?
Oui, j'en
ai eu ... quatre. Un boa et trois pythons ! J'aime les serpents. Je trouve que
le serpent est un animal très fort. Il est pour moi comme un médiateur entre
les morts et les vivants. C'est un animal qui se réchauffe au soleil, qui est
appelé par lui, et à la fois qui peut descendre très profondément dans la terre
et rester vivre assez longtemps dans des souterrains, des grottes et des caves
pour ensuite remonter se réchauffer. Il me semble que cet animal est une sorte
de téléphone rendant possible une communication entre deux mondes.
Ainsi, tu étais devenu ami avec les serpents que tu hébergeais ...
Oui.
Évidemment les serpents qui habitaient avec moi n'étaient pas venimeux.
Les pythons et les boas ne sont pas d'une taille inquiétante.
Il y avait en tout cas un contact.
Oui, il y
avait un contact. Les serpents viennent volontiers sur les humains chercher de
la chaleur. Ce n'est pas tellement par affection ou par amitié. Cela dit, je
pense que de tout humain émane une certaine qualité d'énergie calorique que les
serpents savent reconnaître. Cette qualité est fonction de qui l'on est. Je
pense qu'il ne s'agit pas uniquement de mesurer la température.
Si quelqu'un a
par exemple très peur ou qu'il s'avère violent à l'égard des animaux en
général, soit le serpent ne viendra pas, soit il viendra transmettre son message
adéquat que tel humain est un intrus. Quand je peignais, mon python se plaisait
à venir sur mon épaule, il adorait ça. De temps en temps il filait en un clin
d'oeil sous ma chemise. Quand à l'époque je travaillais dans un grand atelier
avec un autre artiste, parmi les trois serpents qui nous honoraient de leur
présence, il y en avait un - toujours le même - qui allait à chaque fois vers
lui et jamais sur moi. Je taquinais alors mon ami en lui disant que c'est à
l'évidence à cause de son odeur d'humain aux cheveux roux !
Dis-moi, et les iguanes ?
Ah ! quels
êtres merveilleux ! De surcroît, ils sont très intelligents. J'en avais un. On
peut avoir des rapports avec cet animal tout comme avec un chat ou un chien. Il
venait manger dans ma main, mais pas seulement. Il cherchait la compagnie. C'était
un animal très social et tout simplement adorable. Une fois sur mes épaules, je
pouvais sortir avec lui dans la rue, mais pas forcément tout le monde aimait ça
... [rire] Lorsque les iguanes sont mécontents, ils secouent la tête violemment
comme ça, donc de bas en haut et vite pour annoncer :"Attention, je vais
te voler dans les plumes !". J'avais un miroir jusqu'au sol dans ma
chambre et lorsque mon iguane s'y voyait, il se croyait menacé par un
concurrent, un adversaire de son espèce. Il devenait alors tout rouge, prêt à
l'assaut. Il était capable de se menacer comme ça pendant des heures. Il
devenait fou. J'ai dû par la suite enlever ce foutu miroir, autrement mon
iguane se serait tué à cause de son reflet.
Tu l'as eu longtemps ?
Pendant à peu près quatorze ans. Au début il était petit et à la fin il avait pas loin d'un mètre. Il était d'un
vert phosphorescent avec des yeux jaune orange. Il était extraordinaire.
Je ne puis m'empêcher de te demander si tu
préfères les chiens ou les chats ?
Au début je préférais les chats et puis, un peu par
accident j'avais hérité d'un chien de qui j'étais devenu absolument fou. C'était
un bouledogue français que j'adorais, qui avait l'air d'une grande
chauve-souris et qui était merveilleux. Sauf que le drame avec ces animaux,
c'est qu'ils ne vivent hélas pas longtemps. Nous les humains, on s'attache à
eux. Quand mon chien est mort, j'ai connu un si grand chagrin que j'ai pris la
résolution de ne plus avoir aucun animal. J'étais vraiment trop triste. Je
l'étais à tel point que j'arrivais à voir son petit fantôme traverser la pièce
...
Comment il s'appelait ?
Kali
[silence prolongé]
Dans tes oeuvres, un des thèmes que tu explores de temps à autre est
justement le chien. Qui est-il ?
Il est une présence intense et cela depuis la plus
haute antiquité. Le chien est une sentinelle, un gardien du seuil. Le cerbère
est quand même un chien le plus célèbre de l'histoire !
Michel, malgré ta préférence pour les chiens, il y a longtemps j'ai
constaté que tu es habité aussi d'un respect singulier envers les chats. Tu te
souviens de Munia, la noble chatte que je t'avais laissée en pension deux ou
trois fois lorsque je devais m'absenter de Paris ?
Et comment ! J'avais l'impression que par rapport à une multitude de chats,
elle passait bien plus de temps à se lécher, à se laver, à faire sa toilette.
Elle a toujours été très élégante, vêtue de partout de ses poils noirs soyeux
et d'un détail qui lui allait à merveille tout en rehaussant sa noblesse innée,
à savoir un jabot fait de ses propres autres poils blancs sur mesure.
Oui. Quand j'habitais dans l'Aveyron, elle avait participé à
pratiquement toutes mes répétitions. Elle se plaisait à écouter du Mozart ...
... et à regarder chez moi des émissions sur les
tigres, les lions, les panthères et tout ça.
Je n'oublierai pas ce fait divers que tu m'as
relaté de sa plongée dans ta baignoire. Elle était probablement très excitée
Dieu sait pour quelle raison, elle avait donc sauté de son propre gré dans
cette baignoire remplie à ce moment-là d'eau chaude émoussée d'un gel de bain
de luxe fort efficace et relaxant juste avant que tu
n'y sois entré. Et elle nagea ! Tu l'en as sortie magistralement dégoulinante
jusqu'au dernier poil comme il se doit dans pareille circonstance, l'as essorée
dans ta serviette de service et l'as rassurée que tout allait pour le mieux.
Une expérience des plus mémorables ! Sauf que La Munia, on ne saura
probablement jamais pour quelle autre raison, avait pris l'air d'altesse outrée
sans modération.
Oui, au final elle a été effectivement fâchée à outrance ! Munia était un véritable
personnage, ah ça oui !
À ma connaissance, jusqu'ici aucun chat ne trouve
son portrait dans tes oeuvres. Pourquoi ?
Pourquoi ?
Eh bien, je ne sais
pas vraiment. Je trouve le chat d'une beauté inconditionnelle, mais à mes yeux,
même si on peut en trouver des représentations fort mystérieuses dans l'art
égyptien, cet animal n'a pas la force ni du chien, ni du cheval, ni du serpent,
ni du scarabée au point de vu symbolique et mythologique.
Peut-être que, dotée d'une intelligence
différemment aiguisée qui échappe à notre entendement, la gent féline a su
garder avec efficacité et pour cause certains de ses plus grands secrets ?
C'est probable ... Je m'en suis toutefois servi un peu pour réaliser quelques
tableaux que j'ai appelés "Les Sphynx". Pour ce faire, je suis parti
de squelettes de chats ... Il y a peut-être une raison à cela ... [silence
prolongé] ... Comme tu sais,
j'étais très ami avec Leonor Fini qui avait, elle, vingt quatre chats.
Ça alors ! Je dois avouer que tu es aussi télépathe ... tu es sur le
point de lire dans ma pensée. Je réalise à cet instant que le thème de chat
nous permet (comme si de rien n'était), de passer du règne animal au monde des
humains dans lequel nous retrouvons donc Leonor Fini. C'était une protectrice
des chats !
Oui, elle
avait ses vingt quatre chats les uns plus beaux que les autres. Or, sachant
quand même tout mon amour des squelettes et d'êtres dénudés de leur peau qui
pouvaient témoigner d'une anatomie animale, humaine, hybride ou autre, Leonor
m'a terrorisé en me disant : "Ne va pas t'aviser de peindre un chat !".
Alors quoi faire ? Me laisser arracher un oeil ? ou ne pas m'aviser de peindre
un chat ? J'ai choisi la seconde option.
Je vois, cela aurait été insensé de courir un tel risque.
C'était un
grand risque. En tout cas, j'aurais pu subir une scène épouvantable.
DES YEUX OUVERTS
Si tu y consens, nous allons parler de Leonor tout à
l'heure.
Juste avant, je vais suggérer de nous
entretenir d'autres bipèdes humains. T'arrive-t-il d'en produire un portrait ?
Très
sporadiquement, il m'est arrivé d'en faire par plaisir ou sur commande, mais ce
genre de production, pour être honnête, ne m'intéresse pas. Si j'y ai recours,
c'est par un concours de circonstances exceptionnel. Tu sais Irénée, l'essence de mon essence
d'artiste m'incite à redonner corps à des archétypes sans nom. Ce sont des
êtres par excellence anonymes.
Une fois, tu as réalisé un portrait de Juliette Gréco. Peux-tu nous révéler les
circonstances dans lesquelles cela s'est fait ?
Ah ! Ce
portrait, je l'ai fait il y a fort
longtemps parce que le
visage de Gréco me magnétisait. D'ailleurs j'adore toujours son visage qui
recèle quelque chose d'intemporel. Quand elle incarnait une autre jeunesse d'un
temps révolu seulement en apparence, elle ressemblait vraiment à une déesse
égyptienne avec ses pommettes très hautes et ses yeux d'un regard à la fois
mystérieusement arrogant et stellairement lointain. C'était une femme très
belle ... et elle l'est toujours, différemment bien sûr, mais non moins
intensément !
Donc j'étais allé voir une pièce de théâtre à Paris dans laquelle Juliette Gréco jouait. Tu
imagines facilement la trouille que j'avais quand après le spectacle, un désir
indomptable m'avaient pris d'aller la voir. Je tremblais tout entier, mais bon,
c'était plus fort
que moi. J'ai frappé à la porte de sa loge
et lui ai demandé si elle me permettait de prendre quelques croquis d'elle. Et
... elle a été adorable avec moi en me disant "Oui, pendant que je me
maquille, vous pouvez travailler". Alors dans la semaine je suis allé
là et j'ai fait son portrait en deux ou trois soirées. En définitive oui,
j'aimais bien ce portrait. Juliette Gréco l'a aussi apprécié et sur le revers a
mis toute une littérature en me remerciant d'avoir réalisé ce que j'ai réalisé.
C'était l'époque où j'organisais ma première exposition dans une galerie. Le portrait de Juliette Gréco, je
l'avais mis dans la vitrine en demandant au marchand de ne pas le vendre parce
que tout simplement je tenais à le garder pour moi. Mais
inopinément avait tout à coup surgi une circonstance fâcheuse pour la suite de
cette histoire. J'avais eu le malheur de devoir partir pendant trois jours.
Quand j'étais rentré à Paris,
il s'est avéré que ce salaud de marchand venait de vendre le portrait. Il
l'avait vendu à un académicien qui, à un moment en passant par là, était tombé
faible devant ce portrait et donc qui l'avait acquis.
À cette époque je ne pensais pas à noter les
coordonnées des gens qui achetaient mes tableaux. L'académicien en question
n'était pas quelqu'un de connu. Je crois qu'il faisait des livres de géographie
et d'histoire. Entre-temps il a dû mourir trois fois ... [rire].
Ah bon ? Enfin, décidément tout est
possible !
Oui, cela arrive. Tout peut arriver. Quelqu'un qui aimait ce portrait m'a dit
qu'il l'a vu aux enchères. Tu sais,
les tableaux finissent souvent comme ça à la suite de toutes sortes de
faillites, de saisies, de mésaventures, de querelles entre les héritiers, qu'en
sais-je. En tout cas, pour ce qui est du portrait de Juliette Gréco que j'ai
fait, malheureusement non, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il est
devenu.
Ainsi, tes portraits auront eu les yeux ouverts.
Ah oui, cela va de soi ! Il y a quand
même quelqu'un qui m'a demandé une fois de lui faire son portrait quand il a
les yeux fermés.
~ 8 ~
DES YEUX OUVERTS DIFFÉREMMENT
Michel, dans tes oeuvres, les visages d'entités humaines - appelons-les
comme ça, car ce ne seront pas des portraits faits sur commande - témoignent
d'un leitmotiv visuel frappant qui est précisément celui des paupières closes.
Quelles en seraient les raisons ?
Cette question n'est pas simple pour moi. Eh bien,
[silence prolongé] tous ces personnages existent dans leur vie intérieure, dans
leur univers, dans leur sphère de conscience qui vibre sur une autre fréquence
que celle sur
laquelle nous percevons notre réalité. L'exercice de cette intimité, son mode
d'emploi en quelque sorte m'échappe inévitablement. En conséquence, ces êtres
vivent dans un monde qui n'est pas nôtre. Voilà. Ce serait pour moi
terriblement anachronique que de me forcer dans mes tableaux à peindre un
personnage avec les yeux ouverts. Il me semble que le sens d'un tel résultat en
serait totalement faussé.
Décideras-tu un jour de nous montrer un regard ?
Ça, je ne
le sais pas. Je ne peux en décider. [silence prolongé]
L'évolution des personnages dans la peinture s'avère indépendante de la volonté
du peintre que je suis. C'est peut-être étrange ce que je dis, mais c'est
ainsi. Au départ, mes personnages étaient couchés, courbés, souvent
recroquevillés. Ils n'avaient pas de bras, pas de jambes par exemple. C'étaient
plutôt des troncs ... avec juste une tête. Tels étaient au moins les corps
humanoïdes que je peignais quand j'étais très jeune.
Je crois qu'au fur et à mesure que j'ai évolué et que je me suis construit, les
personnages se sont construits en même temps. Les jambes ont poussé, puis les
bras ... et tous ces êtres à un moment donné se sont levés, se sont mis debout.
Tout ça pour dire que
non, je ne peux pas décider quand je leur ouvrirai les yeux. J'ignore
aujourd'hui si cela jamais se produira. Cela va indubitablement avec mon
évolution psychique. Moi aussi, je voyage. [silence prolongé]
Toutefois, je suis certain d'une évidence : tous ces personnages sont en train
de regarder quelque chose et VOIENT. À quoi bon alors leur ouvrir les yeux ?
Tellement d'individus autour de nous regardent ce bas monde sans voir ce qui
s'y passe !
~ 9 ~
TECHNIQUE
Voici maintenant une même question que
j'avais posée dans le contexte d'une autre interview à Harm Kuijers, notre ami
silencieux, graveur et dessinateur ici présent [Harm sourit] qui est en train de
faire ton portrait : quand on te demande des détails sur la technique, que
réponds-tu ? Est-ce que savoir à quelle technique tu as recours, aide
véritablement quelqu'un à saisir ce que tel ou tel tableau dont tu es l'auteur,
recèle comme message ?
Le plus souvent, les gens qui aiment les tableaux ne demandent pas ça. Ils
doivent probablement pressentir que le fait de les instruire sur la technique
employée ne les aidera pas du tout à comprendre mieux ce qui émane de l'oeuvre
qu'ils sont en train de contempler, ne les aidera pas à s'y projeter, à plonger
dedans et à fusionner avec. Ce genre d'information a d'autres applications et
est fort utile ailleurs (par exemple je peux en discuter avec un collègue),
mais ne sert pas inéluctablement de support à quiconque éprouve un véritable
amour pour la peinture et pour l'art en général.
Je tiens néanmoins à souligner que dans mon travail, je suis très attentif à
une technique qui dure, c'est-à-dire que je m'emploie à ce que le tableau ne
s'écroule pas au bout de cinquante ans, comme c'est si souvent le cas un peu
partout.
Je viens de lire avec stupéfaction dans un journal, que les tableaux d'un
peintre américain qui a connu sa gloire dans les années cinquante, étaient déjà
en train de se désagréger. La critique a été virulente à ce propos et ce que
cette critique a dit m'a fait rire un peu. Il s'avère que pendant la
restauration d'un de ces tableaux, en-dessous d'une couche, on a trouvé une
mouche ... engluée dans la peinture. On a donc soigneusement enlevé cette
mouche et on l'a conservée pieusement. Bon. Face à un tel article, je trouve
que nous avons là sous les yeux l'exemple d'une bouffonnerie consommée de l'art
contemporain.
Dans le chapitre des formats, quelles sont tes préférences ?
J'aime
beaucoup au même titre les formats carrés et les formats tout en longueur. Ces
derniers auront été utilisés pour des vues panoramiques genre cinémascope. J'ai
cependant aussi recours à des formats très petits qu'on peut considérer comme
miniatures. J'ai peint énormément de tout petits tableaux. Je les fais en
attendant que le grand format sèche.
Ce qui est
crucial pour moi, c'est que mon épaule puisse se trouver au centre d'un compas
imaginaire et se mouvoir adéquatement, parce que fatiguer mon corps par des
postures inconfortables qui durent un temps n'est pas bon pour ma santé. Alors
si le format est trop grand et qu'en conséquence je dois me hisser sur mes
orteils, sautiller ou exécuter toute une séries de contorsions, je dis stop, ce
n'est pas pour moi. [rires] Tu vois Irénée,
il faut que la rotule ici soit le centre du compas. [Michel
montre le geste] D'ailleurs les trop grands formats sont encombrants
pour mon atelier qui est d'un volume modéré et puis, tout simplement je n'en ai
pas envie.
Est-ce qu'il t'arrive de travailler à la lumière électrique ?
J'essaie
d'éviter ça. Je travaille quasi exclusivement à la lumière du jour. De toute
façon, dans le processus de la création d'un tableau on ne peut pas passer
d'une lumière à une autre, parce que les couleurs ne sont pas les mêmes, je
crois que tout le monde le sait.
Et si jamais on te demande en combien de temps tu as fait un tableau, quelle
est ta réponse alors ?
Les gens
qui aiment l'art ne demandent pas ça non plus. Ce genre de précisions ne sert à rien. Bien sûr,
chaque jour je descends dans mon atelier à telle heure et je le quitte à telle
autre, donc il y a un cadre temporel que je m'impose, parce qu'il est important
pour moi qu'un rythme rigoureux soit établi et soutenu. Cependant,
une fois immergé dans la peinture, tout bascule à tous les niveaux. Quand je
peins - et je sais
que tu peux me comprendre, parce que tu connais ce même phénomène - je change
de fréquence ou disons de registre à l'intérieur duquel mon être tout entier
fonctionne. Ce n'est pas seulement psychique, c'est aussi biologique. Cela
signifie que le temps emprunte une autre piste et s'étend différemment. Les
comparaisons sont donc inutiles et les conclusions qui puissent en résulter sont
totalement à côté de la plaque.
Je suis d'accord avec toi, je n'aime pas personnellement ce genre de
question.
Ce caillou que tu tiens dans ta main est d'un noir très beau.
Il y en avait plein comme ça dans le Cap corse.
La Corse ... pendant combien d'années tu
étais allé à Nonza ?
Ah, Nonza .................. J'y suis allé pendant une
vingtaine d'années.
Tu étais en compagnie de qui ?
Tout d'abord en compagnie de Leonor Fini. Elle
louait là-bas un monastère du XII-ème siècle bâti à pic au-dessus de la mer sur
une falaise. Ah, quelle vue ! quel endroit ! quelle atmosphère ! quelle époque
! ... Il y avait aussi surtout Stanislao Lepri et Constantin Jelenski. Et puis
des personnalités de passage et des amis qui occasionnellement nous rendaient
visite en principe sur invitation de Leonor. Parmi ceux-là je vais mentionner Marx Ernst ou Jan
Lebenstein ... sur le coup il m'est difficile de les énumérer, il y avait
vraiment tellement de soirées et de monde parfois ...
Oui ... toutes ces personnalités composant à cet endroit précis un microcosme
d'âmes parfaitement hors du commun au centre duquel scintillait celle de
Leonor, le travail qui s'y accomplissait, les événements que vous orchestriez
pour vous-mêmes et vos amis de passage, bien sûr l'ambiance qui y régnait, tout
cela devait vous inciter à laisser des traces ... Existe-t-il un ou des documents
de ce temps ? des photos ? un film ?
Oui. J'ai plein de photos. C'était un
monde qui tout naturellement nous incitait à en produire et à en préserver
quelques traces. Il sera peu-être intéressant de savoir que même si dans notre
monastère à Nonza nous n'étions que cinq ou six, Leonor adorait par exemple se
changer, se déguiser, se travestir, se faire des coiffures insolites plus
étranges les unes que les autres. Cela était évident qu'en notre compagnie, surtout
en notre compagnie, elle pouvait se permettre d'être telle qu'elle était. En
effet, elle adorait nous laisser entrevoir au moins quelques-unes d'entre les
prodigieusement nombreuses facettes se sa personnalité.
C'était
comme un spectacle. La vie en Corse de ce temps-là, ÉTAIT un spectacle, une
aventure extraordinaire stimulant nos cinq sens et notre imagination, une
véritable fête. Il n'y avait pas d'électricité là-bas. Les toilettes étaient à
l'extérieur. On prenait notre douche sous un jet d'eau glacée qui se déversait
de la falaise. Nous ne pouvions rester devant nos chevalets que de jour,
n'ayant à notre disposition que la lumière du jour. Et puis, tous les repas du
soir s'éclairaient obligatoirement à la chandelle. Dans un décor pareil,
comment ne pas succomber à la tentation de produire un document ?
Donc voilà, j'ai fait un film là-bas. Dans ce document, Leonor porte, comme
d'ailleurs ç'a été le plus souvent le cas, des vêtements très inventifs,
somptueux ! Une fois, ils étaient faits de branches, d'une sorte de lianes
aussi, de brindilles et de feuilles ... Et donc tous les ans je faisais des
séquences d'un film ... d'un film que j'ai. Il a été fait avec une petite
caméra d'amateur. À l'époque on n'avait pas ces merveilleux appareils
numériques ... voilà. Leonor l'aimait bien et m'a suggéré de le monter. Plus
tard, à chaque fois qu'on lui demandait des films sur elle, elle ne voulait au
final montrer que celui-là. Elle a même réussi à en vendre une copie à la
télévision japonaise.
Tu filmais toi-même alors ?
Oui, mais je ne l'ai pas monté seul, car en ce
temps-là, Frédéric Mitterrand qui était l'ami de Leonor, avait un studio à Paris. Il me l'avait prêté
pour deux après-midi. En l'occurrence, il m'avait remis aux bons soins d'un
ingénieur du son et d'un monteur. C'est ainsi que j'ai pu parachever ce petit
film.
~ 11 ~
VISITES ET COMPAGNIES
En Corse, tu as en définitive rencontré et côtoyé d'éminents artistes.
Veux-tu en citer quelques-uns ?
Comme j'ai
dit Max Ernst ... aussi Enrico Colombotto Rosso, Ernst Fuchs, Fabrizio Clerici
..
Fabrizio Clerici ... comment était-il ? Lui aussi un jour a été inspiré
par l'Égypte ... As-tu retenu quelque chose de lui ?
Oui.
C'était d'abord un homme étonnamment cultivé, un véritable puits de
science. Il avait aussi une certaine dose d'humour qui le rendait assez
facilement abordable. Pour être honnête, je n'ai jamais aimé énormément sa
peinture. Cela ne m'empêchait pas d'apprécier sa personnalité. Il était drôle,
tu sais ...
Oui, j'aimais par exemple les thèmes qu'il agitait, mais sa peinture, ce qui
émane de celle-ci, je ne la ressentais ... je ne la ressens pas vraiment. Le
problème, c'est qu'il était architecte. Ce fait pourrait à la rigueur nous
aider à mieux saisir la portée de ses oeuvres. C'est peut-être une des raisons
qui puisse suggérer en tout cas pour moi, pourquoi il y a tant de froideur dans
ce qu'il a créé. Pour être plus précis, c'est la texture dans ses tableaux qui
ne me plaisait pas. C'est comme si ses tableaux, bien qu'à chaque fois ayant
une toile comme support, étaient faits sur une tôle, c'est-à-dire sans cette
chaleur, sans cette souplesse que la toile nous procure de par sa nature.
Michel, que pourrais-tu dire au sujet de l'écrivain Constantin Jelenski ?
C'était un
des êtres les plus merveilleux que j'aie jamais eu l'opportunité de rencontrer.
Au point de vue de
l'intelligence, de la sensibilité et de l'art de se disposer à l'écoute
d'autrui, Jelenski n'avait pas son pareil. Face à
lui, on avait l'impression d'être plus intelligent, plus sensible, plus épanoui
que l'on ne s'y croyait. On
était bien en sa présence, dans la sphère d'énergie qui irradiait de lui. Oui,
sa compagnie a toujours été très bénéfique. Et en plus, il avait une perception
des gens extraordinairement aiguisée. On ne pouvait pas lui mentir. C'était
impossible. Personne ne le pouvait. Leonor non plus. Ce n'est pas que je sois
un menteur, pas du tout, mais on a peut-être trop souvent des petites choses à
édulcorer, à fléchir et au bout du compte à cacher.
Jelenski avait une aura unique en son genre ...
Une aura unique tout court ! Il m'a beaucoup aidé dans
ma peinture, surtout au tout début. Il m'indiquait des pistes, suggérait des
directions dans lesquelles j'étais libre de me rendre, à mainte reprise
confiait ses encouragements dans le contexte de ce que j'entreprenais.
C'est juste une impression ... tu mentionnes un peu plus souvent Jan
Lebenstein. A-t-il joué un rôle plus particulier dans ta vie d'artiste ? Quelle
était sa personnalité ?
Je
l'admirais beaucoup. C'était un être inquiétant. Il avait une personnalité
vraiment pas facile.
C'est-à-dire ?
C'était un alcoolique terrible, capable de subir des
crises atroces. Quand il plongeait dans ses états d'ivresse profonds, il était
infréquentable. Jelenski qui était très ami avec lui, le recueillait souvent et
s'occupait de lui. À un moment donné j'aimais la peinture de Lebenstein, parce
qu'il a su donner matière à des éléments en quelque sorte préhistoriques,
enfouis en-dessous du niveau de la terre. Il a peint toute une série de ces
tableaux. Pour la plupart, c'étaient des grands formats. Je trouve que cet
artiste mérite une plus grande attention. On ne parle pas assez de lui et
pourtant c'était un très grand peintre.
Et Stanislao Lepri ? Parle de lui s'il te plaît. Témoignait-il d'une
prestance ? d'une noblesse d'esprit ?
Et comment
! Il avait cette attitude princière non pas acquise mais innée. C'était un
aristocrate.
Tu t'entendais bien avec lui ?
À
merveille ! Je l'aimais beaucoup, Stanislao. J'étais fasciné par la façon dont
il peignait. Il était capable de commencer une toile par exemple dans un coin
en bas à gauche et par la suite monter ... monter comme ça ... et puis
miraculeusement le tableau apparaissait ... un peu comme les polaroïds. En
général à ce stade les peintres esquissent les lignes, mais Lepri agissait
différemment. Une autre réalité montait sous ses doigts comme quelque chose de
médiumnique. Il avait pleins de tableaux dans sa tête et dès qu'il se mettait
devant son chevalet, sa main se comportait comme ça. C'était fascinant !
Alors tu l'as vu à l'oeuvre ...
... mais oui, parce qu'en Corse, principalement tous les après-midi, on
peignait ensemble dans une grande salle qui était l'ancien réfectoire des
moines. On composait donc un trio : moi, j'étais dans le fond, à droite il y avait
Leonor et à gauche il y avait Stanislao ... C'était drôle, parce que nous
avions le même rythme de travail. C'est-à-dire quand on commençait un tableau
(à peu près d'une même taille), on le finissait en même temps.
Très intéressant.
Il y avait
peu ou prou un même temps de travail pour chacun, disons à un ou deux jours
près.
Vous étiez dans une espèce de symbiose, de
réciprocité, de synergie ...
Je pense
que oui. C'était peut-être pour cette raison que l'on s'entendait si bien.
Là-bas, l'ambiance a toujours été extrêmement amicale.
Et donc ç'a été comme ça tous les jours ?
Oui, le
matin le plus souvent on allait se baigner, tandis que l'après-midi on
travaillait.
LEONOR FINI
Tous ces personnages parmi lesquels figure aussi Michel Henricot
composent une constellation au centre de laquelle brille un astre connu
aujourd'hui mondialement sous le nom Leonor Fini. Une femme. Elle a su, avec un
succès foudroyant, inscrire ses messages dans les annales de l'Art Universel.
C'était un être à maints égards étonnant. Michel, comment voyais-tu Leonor Fini
pendant tous ces étés passés en sa compagnie en Corse ?
Elle était
par moments aussi dangereuse qu'un cobra !
Ouh là !
Mais comme tu sais,
j'aime les serpents. On marchait toujours un peu sur des oeufs avec elle, parce
qu'elle était ombrageuse et très susceptible. À la fois, c'était au monde la
personne avec laquelle j'ai le plus ri. Elle pouvait avoir des fous rires
extraordinaires et sans pareille. Oui, elle était parfaitement capable de
composer avec cette drôlerie qui faisait partie de sa nature. Son humour était
noir, mais enfin un tel humour est le meilleur, bien évidemment. Donc voilà,
j'ai beaucoup ri et j'ai eu beaucoup peur avec elle.
Elle était disposée à écouter les autres ?
Ah ça oui,
tout à fait.
Elle devait parler quelques langues ?
Bien sûr.
Elle en parlait cinq je crois, l'italien ayant été sa langue maternelle. Son
français était exquis, elle le parlait avec un accent inimitable, propre à elle
seule. Son R roulé dans le mot 'rododendron' est resté mémorable à mes
oreilles. Sa voix était belle, c'est-à-dire grave, en tout cas assez basse.
Souvent au téléphone, les interlocuteurs se méprenaient en pensant qu'ils
s'adressaient à un homme. Une fois le combiné décroché et la formule 'Oui
j'écoute' énoncée, elle était prête à entendre "Bonjour Monsieur"
! Elle parlait l'anglais plutôt avec difficulté, en revanche elle était très à
l'aise dans l'allemand qu'elle maîtrisait parfaitement et dans l'espagnol. Et
comme Leonor est née à Trieste,
il est probable qu'elle ait été sensible aux affinités linguistiques slovènes
et peut-être croates, mais je ne saurais affirmer ce détail avec certitude. Ce
qui est quasi certain pour moi, c'est que de sa région natale, elle a dû
hériter d'un goût pour les influences culinaires de toutes ces cultures qui s'y
côtoyaient et sans doute s'imprégnaient, se mélangeaient les unes aux autres.
Comment avait évolué ton amitié avec Leonor Fini ?
Au départ, ce n'est pas moi qui étais allé vers elle.
C'est elle, Leonor, qui était venue vers moi. En disant ça, j'ai peut-être
l'air présomptueux, ce à quoi je ne tiens pas, mais au départ, ç'a été comme
ça. J'avais vingt ans à l'époque. Il y avait un de ses
amis qui était passé quand je faisais une exposition. Il lui avait dit par la
suite "Tu devrais aller voir ce jeune peintre et ce qu'il fait".
Donc elle était passée voir l'exposition. À ce moment je n'étais pas là. Leonor
avait laissé un mot : "C'est intéressant ce que vous faites,
téléphonez-moi". J'étais très content.
Je ne serais jamais allé la voir, même si je l'admirais beaucoup. C'est que ...
aller tirer sur la sonnette des gens célèbres, c'est quelque chose que je sais pas faire. En ce
temps il y avait à Paris
un restaurant russe qui s'appelait 'Dominique' où avaient régulièrement lieu
des vernissages de décorateurs de théâtre. C'était l'époque à laquelle Leonor
avait fait beaucoup de costumes et de décors de théâtre. Eh bien, elle m'avait donné
rendez-vous là-bas À MINUIT.
Ça alors !
Oui ! Donc j'y suis allé. J'avais eu une idée bizarre
: m'habiller en pasteur, ce que j'ai fait. C'est-à-dire j'étais habillé tout en
noir avec un petit col blanc. Et c'était tellement crédible que sur le
trottoir, un passant m'avait salué en me demandant "Bonsoir mon père,
sauriez-vous où est la rue Machin Chose ?", mais ne le sachant pas, je lui
avais donné ma bénédiction et suis parti ...
[rires] ... et je
suis arrivé. Leonor m'avait regardé d'un air un peu étonné. Je l'ai
regardée aussi d'un air un peu étonné, car elle était magnifique, habillée tout
en noir avec une voilette et tout ça. Elle m'a entraîné au bar en me disant
"Est-ce que vous aimez les 'choux bliks' ?" [?!] [rires] J'ai dit
"Oui Madame". Je n'avais strictement aucune idée ce que c'était.
C'était de la viande crue inévitablement russe avec je ne sais quoi. Bon, au
bout d'un moment, elle m'avait abandonné ...
Qui t'avait abandonné ? La viande inévitablement russe ou Leonor ?
Leonor. Je
devais paraître pétrifié comme c'est pas permis, ce qui était bien le cas, donc
elle est partie voir d'autres gens célèbres qui d'ailleurs remplissaient à ce
moment ce restaurant. Leonor s'imposait de manière vraiment unique. Cela ne
voulait pas dire que l'on devenait amis vite, que l'on devenait amis
nécessairement. J'ai compris dès le début qu'avec elle, entrer dans l'amitié
était un acte de patience étendu au ralenti dans le temps. Au départ, elle
disait "Téléphonez-moi dans un mois", "Venez me voir à telle
date", puis elle se décommandait ou reportait les entrevues ... Ça a duré
comme ça pendant presque deux premières années de notre connaissance. Avec le
temps, petit à petit, on s'est vus à des moments moins espacés. En tout cas, il
y avait une progression, on s'apprivoisait. Bien évidemment je ne pouvais pas la
tutoyer. Le temps passant, les choses devenaient un peu plus faciles ...
Et un jour elle t'a invité en Corse.
Et une
fois elle m'a invité en Corse ... pour très peu de temps, pour quatre ou cinq
jours. Elle était méfiante au commencement. Et puis, comme je passais
brillamment mon examen de cette fois première au monastère de Nonza, l'année
d'après, Leonor m'avait invité à y passer beaucoup plus de temps en sa
compagnie. Et depuis notre amitié s'est fortifiée.
~ 13 ~
LEONOR ET SES AFFINITÉS
Elle était une amie avec d'autres artistes célèbres qui n'ont pas encore été
mentionnés dans notre conversation. Je pense notamment à Federico Fellini,
María Félix, Alida Valli, Salvador Dalí, Anna Magnani ... Les as-tu rencontrés
?
Oui, la très belle Alida Valli ou la superbe star
mexicaine María Félix. Pour moi, ces femmes étaient d'une beauté incomparable
et vraiment extraordinaire. En ce qui concerne Dalí, oui, je l'ai rencontré une
ou deux fois chez Leonor. On était surpris, parce qu'il n'avait pas du tout été
arrogant comme on pouvait le voir dans certaines émissions ... C'était
quelqu'un d'un peu plus silencieux. Là, il était d'un âge déjà bien avancé, pas
très bien portant. On avait donc vu un Monsieur arriver avec une canne, un peu
fatigué ... voilà. La seule excentricité qu'il avait faite, c'était au cours du
dîner. Il y avait une quinzaine de convives. Dalí avait sa place d'honneur au
bout de la table juste aux côtés de Leonor et de Jelenski. J'étais à l'autre
bout, donc loin ... On servait les huîtres. À un moment donné on a entendu une voix lamentable "Je
ne veux pas manger de bêtes qui n'ont pas de visage". [rire] Mais enfin, le pauvre homme n'en avait pas envie ! Il
avait quand même le droit de le dire !
Je présume que cela n'empêcha pas la société
de manger les huîtres.
Eh bien, étant donné que Leonor a dit "Emportez-les
!", et que j'adore les huîtres, j'avais filé derrière la porte de la cuisine
pour en manger quelques-unes. Elles étaient de choix, délicieuses !
Et Anna Magnani ? Je crois que Leonor et Anna étaient très amies.
Oui oui,
elles étaient très amies. Je me souviens lorsque Leonor m'avait proposé de
passer la voir chez elle dans son appartement à Paris. C'était en somme la deuxième fois qu'elle
m'invitait chez elle. Elle m'avait dit "Venez Michel, il
y aura une amie à qui je vais vous présenter".
Alors ... j'y vais, je sonne, la porte
s'ouvre et qui vois-je ... ? Anna Magnani ! C'était pour moi tellement
inattendu ... je tremblais. Je me disais "Mais ce n'est qu'un rêve ! Ça
doit être la bonne qui ressemble à Anna Magnani". [rire] Eh bien,
c'était bien elle en personne. Donc ... on mange à trois, (j'ai l'appétit
totalement coupé, penses-tu) et soudain Leonor renchérit "Venez avec
nous Michel, on va au cinéma". Bon. Je suis hors d'état de dire oui ou
non, j'obéis, on y va tous les trois. On débarque sur une salle de cinéma des
Camps-Élysées. On s'installe donc : Leonor à droite, Anna Magnani à gauche et
moi au milieu. Essaie de me comprendre Irénée, je suis mort comme un poulet
irrémé...diablement trop cuit [rire] !
Et le film ?
Mais je ne
m'en souviens pas du tout !
C'était un film dans lequel elle jouait ?
Non non,
pas du tout. J'essaie de me le rappeler ce que c'était ... attends ... non, je
ne sais plus. J'étais dans un état second.
JELENSKI ET SES SOIRÉES
Tu as connu Roman Polański. C'était en Corse ?
Non,
c'était à Paris.
Kot, c'est-à-dire Constantin Jelenski, avait l'habitude d'organiser une soirée
polonaise dans son appartement parisien à peu près une fois tous les deux mois.
Lors de ces soirées il y avait donc des personnalités très connues comme Jan
Lebenstein, Andrzej Wajda ou Roman Polanski. Il m'avait demandé de venir. J'y
suis allé. Le problème, c'est que les stocks de bouteilles de vodka s'y
vidaient à une vitesse incroyable. C'étaient des soirées arrosées vraiment sans
modération. [fous rires]
Oui, les Polonais savent étonner le monde ... On a
quand même des qualités !
Oh que oui ! Cela dit, je ne crache pas du tout sur l'alcool, non. Mais
c'est quand même insensé ce que ces gens peuvent boire ... tout en continuant
de mener une conversation parfaitement mondaine et souvent très intéressante.
Les LITRES de vodka coulaient à flots et disparaissaient. C'est quand même
insensé tout ça ! Dans ce contexte j'étais enfant de choeur.
[fou rire] Est-ce que tu
aimes les films de Polański ? Lequel parmi ceux-la serait ton oeuvre de
prédilection ?
Oui, j'aime un des premiers qu'il a faits, c'est-à-dire
"Répulsion" avec Catherine Deneuve. J'aime beaucoup ce film. Il est
très étrange. J'aime aussi celui qui a été réalisé en Pologne si je ne me
trompe et qui est je crois son tout premier film de long métrage dans sa
carrière de metteur en scène. Il s'agit de ... attends ...
"Le couteau dans l'eau".
Oui,
c'est ça. Et puis peut-être aussi "Le Locataire" qu'il dirige et dans
lequel en même temps il joue de manière tout à fait convaincante avec Isabelle
Adjani.
Il y a eu aussi Czesław Miłosz, un Prix
Nobel de Littérature, tu l'as accueilli en Corse je crois.
Oui, je l'ai connu en Corse. Leonor et Jelenski qui à ce
moment n'étaient pas là, m'avaient demandé de l'accueillir. J'étais un peu
épouvanté, car je n'avais rien lu de ce Monsieur ... peut-on lire tout dans une
vie ? il faut faire des choix ...
Son séjour s'était-il bien passé ?
Mais oui
! À peine a-t-il eu compris que dans notre groupe personne n'avait rien lu de
lui, il a dit : "Ça tombe très bien, on ne va pas parler de
littérature." [rire]
On lui avait fait un très bon dîner. J'avais l'impression que Milosz s'était
très bien reposé chez nous en Corse. Il y était venu en compagnie d'une dame.
Il avait une énergie féroce, parce qu'une fois il s'est mis en tenu d'Adam et
s'est jeté dans l'eau. Le monastère comme j'ai dit se trouve juste au bord de
la mer ... et donc il a pris le grand large et a nagé pendant très très
longtemps. On l'a vu disparaître à l'horizon. À un moment donné, on était tous
inquiets, mais il est revenu.
AU-DELÀ DU RHIN ET DE L'ATLANTIQUE
Le pays d'Outre-Rhin n'est pas le seul à reconnaître en toi un des plus
grands artistes de notre temps, je pèse mes mots. C'est néanmoins bien là que
se trouve une partie non négligeable de tes oeuvres. Le philosophe Wolfgang
Sauré, le professeur Rudolf Kober ou Gerd Lindner qui est le directeur du
Panorama Museum à Bad Frankenhausen dans les collections duquel figurent aussi
tes tableaux, t'ont connu ou te connaissent personnellement. C'est par exemple
grâce à eux que nous avons sous les yeux un très beau catalogue "Michel
Henricot - Terra Incognita". Veux-tu dire quelque chose au sujet de ces
personnes ?
Wolfgang
Sauré était un écrivain et un critique d'art qui a vécu à Paris pendant quelques longues années. On
s'était rencontrés il y a fort
longtemps. Il aimait
beaucoup ma peinture. Il suffira peut-être de lire un des articles qu'il a
écrits à mon sujet pour avoir une idée comment il voyait mes tableaux. Un jour il avait disparu, on
s'était perdus de vue. Et puis, il y a peut-être une quinzaine d'années de
cela, il était venu en compagnie d'un très riche marchand de tableaux que Sauré
avait convaincu de me faire une exposition et un livre en Allemagne. Ça m'est
vraiment tombé du ciel. Psychologiquement, ce marchand n'était pas facile
d'accès, mais Wolfgang Sauré faisait le lien entre nous.
En définitive, on a réussi à exposer une série conséquente de mes
tableaux dans une belle galerie à Munich.
Il y a eu donc aussi un livre que je n'aime pas particulièrement, à cause de la
médiocre qualité des reproductions. Par la suite, Wofgang Sauré m'a fait rencontrer Rudolf
Kober, un professeur et un collaborateur très proche de Gerd Lindner. Je crois
que c'était en partie sur les conseils de Monsieur Kober qui savait parler très
bien de la peinture, que le Panorama Museum à Frankenhausen en Allemagne a
acheté toute une collection de mes tableaux. Bien évidemment Gerd Lindner, le
directeur du musée en question a dû avoir son dernier mot dans ces acquisitions.
Monsieur Lindner était assez souvent venu ici chez moi, pratiquement à chaque
fois en compagnie du professeur Kober. Ce que je
peux affirmer sans parti pris, c'est que ces deux hommes ont toujours été très
enthousiastes pour ma peinture. J'ai rarement vu des gens enthousiastes à ce
point. À chaque fois je leur faisais un dîner et nous discutions de l'art. Dans
ton rôle d'interprète, tu t'en souviens bien.
Oui, ces quelques soirées sont restés pour moi singulièrement
inoubliables.
Wolfgang Sauré a été pour moi comme une bonne fée.
Hélas il n'est plus là de ce monde.
Et les pays d'Outre-Atlantique ? y as-tu exposé tes oeuvres ?
J'ai fait
une exposition à New York.
Ça n'a pas été un succès du tout, parce que la galerie n'était pas bonne, elle
n'était pas faite pour ma peinture. Je n'aurais pas dû y être exposé. Non, je n'en garde pas
un bon souvenir. Cela dit, il y a eu quand même des ventes et
des reventes, donc quelque part, cela a été utile. Les personnes qui là-bas
avaient acheté mes tableaux, sont plus tard venues chez moi à Paris pour acheter d'autres tableaux. Parmi
ces gens il y a donc ce couple qui m'a ramené le fameux os de cachalot.
Sur le coup, cela n'avait pas été un succès, mais c'en est un sur
d'autres plans.
Après tout oui, c'en est un.
PUISSANCES ET FASCINATIONS
En Corse ou ailleurs, tu as noué aussi des amitiés qui n'ont jamais faibli, qui
se sont magnifiquement épanouies. Le lissier Philippe Chleq et l'opérateur de
cinéma Denys Clerval sont restés tes amis fidèles et très proches. Est-ce
qu'ils t'ont soutenu ou épaulé d'une manière ou d'une autre ? Voudrais-tu dire
quelque chose a leur sujet ?
Ils ont toujours été très bénéfiques pour moi. Ils
m'ont toujours encouragé, accompagné et en somme soutenu dans l'amitié, ce qui
est vital. Cela crée des liens inconditionnellement forts. Ce sont en effet des
amis très proches. Vraiment, ils m'ont toujours épaulé dans toutes sortes de
circonstances et de situations de la vie. Combien de fois Philippe Chleq a par
exemple monté et démonté mes expositions ! C'est pas rien ! Quand il avait son
très bel atelier de tapisserie (pas loin de deux cents mètres carrés) dans la
rue du Dahomay à Paris, j'y faisais des expositions presque tous les ans. Les gens venaient en grand nombre,
c'était bien, c'était un bel espace. Philippe exposait ses
tapisseries, moi mes tableaux et en général on invitait aussi un sculpteur à
exposer ses oeuvres ou en tout cas quelqu'un qui faisait autre chose.
Denys Clerval ?
C'est un grand ami. Denys a par exemple toujours su
parler de son métier d'opérateur avec passion et dans ce domaine, on peut
toujours apprendre beaucoup de lui. N'oublions surtout pas qu'il a co-créé en France
quelques oeuvres majeures ne serait-ce que dans la période de la Nouvelle
Vague. Mais pas seulement. Quand on l'approche, très vite on s'aperçoit que
c'est quelqu'un ... hummm ... quelqu'un qui excelle dans l'écoute de ses
interlocuteurs. Dans ce monde il y a tellement de gens qui parlent beaucoup,
qui parlent trop, parce qu'ils ne savent pas écouter les autres. Eh bien, je
considère que savoir être à l'écoute d'autrui est un art et dans ce domaine
Denys Clerval est aussi un grand artiste, un artiste d'une humanité ... oui, au
coeur pur, je crois que le mot est juste.
Peut-être ...... Décidément il y a dans l'air quelque chose de
télépathique, étant donné que ma question suivante porte sur cet événement
culturel majeur en Bourgogne.
Au fait, je tiens dans ce contexte à évoquer la personne de Christian Duriez
qui t'a stratégiquement aidé dans l'organisation et la mise en place d'une
exposition époustouflante de tes oeuvres. Son soutien à l'égard de ta peinture
ne date pas d'hier. Je trouve personnellement que c'est quelqu'un de fort intéressant.
Il est par exemple l'initiateur d'un restaurant du coeur qui accueille des gens
privés de suffisamment de moyens pour se nourrir régulièrement. Eh bien, cette
exposition qui a eu lieu ... donc à Tournus en Bourgone est, dans ta carrière
de peintre, très importante. Je pèse mes mots, car avant, tu n'as pas vraiment
eu en France
beaucoup d'expositions et surtout d'expositions de cette taille.
Non, je n'en ai pas eu.
Voudrais-tu dire quelque chose au sujet de Christian Duriez ?
C'est quelqu'un qui est habité d'une grande énergie.
Quelqu'un de très social, d'accueillant et de convivial. Il ressent ma peinture
de manière instinctive. C'est rare. Christian ne va pas perdre son temps dans
les analyses qui à la longue ne font que fatiguer nos esprits. Il aime ou il
n'aime pas, mais en gros, il aime honnêtement ce que je fais comme peintre.
Avec le temps, il m'est évident que je peux toujours compter sur lui. Il m'a
donc proposé de faire cette exposition à Tournus dans la grande salle d'une
somptueuse abbaye. Un
espace tellement épuré !, vaste et beau, en bref : FANTASTIQUE ! Il m'a fait
rencontrer des gens de ce lieu et je vais souligner que c'est bien l'exposition
qui m'a fait le plus plaisir de toute ma carrière. J'ai pu
donc y présenter une centaine de mes oeuvres. L'éclairage était parfait,
c'est-à-dire pas cru, pas agressif du tout : mes tableaux sont faits pour une
lumière légèrement tamisée partant d'un projecteur. De surcroît, ô merveille !,
ce fut un événement SANS marchands de tableaux !
[rires] Merci Christian !
Des femmes un peu plus anonymes t'ont inévitablement épaulé aussi. Je
pense par exemple à Anne-Marie Kucharski. C'est quelqu'un qui t'a beaucoup aidé
et continue de t'assister dans les coulisses de l'internet. Il y eut un temps
ou Anne-Marie m'a énormément aidé aussi, notamment à une époque particulièrement
difficile pour moi. Je saisis donc l'opportunité de la remercier de tout mon
être pour ce qu'elle a fait à mon égard et pour ce qu'elle continue de faire pour d'autres
artistes. Que pourrais-tu dire au sujet de cette femme ?
Anne-Marie
Kucharski est un être vraiment touchant. C'est quelqu'un de très cultivé. Il y a
quelques années, elle m'a déniché je crois sur l'internet. C'était un temps où
je travaillais sur toute une série de tableaux que j'appelle
"aquatiques". Je peignais des êtres immergés dans un liquide
mystérieux comme une eau aux caractéristiques non révélées ou peut-être comme
un liquide amniotique, tout cela souvent dans une sorte de piscine ou de
matrice. Anne-Marie était absolument hypnotisée par un de ces tableaux. Il
l'attirait indéniablement et en même temps elle en avait peur. Finalement elle
l'a acheté.
Et voilà, on est devenus amis comme ça. Par la suite, on était sortis beaucoup
ensemble voir de préférence des expositions. Anne-Marie est passionnée de
littérature. C'est d'ailleurs une experte dans ce domaine. Elle est devenue
libraire et a un stand aux puces. C'est parce qu'elle adore les livres en
général, et des livres anciens en particulier. Et c'est en effet bien elle qui
a eu l'initiative de montrer au grand public et de manière très efficace sur
l'internet ce que je fais . D'ailleurs de temps en temps, elle continue d'agir dans ce sens. Ce
que j'aime en cette femme, c'est aussi le fait qu'il émane d'elle une espèce de
modestie que rehausse son raffinement inné face à l'art. Je suis très content
de la connaître.
Existe-t-il quelqu'un en France qui a
écrit des articles sur ta peinture et que tu apprécies particulièrement, un peu
comme pour le cas de Wolfgang Sauré en Allemagne ?
Oui. Jean-Claude Dedieu. Il est professeur de
philosophie et écrivain. Il a écrit trois préfaces pour mes catalogues que je trouve les plus pertinentes et juste sur mon travail, mais également Alain Bosquet, l'auteur de nombreux articles sur ma peinture.
Je tiens à signaler une chose qui dépasse peut-être le cadre de ce que je dis
au sujet de tous ces gens tantôt célèbres, tantôt inconnus. Eh bien ...
évidemment il est plus facile de parler de personnes célèbres une fois qu'on
les a côtoyées. Je pense toutefois qu'il ne faut pas sous-évaluer ou passer
sous silence le rôle fondamental que jouent les gens plus ou moins anonymes,
les connaissances et les amis. Ils co-créent notre quotidien.
Sans eux, comment être intègre ? Sans eux, à quoi bon être artiste et en
définitive être qui on est ? Est-ce que Marcel Proust serait devenu celui qui
il est aujourd'hui à nos yeux, si un jour une Céleste Albaret, sa gouvernante,
n'avait jamais préservé et rangé ses feuilles ?
[Silence prolongé]
~ 17 ~
LES RACINES
Michel, tu dis quelquefois que tu es à la fois du Nord et du Sud. Pourquoi ?
Il
faudrait le demander à mes chers parents. Ma mère est du Nord, des environs de
Valenciennes, c'est-à-dire de Saint-Amand-les-Eaux, une petite ville située
dans les Flandres françaises tout près de la frontière belge. Mon père est
aussi du Nord [de la France], mais il est de lointaine origine italienne. Je
l'avais très peu connu, parce qu'il est mort quand j'avais quatre ans. J'ai
très peu de souvenirs concernant mon père. Je me souviens quand même que quand
il rentrait du bureau, je m'asseyais sur ses genoux et lui demandais qu'il me
dessine des voitures et des locomotives, comme le font tous les petits garçons
...
Des locomotives à vapeur alors ! J'ai un goût immodéré pour les
locomotives à vapeur ...
Ah bien
sûr ! Des locomotives à vapeur !
[rire]
En tout cas Michel, je respecte et réalise ton voeu de prononcer le nom de
famille que tu portes à l'italienne, donc (H)E-nricO(T), le H initial et le T
final ayant été rajoutés bien avant ta naissance.
Parfaitement.
Mon nom de famille a été naturalisé français je crois au XIX-ème siècle ou
peut-être même avant. D'abord on a ajouté le H et plus tard on a ajouté le T.
Aujourd'hui, je suis le seul de toute ma famille à avoir recours à la
prononciation à l'italienne de mon nom, donc [H]Enrico[T]. En tout cas, c'est
ce que je préfère. Voilà.
Quoi qu'il en soit, le français est ta langue maternelle et, quand on ne te
connaît pas suffisamment, on ne peut pas présumer qu'il y ait en partie des racines italiennes dans
ton histoire.
Je ne parle pas d'autres langues, hélas, j'arrive à
peine à comprendre vaguement ce qui est dit en anglais. Et pourtant, lorsqu'en
ville, un passant anonyme me demande où se trouve telle ou telle rue et que je
dis un seul A ou un B, j'entends immédiatement "Vous avez un accent
Monsieur, vous venez d'où ?" [rires]
Il y a quelques années déjà, pendant deux ans de suite j'ai été un
dernier élève de ta mère Jeanne Henricot. Elle était mon professeur de piano,
le seul d'ailleurs ... À peine ai-je eu fait sa connaissance, elle et moi
sommes devenus amis. C'était une femme ... adorable, je ne trouve pas d'autre
épithète en ce moment, mais la liste de termes édifiants désignant Jeanne
serait bien longue. Michel, parle-nous un peu de ta mère. Commençons par le
Nord de la France, veux-tu ?
[sourie] Maman a eu une jeunesse un peu amusante, parce que
tout le monde dans ma famille s'exerçait dans la musique. Ainsi, ma grand-mère maternelle
donnait des leçons de piano. Ses filles, nées à la campagne, donnaient des
leçons de piano dans des fermes. Maman, ensemble avec son frère, montait une
espèce de petite entreprise pour jouer du piano dans des salles de cinéma
pendant la projection de films.
C'est vrai, c'était l'époque du cinéma muet.
Oui. Donc,
elle était sous un écran avec un petit bastringue et jouait. Elle regardait
d'abord ce qui se passait à l'écran et donc elle s'adaptait à la circonstance,
parce que le plus souvent elle ne savait strictement rien de ce qu'un film
racontait avant sa projection dans la salle ... [rire].
Donc elle jetait un coup d'oeil sur l'écran et si c'était une chevauchée, alors
elle devait se dire immédiatement "C'est une chevauchée, bon, allons-y
!", sur quoi elle jouait "tagada tagada tagada tagada tagada
tagada", ça devait être épique !! [rires]
Nous sommes là en pleine improvisation.
Et comment ! Si c'était une romance, une scène où un homme en pince pour sa
dulcinée, ma mère devait jouer alors au ralenti une musique sirupeuse. Et puis,
si dans la séquence d'après on voyait une poursuite où ce même homme courait un
risque énorme de se laisser pincer par les hussards, il fallait alors
brusquement changer de registre et jouer un autre tagada-tagada de manière
inévitablement plus dramatique. C'était incroyable ! [rires]
.......... Ma mère était et est restée très vive tout au long de sa vie. Elle
aimait à courir, à voir le monde, à organiser des dîners et recevoir des
invités, des amis. Elle aimait rire. C'était quelqu'un de très social,
d'enjoué, de qui émanait une énergie vitale intense, on dirait inépuisable.
Est-ce que ta mère se plaisait à vivre à Paris
?
Énormément.
Je crois qu'elle ne se plaisait pas du tout dans sa province et qu'une fois
installée dans la capitale, il n'y avait plus question pour elle de retourner
là-bas. Maman aimait trop les gens. Un jour, elle a tout simplement écarté
l'idée de s'enterrer dans un petit village où, comme dans tous les villages,
une vie culturelle en société est pratiquement inexistante, en tout cas, n'a
rien de comparable avec ce que peut apporter une grande ville. Ainsi, dès que
l'opportunité de vivre à Paris
se présenta à elle, elle n'a pas hésité. Elle pouvait d'une certaine façon
réaliser son rêve. Cela correspondait parfaitement à son tempérament.
Ta mère était aussi allée en Corse et y avait donc côtoyé Leonor Fini ?
Non, maman
est allée en Corse quand Leonor était partie et m'a laissé le monastère. C'est
parce que Leonor n'était pas pour les rapprochements avec les familles. Quand
j'y pense ..... si, pour être précis, une fois les deux femmes avaient pris un
thé en Corse dans un petit village à côté, mais pas au monastère.
Comment s'entendaient-elles ?
Elles s'entendaient. Leonor était très gentille avec ma mère, mais ma mère
était quand même pétrifiée par cette femme. En réalité, Leonor préférait voir
les gens en tête-à-tête si possible. Par exemple, quand il s'agissait d'un
couple marié et selon la personne envers laquelle Leonor ressentait davantage
d'affinités, elle avait l'habitude de dire : "Venez seul(e)".
~ 18 ~
DE LA MUSIQUE ENCORE !
Michel, tu es l'ami d'un couple de grands pianistes : Tania et Éric
Heidsieck. Comment les as-tu connus ?
J'ai connu
d'abord Éric Heidsieck d'une façon étrange. C'était quand je faisais mon
service militaire et lors d'une permission. Je l'avais donc rencontré dans un train. J'ai vu juste
devant moi un type de mon âge en train de feuilleter des partitions. Je lui ai
adressé la parole du genre : "À te regarder feuilleter des partitions,
tu dois être musicien ?". Il m'a dit "Oui en effet. Je suis
pianiste ... en ce moment en permission" etc.
Éric était déjà célèbre, parce qu'à vingt ans il avait eu le Grand Prix du
Disque. Il faisait donc son service tout comme moi. L'armée
lui faisait donner beaucoup de concerts pour La Croix Rouge, tout ça. Il faut
savoir que j'étais militaire en Algérie, et c'est donc en tant que tel que
j'avais formé ... enfin fondé là-bas une espèce de petit orchestre pour faire danser
les officiers et les sous-officiers en principe tous les dimanches. Eh bien, un
beau jour je ne sais
plus ce que j'avais fait, mais je me suis retrouvé en tôle. Du coup, il n'y
avait personne qui puisse jouer du piano et c'était quand même moi le pianiste
du dimanche !
C'est fascinant !
Les
autorités ont de ce fait demandé à Éric de venir me remplacer ! [fous rires].
BRAVO !
Alors Éric Heidsieck s'exécuta et au final trouva que
c'était dégueulasse, vraiment dégueu dégueu, parce que les gens et surtout
l'orchestre étaient ceci et cela, enfin bref, un fait divers des plus insolites
dans sa carrière. Et puis, quand je suis sorti de la tôle et que j'ai rejoint
mon orchestre, les musiciens m'ont dit "Tu sais Michel, ce gars Éric, ce pianiste, mais
qu'est-ce qu'il jouait mal !" [fous rires]. Voilà comment s'écrit
l'histoire.
Bon, et après on est revenus, on a été libérés en même temps et il s'est trouvé
que par un incroyable miracle, chacun de son côté bien sûr, on a acheté un
appartement dans une même maison, face à face sur le même palier. On n'a pas
fait ça de concert, pas du tout ! J'étais installé depuis à peine peut-être une
quinzaine de jours avant lui et voilà qu'une fois je suis chez moi et que
j'entends un grand remue-ménage ... j'ouvre la porte et ... qui je vois sur le palier
entrer et s'installer dans son appartement juste en face du mien ? Éric en
personne ! Voilà. J'avais vécu quinze ans là-bas. Éric et moi sommes devenus
des voisins de palier exemplaires ! Ç'a été une cohabitation merveilleuse.
Très souvent, quand Éric avait fini de travailler, il aimait venir chez moi
prendre un thé et alors nous discutions de peinture, de musique et de plein
d'autres choses. C'étaient des moments vraiment tonifiants et très agréables.
Par la suite, j'ai fait connaissance de Tania, l'épouse d'Éric, aussi une
grande pianiste. Avec elle, Éric aura souvent joué pendant des années, ce qu'il
fait d'ailleurs périodiquement jusqu'à ce jour. C'est un couple de pianistes
remarquable. Éric et Tania sont très appréciés dans de nombreux pays et
notamment au Japon. Et pour moi, ce sont de surcroît et avant toute autre
considération, d'excellents amis.
Tu t'assois au clavier de ton piano à queue pratiquement tous les jours.
Tu n'as jamais joué à quatre mains ?
Siiiiiiiiii
! J'ai une très grande amie. Elle s'appelle Hélène Rascle-Franc et est un professeur de piano. Tous
les deux, on n'est peut-être pas de la même force [rire], mais on est à peu
près du même toucher. C'est très agréable parce qu'il existe toute une littérature
merveilleuse pour jouer à quatre mains. En plus, ce qui nous importait pour
beaucoup, c'est bien le fait que cela imposait un rythme soutenu de nos
rencontres pianistiques et une discipline. Il faut faire très attention et en
somme être très vigilants, beaucoup plus que lorsqu'on joue à deux mains. Pour Hélène et moi, c'est une
expérience vraiment enrichissante.
PAS SEULEMENT D'UN SANG POLONAIS
Michel, avant de reparler de ta peinture, permets-moi de mentionner peut-être
encore Piotr et Anna Dmochowski - les initiateurs et réalisateurs de la
Fondation Beksiński en Pologne. Ce sont d'éminents
collectionneurs aussi d'une partie non négligeable de tes oeuvres et qui
gardent un contact avec toi.
Oui, c'est un couple que je connais depuis longtemps ...
Piotr Dmochowski a acheté toute une série de mes tableaux. Nous ne nous voyons
pas très souvent, toutefois assez régulièrement. C'est
quelqu'un qui sait très bien ce qu'il attend, ce qu'il veut d'un tableau. Sa
femme Anna a aussi son mot à dire et pas des moindres ... Ce sont des gens
intéressants, des personnalités qui sortent du commun. Piotr est un homme
intransigeant dans les affaires, cela va de soi, et à la fois très riche humainement.
Anna, de qui émane une beauté intemporelle, est vraiment charmante. Nous sommes toujours en contact.
Le peintre Franciszek Starowieyski. Que veux-tu dire à sont sujet ?
L'as-tu rencontré chez Constantin Jelenski ?
Non. Je
l'ai rencontré d'une façon étrange à Paris.
C'était chez un encadreur qui avait une toile de moi dans sa vitrine. J'ai vu
un homme observer attentivement ce tableau. L'encadreur nous a présentés et cet
homme m'a dit tout le bien qu'il pensait de ma toile. Il m'a dit qu'il était
peintre lui aussi et m'a invité à voir son atelier situé dans le même quartier.
En ouvrant la porte j'ai
tout de suite réalisé qui il était. Je connaissais bien sûr ses
merveilleuses affiches qu'il a faites pour le théâtre polonais et pour le
cinéma. J'étais évidemment confus de ne pas l'avoir reconnu. Nous sommes
devenus amis et nous rendions visite périodiquement dans nos ateliers mutuels.
Il me téléphonait souvent pour me demander un avis quand il était embarrassé
par une de ses peintures. J'étais à mon tour très embarrassé à lui donner mon
avis parce que je considérais et je considère que Starowieyski était un très
grand artiste. Il a quitté Paris
il y a quelques années et maintenant, hélas, il est mort.
Des gens, des vies, des âmes qui peuplent ton voyage
... Laisse-moi retrouver mes propres racines
de cette mienne incarnation qui advient ici et maintenant. Tant de visages qui
te reconnaissent ... Il semble que comme par un tour de magie, tu as souvent
croisé ou été entouré de Polonais. Serait-ce un hasard ? Comment vois-tu les
Polonais ?
Comment je les vois ? Ce sont des gens qui me plaisent beaucoup. Chose un peu
étrange, c'est que je ne suis pas allé vers eux, ce sont eux qui sont venus
vers moi. [rires] Avec toi, ç'a été différent, parce que la première fois on
s'est rencontrés sur un terrain neutre chez des amis, mais en général ce sont
les Polonais qui viennent en premier.
S'il s'agit de ce que nous entendons communément dans le terme
"hasard", je trouve personnellement qu'il existe bel et bien une
intelligence qui dépasse de loin ce que nous pouvons appréhender des
circonstances de la vie et de ce que nous sommes. Ce n'est pas que nous soyons
de ce fait rien de plus que des marionnettes, pas du tout, mais je veux dire
qu'il existe vraiment quelque chose qui nous dépasse. Je pense que reconnaître cette
évidence ne serait pas dépourvu de sens, ne nous enlèverait en rien notre
statut de créateurs ou co-créateurs de notre réalité. C'est
juste une question d'être un peu humble. C'est au même titre admettre par
exemple la possibilité d'une vie intelligente ailleurs, sur d'autres exo-planètes.
Voilà une parenthèse sur le hasard.
Pour en revenir aux Polonais, ce sont des gens que j'aime beaucoup. Dans
l'histoire de leur pays, ils ont connu de longues périodes très difficiles pour
ne pas dire dramatiques et dans leur vie privée ils ont souvent dû subir
énormément de déchirements. Mais ce qui me fascine auprès de ce peuple, c'est
le fait que les Polonais témoignent d'une vitalité féroce. Ils sont
parfaitement capables de se relever des pires circonstances, des pires
situations et d'aller de l'avant. Toujours est-il que ce sont des gens un peu
mélancoliques sans pour autant se faire des illusions. Et puis, par moments, ce
sont des gens qui aiment la fête. Voilà pour ce qui est des principales
caractéristiques au moins de ceux d'entre les Polonais que j'ai eu
l'opportunité de découvrir et de connaître. Et c'est très vrai, il existe dans
mon périmètre "comme par hasard" tout un groupe assez conséquent de
Polonais.
Connais-tu la Pologne ?
Non. Une
fois, il y a trois ou quatre ans, quelqu'un m'a invité à y passer quinze jours
dans le contexte d'un atelier. J'allais me retrouver dans un même espace avec
un groupe de peintres. Le but était de travailler donc en compagnie de tous ces
gens et d'y laisser son tableau avant de partir.
Tu sais, dans ma
vie, ce n'était qu'en Corse que j'ai pu faire ça, je veux dire travailler avec
un autre peintre juste à mes côtés. C'est parce que là-bas, je partageais un
même atelier avec Leonor Fini et Stanislao Lepri. Trois chevalets et nous trois
... Même si nos univers n'étaient pas les mêmes (heureusement !), nous étions
quand même des êtres venus d'une même galaxie ! Ce fut la seule circonstance,
la seule exception dans ma vie lorsque je me sentais librement disposé à
partager une même pièce avec d'autres peintres.
Alors, s'il s'agit de cette invitation qui m'est parvenue depuis une lointaine
Pologne, je n'ai pas donné suite. Tu sais très bien que
je suis en dehors de toute compétition ! [rires]
La Pologne ? Peut-être un jour, qui sait, j'irai là-bas ? Si on organise tout,
alors ce serait avec joie.
Michel, revenons donc à tes tableaux, s'il te plaît.
Je t'en prie.
~ 20 ~
ABZU
Certaines de tes oeuvres m'inspirent au point à en créer un reflet sous forme
d'un pict-texte, c'est étrangement puissant en syntonie ... À mes yeux, en tout
cas comme je le ressens au plus intime de mon être, tu as une faculté ...
C'est-à-dire ?
Tu as cette faculté formidable et sans pareille de
compulser les archives d'une mémoire planétaire ancestrale à l'échelle cosmique
du temps où sont enregistrées des expériences qui continuent d'avoir un impact
sur nous-mêmes ici présents en chair et en os en tant qu'Humanité. Les
personnes qui vibrent singulièrement fort
avec ta peinture doivent
consciemment ou non s'y retrouver parce que, quelles qu'en soient les
incertitudes, les croyances et les convictions, elles ont, d'une manière ou
d'une autre, connu, c'est-à-dire vécu ce genre d'expériences et pour elles, tu
catalyses quelque chose de vital. Il est au moins tout à fait vraisemblable que
ces personnes reconnaissent dans ta peinture les ambiances d'un tel vécu. Dans
ces enregistrements tu as de surcroît la maîtrise d'identifier l'essentiel,
autrement dit de manifester un message transcendant d'importance qui puisse
nous inciter à réfléchir très sérieusement sur notre devenir en tant qu'espèce,
une espèce qui a la prétention de se considérer comme hautement intelligente.
C'est
complexe. Je n'y avais pas pensé sous cet angle, ni dans ces termes, mais c'est
très intéressant ce que tu avances Irénée, enfin pourquoi pas ? En tout cas, je
dois avoir accès à quelque chose ...
Tu fais ressurgir par exemple tout un monde d'humanoïdes aux proportions
parfaites pour notre entendement de ce qu'est la référence. Quelquefois ils
prennent l'apparence d'entités hybrides. Tes portraits aux yeux fermés sont
immobilisés dans les résultats d'un mode d'emploi dont ni les étapes, ni les
détails ne nous auront pas été révélés. Les cités désertées que tu nous
dévoiles s'avèrent inéluctablement complémentaires aux êtres manifestés dans
les autres séries de ta peinture et témoignent, pour moi en tout cas, de
l'existence d'une réalité tangible dans une fréquence avoisinant la nôtre, mais
pas la même, donc au demeurant vibratoirement inaccessible à nos cinq sens. Je suis
personnellement très sensible à tes paysages. Il émane d'eux une conscience qui
les a figés dans un but civilisateur majeur à notre adresse. C'est
indéniablement une question d'invention, mais aussi de mémoire. Tes oeuvres en
sont dotées, je le ressens particulièrement fort. Qu'est-ce qui se passe
en toi lorsque tu peins un paysage ?
Eh bien,
en général ce sont en effet des paysages presque entièrement inventés. Ils
recèlent une information qui me vient d'une époque très reculée dans le temps.
Ce sont en conséquence des paysages archaïques qui ressurgissent de diverses et
multiples strates de ma mémoire. Cette mémoire s'avère tout naturellement
enfouie au plus profond de qui je suis, c'est comme des souvenirs ... En
réalité ce SONT des souvenirs de régions, de zones, d'arrière-pays et de terres
qui existent quelque part. Ils sont probablement préservés, j'ignore comment,
mais quand même préservés dans l'histoire d'un monde, d'une planète et plus
concrètement peut-être dans les abysses de celle-ci.
De la planète Terre ?
Cela se
peut, mais ça pourrait être tout aussi bien une autre planète. Il se peut que
ma mémoire revoie des paysages à la fois d'ici et d'ailleurs. Après tout, nous
ne sommes pas les seuls êtres pensants dans l'immensité du Cosmos, j'en suis
profondément convaincu.
En tout cas pour moi, c'est avant tout une question de mémoire.
Oui, pour
moi aussi. Bien sûr, je serais capable de peindre des paysages existant
aujourd'hui avec des ruisseaux luxuriants, des arbres, des vergers, des choses comme
ça, mais cela ne m'intéresse pas. J'aime le terme "archaïque", parce
que ce terme décrit viscéralement ce que j'explore, ce que je vis, ce que je
vois. Et puis je suis aussi quelqu'un qui a une sensibilité bien sûr. Elle me
guide aussi.
~ 21 ~
UNE FLORE
Ta passion des plantes est connue de tes amis. C'est entre autres à travers
elles que ta sensibilité s'exprime. Hum ... tu sais Michel, enfin, comme tout un chacun,
j'ai naturellement aussi ma sensibilité. D'une certaine façon, elle m'aide à
construire une compréhension sans doute inconfortablement non-académique d'une
part autour de cette énergie originelle depuis laquelle viennent à prendre
corps tes oeuvres et d'autre part, de ce que tu communiques à travers
celles-ci. Mais bon, parlons maintenant de l'univers des plantes. L'aimes-tu
alors, cet univers ?
Quelle question ! mais bien sûr que j'aime tous ces
êtres sublimes que les humains identifient comme plantes. Quand j'étais petit,
je crois aux alentours de mes sept ou huit ans, j'ai voulu devenir
horticulteur. J'ai toujours adoré les parcs, les jardins potagers, les vergers,
les serres. À un moment donné, j'avais même essayé de faire pousser un maximum
de choses, donc même des arbustes et puis bien évidemment des légumes, des
fleurs tantôt de chez nous, tantôt exotiques, des plantes grimpantes comme le
lierre, des herbes ...
C'est un fait, j'aime toutes les plantes : celles qui s'enracinent droit dans
le sol, comme celles qui sont à l'aise dans les pots et aussi les bouquets. Il
y en a pratiquement toujours dans ma maison. Il m'arrive d'héberger des
spécimens plus rares comme certaines merveilles insectivores aux formes en même
temps très belles et inquiétantes. Concernant les fleurs, j'aurai une
préférence pour celles qui ont plutôt de longues tiges et qui sont de couleur
foncée avoisinant le rouge cramoisi, le bleu indigo ou littéralement le noir.
Je crois qu'il existe aujourd'hui par exemple ... des pétunias dans ces gammes
et même certaines espèces de roses. Toujours est-il que les fleurs blanches ou
en général plus claires édifient mon bonheur aussi. J'aime quelquefois les
contrastes à l'image d'un bouquet composé de deux couleurs de fleurs en
apparence totalement contradictoires comme le bleu marine et le rose orangé.
Avant, seules les fleurs jaunes demeuraient à l'écart de mes goûts, je les
adorais dans un square ou dans un pré, mais pas dans mon appartement.
Aujourd'hui je les accueille sans façon, car fort heureusement
nos goûts évoluent !
C'est peut-être
étrange, mais je ne suis pas vraiment tenté de peindre les plantes. Il
y a sans doute une raison à cela, c'est comme ça. Que pourrais-je dire de plus
dans ce paragraphe ... Oui ça y est : les plantes sont un point de départ pour
les parfums ! Tu en sais
quelque chose Irénée.
Or, dans le règne des parfums, je privilégie de loin les encens. Ces substances
résineuses aromatiques, quand je les brûle, sont pour moi l'évocation d'un
autre temps conjugué dans d'autres espaces comme un antre, une grotte, un
temple, une chapelle, un caveau, une crypte, un refuge, une pyramide ... Pour
moi, les encens ont quelque part une envoûtante connotation olfactive avec
l'Égypte. C'est très particulier. Bien sûr, je peux aimer un tas d'autres
émanations. Je suis très sensible aux odeurs.
Donc voilà, c'est ce que je peux dire au sujet du règne des plantes et de ce
que ce règne représente pour moi.
Tiens, le temps s'éclaircit ...
~ 22 ~
PALAIS DES SAVEURS
Parlons de la cuisine. Quelle place occupe-t-elle dans ta vie ?
Mniam
mniam ! [rires]. Oui, j'aime cuisiner et
même si je ne mange pas beaucoup, j'aime manger bien. J'ai l'habitude
d'organiser des dîners que je fais moi-même et auxquels j'invite des gens. Ça
me plaît de nourrir mes amis. Je ne trouve pas d'intérêt dans la procréation,
en revanche la création gastronomique m'attire énormément. C'est donc aussi
là-dedans que je trouve mon compte. Voilà pourquoi j'ai en somme aussi un peu
ce côté d'un père nourricier. J'aime dire et redire à chacun de mes amis "Mange, mange,
mange". [rire] Bien sûr je
n'insiste pas, mais de temps à autre ce genre d'encouragement s'échappe de ma
bouche. Et puis, ça m'amuse de composer au piano de la cuisine !
Les mets que tu nous sers à ta table sont toujours de véritables
compositions à la fois gustatives et picturales. C'est bon et c'est beau ! Je n'aurai
pas été le seul à l'avoir constaté.
Tu sais,
c'est parce qu'en principe les artistes peintres, précisons : les BONS peintres
[rires] se plaisent à cuisiner et en général
le font très bien.
Qu'est-ce que tu aimes manger ?
Je n'aime pas vraiment la cuisine du nord parce que je la
trouve un peu trop grasse, trop lourde. Ce qui est long à digérer, je le mets
plutôt de côté. Ma cuisine aura été donc légère avec cependant beaucoup de
condiments, d'épices et de parfums. Je ne mange pas énormément de viande,
encore que de temps en temps il m'arrive d'honorer un petit salé, quand même !
Mais c'est rare. Je vais privilégier les poissons et autres frutti
di mare. Et puis les salades de nos jardins, ça oui ! J'aime servir les fruits
au dessert. Les kakis auront été facilement ma prédilection. Peut-être en
raison du fait que quand j'avais douze ou treize ans, j'avais le droit à un
kaki si seulement ma mère, c'est-à-dire dans cette circonstance mon premier
professeur de piano, était contente de mon jeu. Il faut savoir qu'à l'époque on
trouvait difficilement ce fruit et qu'il devait coûter cher.
Et les boissons ?
Le matin,
j'aime prendre une tasse de thé, d'un bon thé parfois légèrement parfumé ou, ce
qui est mieux, d'un thé fumé. Plus tard dans la journée, je bois un peu de café. Je dois faire
attention à l'alcool si je tiens à rester qui je suis, à savoir un peintre très
actif qui travaille beaucoup au quotidien et qui aime aussi jouer du piano
pendant une heure tous le soirs ou presque. Et puis,
l'alcool ne me réussit plus comme avant. J'aime toutefois quelques bons vins
blancs, rosés et rouges en fonction du repas. J'aime de temps en temps faire l'honneur à un peu
de bon whiskey, à une vodka de choix ou à un verre de suze à l'heure de l'apéritif.
À table, je préfère inconditionnellement le vin d'ici à l'eau de là, même si
l'au-delà est quelquefois matière d'une conversation savoureusement animée ! Je
n'aime pas le champagne.
QUI SOUHAITE QUOI ?
À l'heure de l'apéritif, tu as l'habitude de t'asseoir au piano et pendant une
dizaine de minutes de nous jouer un ou trois morceaux de ton choix. Plus tard, tu mets assez souvent un disque. Cela peut
être de la musique instrumentale, par exemple le jazz ou la chanson. Un jour tu
m'as par exemple fait découvrir la magnifique Lotte Lenya. Tu l'aimes écouter
toujours ?
Oh oui !
ça fait longtemps que je n'ai pas mis ce disque ... Cette chanteuse née à Vienne et mariée à un moment donné à Kurt Weill était
prodigieuse. Le cabaret allemand a eu ses lettres de noblesse et
Lotte Lenya y a laissé une page mémorable. Il y a aujourd'hui une autre artiste
que j'apprécie, elle s'appelle Ute Lemper, mais ça fait un moment que je n'ai
pas entendu des nouveautés d'elle.
J'aime beaucoup Ute Lemper. Elle chante bien
sûr en allemand, mais aussi en anglais, en yiddish, en français et récemment
aussi en espagnol les textes de Pablo Neruda. C'est quelqu'un qui explore toutes sortes d'ambiances et de courants
dans le genre Chanson. Tu connais son disque "Songbook" avec les
compositions de Michael Nyman pour les poèmes de Paul Celan, Shakespeare et
Rimbaud ?
Non. Ce disque semble intéressant ...
Quelques autres chanteurs ou chanteuses ?
Oui, il y a quelqu'un que j'aime tout particulièrement
et qui s'appelle Sade. Le phénomène de ce que j'appelle "scies
musicales", ce n'est pas du tout son univers. C'est une femme belle
différemment, j'aime ce qu'elle fait. Je peux l'écouter en boucle. Avec elle,
on ne retient jamais les airs, ce qui permet de ne pas s'en lasser, tout au
contraire, je respire mieux en écoutant cette chanteuse. Dans ses
interprétations il y a toujours une très belle atmosphère de timbre et de
rythme. Sa voix est comme du velours mais un peu éraillé, comme usé. Tous ces
ingrédients constituent un mélange qui magnétise et tout ce qui en ressort est
pour moi simplement irrésistible.
Quelle est ta chanson préférée ?
"Cry Me a River". Elle a été chantée par
beaucoup d'artistes et pour te dire la vérité, pour moi en tout cas, c'est
Julie London qui l'interprète le mieux. Julie London a une voix merveilleuse et
c'est elle qui l'a créée, cette chanson. Quand elle chantait, on avait toujours
l'impression qu'elle venait juste de sortir du lit, qu'elle était fatiguée et
pas encore bien réveillée. Il y a aussi un homme qui chante un peu comme elle,
c'est Chet Baker. Quand ces gens chantent, j'ai comme un pressentiment qu'une
fois la chanson finie, ils vont s'écrouler. On a vraiment l'impression qu'ils
ont passé des nuits blanches et à l'évidence qu'ils ont fait ensemble beaucoup l'amour
au lit, sur le gazon ou dans une étable, qu'est-ce qu'on en sait !
~ 24 ~
AILLEURS
Aimes-tu voyager ?
Euh ........ à condition qu'on prenne mon billet, qu'on me fasse mes valises,
qu'on me dépose à la gare, qu'on vient me chercher à mon arrivée et qu'on me
dise où je vais.
Je vois. Connais-tu l'Europe ?
Un peu.
Récemment je suis allé à Prague par exemple. J'ai aimé cette ville à la folie. Hélas, il y a trop de touristes qui abîment tout. Mais l'architecture de cette ville
et ce qui émane d'elle, c'est vraiment merveilleusement inhabituel. J'ai eu
l'impression de me retrouver dans un dessin de Victor Hugo. C'était
extraordinaire. C'est là-bas aussi que je suis entré dans l'enceinte d'un
cimetière juif dont les bases datent, si je ne me trompe, du XIII-ème siècle.
Ce lieu m'a inspiré au point où par la suite j'ai exceptionnellement pris la
résolution de faire deux ou trois tableaux avec un leitmotiv de dalles
sépulcrales entassées et délaissées à cet endroit pour on ne sait combien de
temps.
Toujours est-il que peindre d'après la nature est pour
moi chose sporadique. Il en est ainsi parce que j'ai l'habitude de peindre en
accord avec ce que MA MÉMOIRE me dévoile. Cette habitude est enracinée
solidement dans un besoin viscéral auquel mon mental ne saura faire face.
Dans de nombreux de tes tableaux, certains motifs architecturaux laissent
deviner, disons des tombes, mais ce n'est pas si évident, car elles sont toutes
vides, comme si leur fonction essentielle n'était pas ce que l'on peut attendre
d'un tel endroit. À ma connaissance, tu ne mets d'ailleurs jamais le titre
"Tombes" à ce genre d'emplacement. Pourquoi ?
En effet,
ce sont bien davantage des excavations. Elles ne sont pas faites nécessairement
pour recevoir un corps. Chacune d'elles est en tout cas une espèce de porte,
c'est d'ailleurs comme ça que je vois leur fonction. Elles assurent un passage.
Ainsi, le voyage pourra continuer ... es-tu allé un jour au-delà du continent
européen ?
Oui, quelquefois. Par exemple ......... je suis allé en Inde.
Veux-tu nous dire quelque chose à propos de ce pays, de ce que tu y as vécu ?
Ah ! à propos de l'Inde, je dois dire que c'est un pays dont on ne revient pas
indemne. J'y suis allé il y a déjà une bonne quinzaine d'années. Là-bas, tout
me fascine : l'architecture, les sites entiers vraiment insolites, les paysages
somptueux et les gens qui vivent de façon ... terrifiante, très très difficile
en tout cas si on considère cette façon depuis notre perspective occidentale.
Car ce sont des gens qui fonctionnent dans un autre registre de la conscience.
Ils sont patients, recentrés et comme passifs face à l'ampleur de toute cette
misère qui les entoure et dont ils font partie dans le sens biologique,
viscéral, tellurique. C'est une autre planète. C'est à la fois fascinant et
troublant.
J'ai vécu là-bas une expérience très étrange. Eh bien, je traversais ce pays en
compagnie d'un de mes amis qui fait des tapis et qui s'appelle Philippe Chleq
que j'ai déjà mentionné. Philippe y est donc allé surtout pour des raisons professionnelles,
l'Inde étant ce magnifique pays où on fabrique de très beaux tapis depuis la
nuit des temps. Philippe a fait toute une série de dessins de tapis et par la
suite cette série était manufacturée là-bas sur place.
Nous parcourions l'Inde en voiture en compagnie d'un marchand de tapis très
riche et de son chauffeur. À un endroit il y avait un grand arbre et dans cet
arbre vivait un anachorète qui n'en descendait jamais. Les gens du village lui donnaient de
la nourriture, mais il ne descendait jamais. Donc, on est montés par une
échelle de cordes dans l'arbre. Je n'étais pas bien, parce que j'ai le vertige
et c'était quand même haut. On est au final arrivés sur une
petite plate-forme en bois (un peu comme cette pièce ici) où vivait cet homme.
Il était beau et très maigre, décharné. Il savait parler anglais. Mes
compagnons de voyage lui avaient donné un peu d'argent sans lui avoir dit quoi
que ce soit.
Or, cet homme ne s'intéressa qu'à ma personne. Il a pris ma main et il a fait,
figure-toi, une description très précise, très détaillée de tous mes tableaux.
Muni à l'évidence d'une faculté de s'immerger dans les strates abyssales de
notre mémoire humaine et de voir au travers de ses enregistrements, il s'est
mis à dépeindre le défilé de contrées figées dans le temps que ma nature la
plus profonde reconnaît. Il s'est mis à me parler d'excavations, de couloirs et
d'espaces souterrains gigantesques baignés de cette lumière diffuse et tamisée
qui m'est tellement familière. Il évoquait toutes ces entités et créatures qui
peuplent un nombre si considérable de mes tableaux. Il me parlait de ces eaux
qui accueillent une barque et de quelqu'un qui est dedans. Il gardait ses
paupières ouvertes de manière différente. Il voyait au travers de ce que je
vois. Il lisait ce que je peins sans que j'ouvre ma bouche, sans que je dise
quoi que ce soit. J'avais l'impression de me retrouver quelque part au milieu
entre deux mondes comme en effet dans une barque. C'était très troublant. J'en
suis resté totalement bouleversé.
[silence prolongé]
C'est fascinant ce que tu racontes. Il devait avoir trouvé une entrée à
cet instant, je veux dire il devait avoir accès à une onde d'énergie mémorielle
qu'il identifiait et décodait de façon télépathique, si on se met d'accord que
la télépathie consiste en tout premier lieu en la mise en place et la
transmission d'images.
Oui, c'est
ça. En tout cas, c'était un homme qui vivait donc dans son arbre à dix mètres
au-dessus du sol, qui au moins dans cette vie à lui n'a jamais visité d'autres
lieux, probablement n'a jamais quitté son village et qui depuis de très longues
années n'est pas descendu sur terre. J'étais profondément ébranlé à l'avoir vu
me parler de tout ce qu'il voyait, de ce dont il m'est si difficile de parler
et que je n'arrive à exprimer avec justesse qu'au travers de ma peinture.
Il est fort probable que lui aussi ait été ébranlé d'une certaine façon.
Il devait probablement reconnaître la qualité ou la
fréquence d'une énergie particulière. C'est tout à fait possible.
KEMET
Veut-tu nous dire quelque chose au sujet de l'Égypte ?
Oui ... sauf que ... il y a tellement de choses à dire
à ce propos que je ne saurais par quoi commencer.
Étais-tu entré dans une pyramide ?
Oui, je suis entré dans une pyramide. Il faut savoir qu'il
y a fort longtemps, bien avant d'aller dans ce pays de mes rêves, j'avais déjà
beaucoup fréquenté l'Égypte au Musée du Louvre. Figure-toi
qu'une fois, c'était un soir, (je dois avoir eu quatorze ou quinze ans),
j'avais réussi à me faire enfermer dans ce musée après que les derniers
visiteurs sont partis. Bien évidemment j'étais à ce moment-là quelque part dans
les salles égyptiennes. C'est-à-dire que je m'étais caché derrière un énorme
sarcophage. À l'époque, s'il y avait des caméras de surveillance, elles
n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui, il n'y avait pas de ces systèmes
d'alarme infrarouge et tout ça, ça n'existait pas encore.
Dis donc, on pourrait en faire un épisode pour Belphégor.
Absolument.
Bon, on m'a quand même trouvé très vite au bout d'une vingtaine de minutes. On
m'a amené manu militari, on m'a engueulé, on a prévenu ma mère que je faisais
des choses épouvantables et tout ça. Tu vois, j'avais besoin de me trouver à
l'écart des foules, d'avoir ces merveilles à moi tout seul, d'être immergé dans
un silence éloquent, ce silence qui contient une histoire concrète dirigée
uniquement vers moi. C'était un besoin très fort.
Et donc des années plus tard, c'était en 2008, je suis allé un jour en Égypte,
j'ai vu beaucoup de lieux insolites et je suis entré dans une pyramide ... On y
entre donc par des couloirs extrêmement étroits et escarpés, et alors on sent
ces TONNES de pierres au-dessus de soi ... oui, on peut facilement ressentir
une menace, une sensation très étrange. Mais les pyramides, à la limite, c'est
plus extraordinaire de les voir de l'extérieur.
Je suis allé dans la Vallée des Rois qui pour moi est presque plus intéressante
que les pyramides. Juste regarde : tous ces sites ressurgissent d'un concept
qui ouvre grand le portail de l'imagination humaine. Tous ces monuments sont
d'une splendeur sans pareille. Ils composent une architecture qui impressionne
magistralement. Il suffit de jeter un coup d'oeil ne serait-ce que sur les
photos que nos médias font circuler partout où c'est possible. Néanmoins, je
considère qu'il faut être sur place pour se laisser imprégner d'une force
étrange n'existant que là-bas, de cette force qui doit provenir inévitablement
d'un brassage de puissantes énergies à la fois telluriques et cosmiques que le
temps n'affecte pas. Toutes ces fresques et ces sculptures monumentales rient
de nous, parce que l'égyptologie officielle qui écarte ce qui la dérange et qui
assoit toutes ses propres théories, ne sait toujours pas vraiment comment on a
fait tout ça.
Je suis content Michel que tu le dises, parce que l'establishment archéologique
mondial qui a quand même étiqueté, répertorié et préservé ce que l'Égypte nous
a livré à ce jour, s'exerce en même temps à censurer et à exclure tout ce qui
ne rentre pas dans la pensée consensuelle du comme-il-faut et qui misérablement
n'est qu'une pensée de surface. La police scientifique y est pour beaucoup,
parce que c'est elle avec ses partisans qui n'arrête pas de mettre en doute, de
ridiculiser ou d'interdire la sortie de publications sérieuses serties
d'indications et de révélations inédites faites par des spécialistes intègres,
honnêtes, responsables, courageux et indépendants. Fort heureusement
la situation change.
Oui, il est grand temps que ça change. Tu sembles agité Irénée, que
veux-tu dire ?
Permets-moi de faire juste une parenthèse en
ajoutant ici que je partage le sentiment de l'éminente égyptologue française
Antoine Gigal qui dit qu'il est grand temps que des spécialistes de diverses
disciplines se mettent à travailler ensemble, parce qu'il est impératif de
remonter vers tout ce qui se passe AVANT la quatrième dynastie en vue de
remonter plus loin encore, à savoir non seulement jusqu'au déluge, mais bien
avant, avant le et même LES déluges. Tout cela dans le contexte d'une recherche
impartiale et très TRÈS approfondie en ce qui concerne le plateau de Gizeh sous
lequel il existe tout un réseaux de couloirs et d'espaces souterrains
sophistiqués s'étendant sur plusieurs centaines de kilomètres. Merci.
Pour continuer ma trame, je vais souligner à mon tour que tout au long des
années j'avais retardé autant que possible ma première visite dans ce pays
mythique. Bien sûr, j'ai toujours voulu y aller, mais en même temps j'avais peur
d'être désillusionné ne sachant rien de la réalité d'une Égypte d'aujourd'hui.
Non, je n'avais pas le moindre besoin d'être déçu en raison de notre modernisme
prétentieux et prosaïquement malsain. Je n'avais pas besoin de me voir
confronté à quelque chose que je n'aimerais pas. Alors pendant des années je
refusais de m'y rendre.
C'est parce que l'Égypte est pour moi une dimension vitale qui me nourrit et
qui me ressource de manière essentielle. Cette dimension est donc aussi très
tactile bien sûr. C'est une terre contenant une énergie que je ressens au plus
profond de mon être. Cela dit, il me suffit juste de savoir qu'elle existe,
cette terre, et qu'elle se trouve dans une zone définie géographiquement. Je
n'ai pas besoin d'y aller physiquement pour puiser dans ce que l'Égypte a à me
donner afin que je puisse réaliser mon travail de peintre. Je pense que c'est
une question de connexion incluant le phénomène de réciprocité vibratoire en
quelque sorte. L'Égypte et moi surfons sur une même longueur d'onde et pour ça,
y aller n'est pas pour moi indispensable.
Et
pourtant, ô miracle ! Lorsque finalement j'y suis allé avec un ami qui, comme
je disais, avait pris les billets et pratiquement tout organisé, l'Égypte m'a
littéralement subjugué. C'était comme au-delà de mes rêves ! C'était beaucoup
plus beau et de bien loin plus fort
que ce que je n'avais
imaginé.
Dans un des temples, comme d'habitude rempli de touristes à ce moment-là, en
regardant le naos, c'est-à-dire l'équivalent du choeur de nos cathédrales ......
(je ne sais
plus dans quel temple j'ai éprouvé ça, tellement c'était fort) ........... j'ai
vécu quelque chose d'extraordinaire. C'est comme si je retrouvais quelque chose
de fondamental, de radical au sens des racines,
comme si ce moment était depuis fort
longtemps attendu ......
J'avais pleuré ...... Je ne suis pas quelqu'un qui pleure facilement. Mais là,
c'était plus fort
que tout. Oui, j'ai eu
une véritable crise de larmes, tellement j'étais ému d'être là et tellement je
ressentais cette force magnétique et en somme irrépressible. Elle irradiait de
cet endroit et ma nature la plus profonde la reconnaissait, d'autant plus que
cette force me traversait librement tout entier. Quelque chose s'est à ce
moment précis déverrouillé en moi.
[Silence prolongé ... Michel desserre sa main et
met le petit caillou noir sur la table]
Un livre qui s'ouvre ...
~ 26 ~
UNE ÉTAGÈRE
Est-ce que tu aimes la lecture ?
Bien sûr. Le texte en tant que support peut receler
quelque chose de magnétique. Cela peuvent donc être aussi des documents
antiques araméens, égyptiens, chinois et autres, indéchiffrables (pour moi).
Les livres ... Étant éclectique dans ce domaine, je lis un peu de tout. J'en
suis même venu maintenant à lire des romans policiers, peut-être parce qu'ils
sont imprimés en caractères plus gros que les autres bouquins ? [rires].
À une époque j'ai lu pas mal de littérature classique, mais ma prédilection se
situe très honnêtement dans le fantastique. Dans cette catégorie, il y a un écrivain
américain de science-fiction, mort tout récemment. Je l'aime beaucoup. C'est
Richard Matheson. Il a écrit de très beaux livres comme par exemple
"L'Homme qui rétrécit" ou "Je suis une légende" que j'adore
... Il y a aussi un autre écrivain américain - Philip K. Dick que j'apprécie
parce qu'il a écrit des tas de nouvelles extraordinaires. Il sait construire la
trame de manière vraiment magistrale. Me vient à l'esprit son roman
"Glissement de temps sur Mars", c'est fou comme cet auteur arrive à imbriquer
les ambiances inquiétantes, les personnages et les situations. Tout part chez
lui d'une logique on dirait extraterrestre qui subjugue. Et puis, bien sûr il y
a le grand Howard Phillips Lovecraft dont les oeuvres me magnétisent, je peux
lire en boucle cet écrivain. C'est très vrai : plus rien n'existe quand je lis
Lovecraft.
UN ÊTRE UNIQUE
Il y a quelques années ... notamment en 2005, tous les deux, on est
allés voir une exposition intitulée "Le monde selon H.R. Giger" à la
Halle Saint Pierre ici à Paris. Pour Hans Rudolf Giger, c'était à ce moment-là
une des rétrospectives de son Oeuvre les plus importantes en dehors de la
Suisse. Est-ce que tu apprécies ce que fait cet artiste ?
En partie seulement. Je n'aime pas trop sa peinture parce que trop souvent dans ses tableaux il place des êtres humains
qui ne devraient pas s'y trouver. Du coup, ce qu'il peint devient banal, même
vulgaire. Est-ce qu'on a besoin de ce genre de mannequins humanoïdes dans ses
tableaux ? je ne sais
pas.
Cela dit, Giger est pourtant quelqu'un qui nous laisse entrevoir les
ingrédients d'un univers spectaculairement insolite.
J'apprécie surtout ce qu'il a fait pour le cinéma. Sa créature d'Alien est un
des plus beaux monstres qui existe dans le cinéma fantastique. Il est
terrifiant, il est efficace, il est beau et il fait tout pour plaire ! Ça,
c'est une merveilleuse réussite. Les décors qu'il a conçus pour cette oeuvre
cinématographique sont tout aussi extraordinaires. Ils contribuent à composer
une ambiance très singulière qui va parfaitement avec l'histoire racontée. Ne
serait-ce que pour cela, Giger a droit à toute mon estime.
Alors de toute la série "Alien", lequel des épisodes apprécies-tu le
plus ?
Inconditionnellement
le premier, parce que dans les films qui ont suivi il y a plusieurs monstres.
Or, l'idée du monstre, c'est d'être unique. J'aime aussi le deuxième épisode de
James Cameron, mais quand on te flanque quinze aliens, alors ils se désamorcent
mutuellement et en conséquence la tension du spectateur baisse. Invariablement
pour moi, l'idée du monstre est d'être seul, incomparable, unique. Le premier
épisode est décidément le mieux réussi de tout le volet "Alien". Il
l'est grâce aussi à la musique de Jerry Goldsmith qui pour ce film a composé
une véritable symphonie de la terreur. Acoustiquement, cela approfondit une
atmosphère irrésistiblement mystérieuse. Il en est ainsi en raison de
l'évidence que Goldsmith a un énorme talent d'orchestrateur. Récemment, j'ai pu
trouver quelques extraits d' "Alien" transcrits pour piano. Au
premier coup d'oeil, c'est rien du tout. Ce sont juste des petits thèmes
vaguement harmonisés. Cependant, si tu les réécoutes joués par l'orchestre,
alors tu réalises ce que Goldsmith a trouvé dans le spectre des ombres, des
lumières et des couleurs et comment il se sert de tous les instruments, c'est
fou !
~ 28 ~
DIMENSIONS CINÉMATOGRAPHIQUES
Qu'en est-il des autres films de science-fiction ?
Je parlerais plutôt de films fantastiques. C'est ce que je
préfère. Il y avait un vieux film fantastique réalisé vers la fin des années
quarante intitulé "Le Portrait de Jennie" de William Dieterle.
C'était un très beau film, très émouvant, très touchant. Il y a aussi par
exemple un film fantastique qui est un pur chef-d'oeuvre adapté du livre "Le
Tour d'Écrou" de Henry James et qui porte le titre "Les
Innocents" de Jack Clayton. C'est un film en noir et blanc absolument
fabuleux sorti au début des années soixante si je ne me trompe.
C'est une histoire avec un couple d'enfants, c'est ça ?
C'est ça.
Les prises de vue y sont très très belles. Et puis il y a encore un film
britannique (sorti en 1948) qui a marqué mon enfance, que j'ai revu tellement
de fois ! ... que j'ai d'ailleurs ici chez moi et que je regarde presque toutes
les semaines. Il s'intitule "Les chaussons rouges". Un film
merveilleux.
Il est de qui ?
De Michael
Powell et Emeric Pressburger, avec Moira Shearer qui est une ballerine
absolument magnifique. Dans le cinéma surtout, j'ai toujours été touché et ému
aux larmes par les histoires d'amour qui se passent dramatiquement. Alors
j'aurai bien sûr adoré "Nosferatu" sorti en 1922 de Friedrich Wilhelm
Murnau et, cela va de soi : "La Belle et la Bête", ce film mythique
réalisé en 1946 par Jean Cocteau et lequel me touche tellement que le
trop-plein d'émotion me monte à la gorge à chaque fois que je le regarde
....... ou par exemple les deux versions de "King-Kong", donc
évidemment celle qui est sortie en 1933 où joue l'inoubliable actrice d'origine
canadienne Vina Fay Wray, et puis celle qui est sortie en 2005 je crois et
tournée en Nouvelle Zélande, de Peter Jackson. Voilà, les amours impossibles
m'ont toujours bouleversé !
Et "Metropolis" de Fritz Lang de 1927 ?
Quelle
question ! mais évidemment que j'adore ce chef-d'oeuvre ! C'est quand même
incroyable ce que Fritz Lang a pu faire encore à l'époque du cinéma muet. Dans
ce film grandiose, le fait qu'une partie importante de l'histoire se passe sous
la surface de la terre, en même temps me fascine et me bouleverse. J'en suis
viscéralement troublé.
Ce film a une fin optimiste ...
Oui, juste
dans la toute dernière séquence.
"2001 : L'Odyssée de l'Espace" de Kubrick ?
C'est le
chef-d'oeuvre absolu. J'avais oublié celui-là qui est par excellence dans la
catégorie science-fiction. J'aime tout dans ce film : les plans, cet univers
hermétique dans l'immense vaisseau, tous ces espaces de silence, les paysages
cosmiques, la respiration. Et musicalement, je trouve géniale l'idée d'avoir
recours tantôt à Richard Strauss, tantôt à Johann Strauss fils ou à Aram Khatchatourian
avec son adagio "Gayaneh" pour deux orchestres à cordes, ou
nécessairement à György Ligeti et sa "Lux Aeterna". Bien évidemment
les conversations avec cet ordinateur diabolique et puis cette fin tellement
mystéreuse et belle, exercent sur moi une force magnétique inédite et
irrésistible. Ce film anglo-américain qui date de 1968 n'a pas vielli d'un
yota. Je m'en suis rendu compte quand, tu t'en souviens ?, en compagnie de
Denys Clerval, tous les trois, on était sortis le revoir en 2001 dans une salle
de cinéma.
Oui, je m'en souviens parfaitement. C'était dans l'enceinte de la Place
d'Italie dans une salle de cinéma équipée à cette époque du plus grand écran à Paris. Ce chef-d'oeuvre
qui m'aura inspiré plus tard dans certains de mes écrits, il faut le voir
impérativement dans les meilleures conditions, donc dans une grande salle.
J'ai aimé le fait qu'on a respecté le souhait de Kubrick. C'est-à-dire il y a
eu d'abord une introduction dans laquelle on ne voit pendant cinq ou six
minutes que l'écran nu avant que le film ne commence et qu'on n'entend que Lux
Aeterna de Ligeti. Plus tard, vers les 3/4 du film il y a eu l'interstice,
c'est-à-dire une pause silencieuse d'une dizaine de minutes, juste après la
séquence dans laquelle les deux astronautes se sont concertés dans une capsule
à l'intérieur du vaisseau-mère à l'abri acoustique de l'ordinateur.
Et penser
que juste une année d'après, donc en 1969, Neil Amstrong aura posé ses pieds
sur la Lune.
Michel, je brûle d'envie de dire quelque
chose.
Attends que je touche à ton front ... c'est vrai, tu brûles. On appelle les
pompiers. Da subito !
Ils ne seront pas venus à temps.
Bon d'accord, alors je vais prendre un verre d'eau de là
pendant que tu dis ce que tu as à dire, je m'offre un intermède. Vas-y !
Tu parlais de .............
De l'année 1969.
Voilà. Depuis cette date il n'y a pas
eu d'autres hommes sur la Lune. Cela fait donc presque 35 ans que rien ne se passe en apparence dans ce
domaine. Il y a deux arguments implicites qui semblent justifier cette anomalie
: 1) La Lune est inintéressante, parce qu'il n'y a rien à sa surface et 2) ça
coûte cher d'y aller.
Cependant, on injecte des milliards de sous dans
les laboratoires, les conflits et les guerres en tout genre et surtout dans l'industrie
médiatique qu'on utilise pour programmer la pensée humaine sur cette planète.
Les deux arguments évoqués ne sont rien de plus qu'une mystification de taille
cosmique que de plus en plus de gens ont vraiment du mal à digérer.
La NASA par exemple ne montre que ce qu'elle veut montrer et dans ce qu'elle
nous laisse montrer, la plupart des photographies sont soigneusement
"adaptées" et "améliorées" pour ne pas heurter notre
sensibilité. À un moment, cette organisation a essayé de se rattraper tant soit
peu, mais je crois qu'il est trop tard. La NASA a perdu beaucoup de sa
crédibilité et n'est plus une référence aux yeux de chercheurs et scientifiques
rigoureux, intègres, honnêtes, courageux et indépendants.
Il est temps que ça change !
Oui, la situation est en train de changer. Pendant cinq jours du 29 avril au 3
mai 2013 à Whashington DC, a eu lieu le congrès international The Citizen
Hearing on Disclosure avec des dizaines d'heures d'écoute de témoins et de
scientifiques parmi lesquels il y avait l'investigatrice américaine Linda
Moulton Howe, l'ex-ministre de la défense canadienne Paul Hellyer ou
l'astronaute Dr Edgar Mitchell (mission Apollo 14 en 1971) etc. Un documentaire
intitulé "L'embargo sur la vérité" produit par ce congrès vient de
sortir. Voilà, c'est ce que j'ai voulu dire.
~ 29 ~
ASSISTANCE
Michel, tu aimes aussi les documentaires qui parlent de la vie sur notre
magnifique planète bleue telle qu'elle est censée avoir été il y a des
centaines de milliers d'années. Le fait que ce que contient Le Muséum
d'Histoire Naturelle à Paris
t'hypnotise tant n'est pas dû au hasard ...
Les dinosaures ! Quelles créatures formidables ! Oui, tu m'as offert un jour un
coffret avec toute une série de cassettes VHS (c'était ça la technologie du
moment) sur ces animaux préhistoriques. Je crois que c'était une série
britannique, une reconstitution scientifique de la vie sur Terre d'avant
l'extinction énigmatique, parce que brusque et définitive de toute cette faune.
Oui, c'est ça.
Une très belle série. Quand tu regardes les squelettes de ces animaux ou ce que
les paléontologues et les cinéastes peuvent nous en reconstituer, avoue qu'il y
a de quoi être bouleversé. Quand on regarde ce qu'étaient un ptérodactyle ou un
brontosaure, il y a quand même matière à réfléchir. Quand on contemple le
fameux tyrannosaurus rex, quand on voit sa taille, sa tête avec sa mâchoire
terrifiante, sa queue, ses gigantesques pattes de derrière et ses minuscules,
quasi atrophiées pattes de devant, il est impossible de ne pas se poser des
questions. Est-ce que Darwin
a vraiment raison ?
Hum, n'oublions pas que le darwinisme qui a joué son rôle dans les
cercles académiques, n'en reste qu'une théorie que notre monde s'est empressé
de prendre trop vite pour vérité. Cette théorie se désagrège aujourd'hui
irréversiblement. Il y a de plus en plus de découvertes et d'artefacts qui
dérangent la police scientifique.
Je pense que ce genre d'exubérance laisse supposer qu'il y a bien eu, à maintes
reprises, des ... essais. C'est comme si La Nature avait fait des expériences
pour tester quelque chose ...
Dans mon entendement, ce n'est pas La Nature seule qui a fait ce genre
d'exubérance comme tu dis. Les plus récentes révélations scientifiques nous
dirigent vers des possibilités totalement inattendues et jusqu'ici
difficilement imaginables.
Quoi qu'il en soit, le fait qu'à un moment donné et
cela pendant très longtemps régnaient sur la Terre ces animaux à la fois
tellement beaux, terrifiants et monstrueux donne à réfléchir. Bon, ils
n'étaient peut-être pas aussi dangereux que la Marquise de Merteuil que tu
provoques dans ta peau de Valmont, mais quand même ! [rires]
Pourquoi par exemple cette extinction a été tellement violente ? Oui, on sait
qu'un astéroïde gigantesque a percuté cette planète, mais en définitive,
était-ce un hasard ? Et l'Homme dans tout ça, quelle est sa place ?
À nos yeux des terriens habitués à avaler machinalement toute une
production à la chaîne de films de science-fiction où quasiment à chaque fois,
ce qui est inconnu, ressort comme synonyme de danger, de péril, de survie et de
lutte pour la survie, existe-t-il un autre mode d'emploi ?
Bien sûr. Il est évident pour moi qu'il existe
d'autres modes d'emploi. Toujours est-il que ... au moins pour l'être humain,
l'inconnu fait peur. Il en a toujours été ainsi. C'est manifestement inscrit
dans nos gènes. Bien sûr que des procédures et des solutions tout à fait
bénéfiques pour l'humanité sont parfaitement envisageables, possibles et donc
réelles. Mais c'est la peur de l'inconnu qui fait que sur nos écrans nous avons
toute cette production de films qui sont faits pour faire peur.
Que dis-tu de la réalité parfaitement possible d'une vie extraterrestre
qui soit intelligente au point à en représenter une civilisation ? Une
civilisation qui soit à la fois pacifique et spectaculairement plus développée
à tous les niveaux, c'est-à-dire spirituel, artistique, écologique,
scientifique et sociologique ?
D'abord, il faut être magistralement obtus et borné
pour penser que seule la planète Terre est habitable. Prétendre à cela aura été
synonyme d'une étroitesse d'esprit suffocante et d'un manque d'humilité total
comparable seulement à l'état d'esprit de l'humanité tel qu'il fut à la veille
de la découverte copernicienne. Quand on regarde le ciel par une nuit étoilée,
il est pour moi simplement aberrant de douter de cette évidence. Nous savons
aujourd'hui, preuves astronomiques à l'appui, qu'il existe un nombre
incalculable de systèmes stellaires avec leurs exo-planètes. Alors oui,
j'espère qu'il y a des civilisations auprès desquelles nous pourrions apprendre
énormément pour un mieux-être général dans tous les secteurs et à tous les
niveaux de la vie au quotidien.
Sincèrement, nous ne sommes pas seuls.
Tu dis
juste : nous ne sommes pas seuls. Il y a déjà Harm qui est en train de
faire mon portrait. [rires]
Tu vois Harm ? [à Harm] Maintenant tu AS
la confirmation de tes origines extraterrestres. Bienvenu au club ! [fous rires]
~ 30 ~
ALLEGRETTO CON RISO
Quand on rit de bon coeur, tout va mieux !
Tu aimes les comiques professionnels ?
Non, personne de cette catégorie professionnelle ne me fait rire, à une
exception près quand même qui est celle
de Buster Keaton. Il est incroyablement drôle dans ce qu'il fait et en même
temps irrésistiblement lunaire et mélancolique. Son humour est totalement
surréaliste.
Je vais privilégier diverses scènes d'un film comme "Amarcord" de
Fellini où on peut se régaler par exemple avec les séquences tirées de la vie
des écoliers et de leurs professeurs. Ces derniers sont tellement drôles ! (les
élèves d'ailleurs n'en sont pas moins) que j'en ris jusqu'aux larmes. Et pour
la plupart, ce ne sont pas des comédiens professionnels, mais des gens engagés
pour jouer juste dans deux ou trois séquences. Du coup, quand je pense à
Fellini et à son "Casanova" interprété par l'inimitable acteur
canadien Donald Sutherland, la scène qui est vraiment comique, c'est celle dans laquelle
Casanova s'entretient à table avec une belle aristocrate. Leur conversation est
très sérieuse. Ils parlent d'une personnalité qui s'avère arrogante à
l'extrême. Ce n'est qu'au bout d'un temps qu'on s'aperçoit que ladite
personnalité n'est rien d'autre que ...... le savoureux derrière de la belle
aristocrate. C'est en réalité l'aristocrate en personne qui dit : "Mais ,
ce qu'il est arrogant, mon derrière, c'est insensé comme il est arrogant
!" [rires]
Et les dessins animés ?
C'est un
univers MERVEILLEUX !! J'adore les dessins animés. Les récents me plaisent
moins parce qu'ils se rapprochent de plus en plus de la réalité. Ce sont
presque des images normales. En revanche les vieux dessins animés ont gardé
cette fraîcheur de rêve incomparable et du coup jamais reproduite, ce qui est
un peu dommage. Et puis, c'est un univers plat, ce qui rejoint le chapitre où
je m'exprime au sujet de mes sources d'inspiration. En tout cas, il y a bien
sûr des dessins animés qui me font rire.
Comme "Cendrillon" de Disney par exemple ?
Oui et
dedans me plaît surtout Lucifer, c'est-à-dire le chat. Si j'ai bonne mémoire,
c'est le seul personnage qui ne parle pas dans ce film, tout comme notre ami
Harm aujourd'hui.
Harm, je ne savais pas que tu es un ange ...
[fous rires]
Michel, je ne suis pas le seul ...
... ange ? Pas du tout, si jamais tu en es un, ce qui me paraît étrangement
vraisemblable ...
... je ne suis pas le seul ...
parmi les terriens ? Mais bien sûr que non, on s'est déjà identifiés !
Laisse-moi finir ma question, s'il te plaît [rire]
Vas-y !
Je ... ne suis donc pas le seul à constater que tes
qualités sont multiples.
Chiche !
À mes yeux, il y en a trois qui s'équivalent et se
complètent de manière intime.
Seulement trois ?
1) Tu es habité d'une force lucide
supra-conductrice manifestée dans ton talent d'artiste peintre. Cette force te permet
de compulser diverses strates d'enregistrements mémoriels profonds depuis
lesquels tu transcris et transmets des messages d'importance catalytique
majeure. Ces messages concernent directement et/ou indirectement une ingérence
dans les formes de vie consciente sur la planète Terre.
Hum ............ et ma qualité numéro 2 ?
2) Tu es honnête, responsable et intègre dans ce
que tu fais. Tu travailles assidûment et avec une régularité exemplaire.
Ah bon ? ............ Cette qualité numéro 2 contient plusieurs qualités. Tu es
un mauvais comptable Irénée, mais bon, ça va. Et ma qualité numéro 3 alors
?
3) Tu es un bon vivant.
Je vois parfaitement où tu veux en venir. Tu as soif et tu
veux un verre de vin d'ici. Je te sers ?
Pas maintenant, ce sera pour plus tard [rire]
Attends un
instant. Tu as dit que j'ai cette faculté de compulser diverses strates
d'enregistrements mémoriels profonds. Ce terme "mémoriel", que
veux-tu dire au juste ?
À la rigueur, ce terme pourrait être
remplacé par "akashique". La racine
"akash" vient du sanskrit et signifie "mémoire". Je n'aime
pas trop utiliser ce mot, parce qu'il est surexploité dans la mouvance New Age
où il y a, certes, quelques ingrédients dignes d'un grand intérêt, mais où à la
fois on fourre tout et où l'amateurisme, la mystification et le manque de
discernement règnent en maîtres incontestés. Quoi qu'il en soit, pour ce qui
nous préoccupe ici, il s'agit d'enregistrements de dossiers indestructibles,
mais modifiables qui sont de nature quantique éthérique. Notre planète est
aussi une bibliothèque vivante.
Ça me
dépasse.
Non, c'est toi qui te dépasses, mais si ça te
rassure, ça me dépasse aussi.
Bon, alors pose ta question suivante.
~ 31 ~
SANS ÉTIQUETTE
Il existe de part le monde tellement de gens qui
s'évertuent en exhibant leurs titres universitaires, leurs récompenses, leurs
parcours jalonnés d'applaudissements. Bien sûr, nous comprenons fort bien
que souvent leurs victoires personnelles ont été durement acquises à la suite
de compétitions et de concurrences acharnées en tout genre. Dans le domaine de
l'art au moins ... est-ce que les brevets, diplômes et certificats sont
vraiment incontournables ? Si nous nous limitons à ce genre de conditionnement,
un jour l'histoire de l'art risque de s'arrêter pour de bon. Dans ce
paragraphe, la question que je formule donc à l'adresse de Michel Henricot qui
est autodidacte et Maître EN DEHORS DE TOUTE COMPÉTITION, est la suivante :
Qu'en dis-tu ?
Nous vivons dans un monde où il y a de moins en moins de personnes qui ont des
parcours artistiques façonnés par les écoles. De moins en moins de gens sortent des Beaux-Arts. C'est
un phénomène social que tout un chacun peut observer pratiquement de partout.
Il en est ainsi parce que la sensibilisation à l'art, à ce qui est beau,
intemporel et transcendant, n'est pas du tout la préoccupation majeure de nos
systèmes d'éducation et cela déjà au niveau de l'enseignement secondaire pour
le moins. Ce qui est aberrant, c'est le fait que l'éducation artistique où
l'imagination joue sa fonction de base, est congédiée au second plan comme si
elle était d'importance mineure. Pourquoi ? je ne sais pas. Signe des temps ? mais alors que
veut dire ce signe ? Que pourrais-je dire de plus là-dessus ....... J'aurais
bien aimé fréquenter les Beaux-Arts, mais je n'en ai pas eu l'occasion. Je
devais travailler très tôt. C'est peut-être le bon moment de réfléchir très
sérieusement à tout ça et d'agir en conséquence sans tarder. La situation est
complexe et inquiétante.
Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner que pour la plupart, les gens
que l'art interpelle dans les strates de leur nature la plus profonde,
deviennent autodidactes, comme cela a toujours été mon cas. Puisque nos
sociétés - dans le giron de ce qu'elles sont devenues - éloignent, banalisent
et dévalorisent ce qui est vital pour elles, alors non, je ne crois pas qu'un
parcours académique soit indispensable pour devenir grand artiste et artiste
tout court.
Un parcours académique peut être utile et enrichissant à qui éprouve le besoin
de se construire de cette façon. Toujours est-il que les plus grands artistes
n'ont pas besoin de se construire de cette façon et peuvent se passer de
diplômes royalement. Contemplatifs et nourris par ce qui les fascinent et par
ce qui les propulse, ils s'emploient d'eux-mêmes à composer une musique, à
sculpter une main, à chorégraphier un pas de deux, à dessiner un portrait, à
graver un paysage, à incarner un personnage, à écrire un livre, à peindre un
tableau. Il suffit de plonger tant soit peu dans l'histoire de l'Art pour
saisir immédiatement cette évidence.
Et le mécénat ?
À quelques
exceptions près, les mécènes sont aujourd'hui une espèce en voie d'extinction
comme les dinosaures en raison de ce que je viens de dire. Je n'ai pas de mécène et pourtant
je vis de ce que je crée. Cela dit, les mécènes auront
toujours été bienvenus. Le mécénat est une autre façon de coopérer avec les
artistes.
Quelqu'un a dit une fois que si un artiste ne vit pas de son art, il
n'est pas artiste. Partages-tu ce point de vue ?
C'est
stupide ! J'ai l'impression qu'on se noie là dans des arrière-pensées
mercantiles. Si on adopte ce genre de point de vue, alors il faut rayer de
l'histoire de l'art la plupart des artistes et souvent d'excellents artistes.
Combien de prédateurs se sont fait des fortunes une fois l'artiste enterré au
cimetière ! Van Gogh était un minus !
Bingo !
~ 32 ~
DEUX UNIVERS
Est-ce que les rêves remplissent une fonction dans ton travail de peintre ?
Pas vraiment. Je fais des rêves pratiquement toutes les nuits. J'ai
souvent l'impression d'être très fatigué le matin, tellement j'ai rêvé. C'est
comme un cinéma permanent ... mais je ne fais jamais de rêves pouvant plus tard
avoir une issue sur ma peinture. Je peux ajouter que je ne suis pas concerné par le rêve
éveillé ou par ce qu'on appelle songe ou rêverie.
Alors, est-ce que les rêves remplissent une fonction dans mon travail ? Non.
Pour moi, l'univers des rêves n'a rien à voir avec l'univers de la peinture. Ce
sont deux mondes totalement différents. L'univers des rêves se situe juste au
sous-sol, tandis que l'univers de la peinture se trouve beaucoup plus bas. Il
en est ainsi du fait que l'élément fondamental de l'univers de la peinture est
d'essence abyssale. Ce qui signifie que c'est un univers beaucoup plus
archaïque parce que descendant vers des strates de mémoire TRÈS PROFONDES.
Jamais je n'aurai eu d'interférence entre les rêves et la peinture. Jamais.
Quand tu commences un nouveau tableau, qu'est-ce qui se passe ? Le vois-tu déjà
tout entier ou il y a une progression, une concrétisation dans le temps ?
Quand je commence un nouveau tableau, je le vois
mettons à cinquante ou à soixante pour cent. Ensuite, en cours de route, je
peux tenir compte des imprévus, des revers et tout naturellement des accidents
qui arrivent et qui peuvent être dérangeants ou bénéfiques pour le tableau. Je les écarte alors ou je les
utilise, c'est selon. Je ne pars jamais dans le vide.
Le vide est par ailleurs perpétuellement habité de quelque chose, ne serait-ce
que d'une conscience et c'est déjà énorme ! Il se peut que ce soit donc quelque
chose d'invisible, pourquoi pas. L'espace cosmique n'est pas du tout un vide.
Il en est de même avec toutes les possibilités imaginables et inimaginables qui
se trouvent de l'autre côté d'une porte fermée, quand on ne sait pas ce qu'il y
a au-delà. Et si jamais il y a un vide, il aura été habité. C'est une autre
façon de dire que je ne pars jamais dans le vide.
Les êtres que tu peins apparaissent quelquefois comme inscrits dans une phase
transitoire ou dans un résultat d'hybridation. Ceux de ces êtres qui ont des
corps parfaitement humains sont assez souvent en présence d'autres entités
ressurgies depuis d'autres dimensions de notre réalité. Veux-tu t'exprimer à ce
propos ?
Les
humanoïdes hybridés dans leur apparence comme tu dis ont quelque chose
d'incarné en eux, ce même quelque chose qui est peut-être plus facilement
définissable lorsque je peins une entité juste derrière un humain. J'appelle
ces entités "anges". Je préférerais un autre terme à celui-ci, parce
que "l'ange" peut avoir des connotations religieuses et ce n'est pas
de ça du tout que je parle. Quoi qu'il en soit, une entité comme ça nous dirige
d'une certaine façon, nous guide, nous protège. Ces créatures ne sont pas nécessairement
maléfiques, en tout cas pas pour l'humain qu'elles protègent. Elles sont
néanmoins dotées d'une influence, d'une force et il existe une connexion intime
avec l'humain qui est devant et qui ne voit pas tout. L'aspect à la rigueur
inquiétant de ces créatures peut être trompeur.
Personnellement, je ressens que dans certaines circonstances bien
précises, tu as la faculté de te remémorer de l'existence de diverses
consciences individualisées dans les spectres de la deuxième et peut-être même
de la première dimension de notre monde, c'est-à-dire dans les dimensions aux
fréquences dites astrales et en l'occurrence plus denses où la lumière n'est
pas telle que nous la connaissons dans notre troisième dimension et où les
formes de vie manifestées divergent des nôtres. En tout cas pour moi, ta
peinture est complexe et révélatrice aussi dans ce domaine.
Je ne sais pas. Mais dis donc,
une première dimension ? Quelle en pourrait être la particularité ?
Depuis la perspective d'une
fréquence lumineuse spécifiquement dense et propre à la première dimension ou à
la première octave si on préfère, les êtres qui y séjournent verraient
simultanément aussi tout ce qui se passe dans les deux octaves supérieures,
donc la deuxième et la troisième. Pour ces êtres, les images se juxtaposent
comme quelquefois dans un hologramme. Ainsi, ces êtres peuvent nous voir, mais
nous dans notre troisième dimension, nous ne les voyons pas. Je ressens aussi
qu'il existe des êtres dotés d'une faculté de modifier leur taux vibratoire et
de changer de dimension, donc par exemple ils peuvent descendre même jusqu'à la
première dimension et puis d'en remonter. Je pense que certains serpents en
sont parfaitement capables. Les anciens Sumériens appellent les trois premières
octaves dimensionnelles "Kigal", tandis que les indigènes de Gizeh en
Égypte appellent les souterrains de ce plateau moyennant le terme
"Gigal".
Difficile de dire que ce soit un hasard.
Mais lorsque tu peins une barque et un être qui est
dedans, c'est une autre histoire, même si tout est interconnecté. Une scène de
ce genre tient lieu véritablement dans notre monde.
UN GUÉRIDON-BALADEUR
Que diras-tu de l'idée d'incarnation et donc aussi de réincarnation ?
Quand
j'étais très jeune, j'ai connu personnellement le successeur d'Alain Kardec, le
fondateur de tout ce mouvement des spirites. Un jour, ce successeur, quelqu'un
de très sympathique, a vu mes tableaux et a pensé que j'étais médium. Alors il
m'avait fait un tas d'expériences avec le ouija, c'est-à-dire cette planchette
de bois sur laquelle sont inscrites les lettres, aussi les chiffres et deux
mots "oui" et "non". À cette époque, je t'assure que dès
que je posais mes mains juste au-dessus du ouija, la table entière se
soulevait.
J'étais un médium extraordinaire jusqu'à à peu près dix-huit ou dix-neuf ans.
Ce phénomène, quand la table se soulève - et ça a souvent été en présence
d'autres personnes - était vraiment intéressant, parce qu'il n'y avait aucune
espèce de trucage. Donc ça marche,
bien que je n'y aie jamais cru. On m'invitait beaucoup à ce genre de séances.
Dès que je posais mon doigt sur le ouija, tout bougeait. Même les guéridons se
baladaient.
Il y avait
des conversations à n'en plus finir. J'ai toujours observé que ça marchait,
donc il est indubitable que diverses réalités que nos cinq sens n'arrivent pas
à identifier, existent bel et bien. Cela dit, j'avais du mal à croire que c'est
aussi simple que ça et d'ailleurs je n'ai pas vraiment cru que c'étaient ce que
les gens appellent "esprits". Un esprit qui tape sur un guéridon ?
C'est trivial. Mais qu'est-ce que c'est que cet esprit ! Donc bien sûr on
parlait beaucoup de réincarnation dans ce milieu, de fantômes et d'esprits de
mères ou de cousins défunts qui revenaient pour transmettre des messages et
tout ça.
Au bout d'un temps j'ai donné un grand coup de pied là-dedans parce que j'avais
dix-neuf ans, parce que j'avais envie d'autres choses et parce que je n'aimais
pas toute l'atmosphère qui entourait tout ça et qui était sinistre, vraiment
sinistre. Plus tard, j'ai beaucoup réfléchi au phénomène de réincarnation. Il y
a quand même des faits extrêmement troublants.
Je pense notamment à l'histoire d'Agustin Lesage, un mineur qui est devenu
peintre. Or, une voix lui dit un jour d'aller à tel endroit bien précis, de se
pourvoir de tous les outils nécessaires pour peindre et de se mettre de suite à
la peinture. Je crois que c'était en 1911. Lesage aura réalisé des tableaux
qu'il peignait méthodiquement souvent des deux mains comme ça [geste]. Il aura fait des fresques très belles
dont l'origine sous forme d'un reflet parfait sera trouvée dix ans plus tard
dans un tombeau. Les peintures de Lasage ont été inspirées pour la plupart
directement de l'art de l'Égypte antique.
En définitive,
tout cela ne peut pas être réduit à quelque chose de banal et de sommaire.
Toutes ces histoires de guéridons-baladeurs, mais qu'est-ce qu'on y comprend ?!
L'enchevêtrement entre les mondes me paraît vraiment complexe. On ne voit que
le sommet d'un iceberg.
Je comprends à plus forte raison que j'ai connu de manière un peu
différente ce genre de phénomène.
Beaucoup de gens parlent de réincarnations comme si le
temps était linéaire sur d'autres plans, ce qui semble, en tout cas pour moi,
ne pas être le cas du tout. Les autres dimensions où la perception du temps est
totalement différente se déploient sur d'autres fréquences que doit
caractériser un autre taux vibratoire. Donc, les autres incarnations et les
réincarnations semblent aussi parallèles ou simultanées par rapport à ce que
nous explorons en 3D. Dans certaines circonstances, il se peut qu'il y ait des
interférences. Nous ne pouvons pas mesurer tout ça avec nos moyens
spatio-temporels d'ici. C'est complexe.
Oui, c'est ça.
Tu connais l'histoire de Dorothy Louise alias Omm Sethy ?
J'ai entendu vaguement, tu peux me rappeler ?
Elle est née Dorothy Eady Louise à Londres
en 1904, la même année où on a déterré à Abydos une structure architecturale
considérée comme la plus ancienne à ce jour en Égypte et qui est dénommée
Osiréion. À l'âge de trois ans, Dorothy fait une
grave chute dans un escalier, est déclarée morte par le médecin, pour reprendre
connaissance quelques heures plus tard.
À partir de ce moment-là, elle fait des rêves lucides étranges où elle se
trouve dans un grand temple
avec d'immenses colonnes
et un jardin. Elle veut rentrer chez elle, mais son chez elle n'est pas la
maison de ses parents. Une fois, en voyant une photo d'Abydos, elle a
l'inébranlable certitude qu'elle a trouvé la source de ses rêves et de ses
visions et s'étonne pourquoi cet endroit est en ruines. Des années plus tard,
elle étudie l'égyptologie sans passer par les écoles, apprend à déchiffrer les
hiéroglyphes et prétend être en communication avec un pharaon. Elle s'installe
définitivement à Abydos
en 1956 où elle coopère avec des archéologues et où elle restera jusqu'à la fin
de ses jours. Elle se remémorait de tout les détails ...
... et disait aux scientifiques de fouiller à tel
endroit pour trouver tel objet et jamais elle ne s'est trompée !
EXACT !
C'est troublant, on a du mal à expliquer ce genre de
phénomène. Comme je disais tout à l'heure, les autres
dimensions où la perception du temps est totalement différente, se déploient
sur d'autres fréquences. Dans le cas de cette femme, je ne sais pas, cela semble ne
pas être quelque chose dont on va dire que ce n'est qu'un fantasme ou une
hallucination. Cette femme semble avoir été ... je ne sais pas ... avoir subi une sorte de
possession ? Comment tu vois ça ?
Je ne crois pas que ce soit le cas d'une
possession. Celle-ci n'est jamais faite avec un accord. Ici, c'est une histoire
d'un amour impossible. Je pense qu'il s'agit là d'un walk-in. C'est un échange
vibratoire de nature astrale au niveau de l'essence vitale et de sa conscience.
Cet échange résulte justement d'un accord signé
énergétiquement entre deux consciences individualisées qui savent qu'il y aura
eu un moment propice (chute dans l'escalier) qui, à son issue, puisse permettre
cet échange. L'essence vitale (ou l'âme) d'une femme qui a connu un pharaon,
entre dans un corps déjà formé de la petite Dorothy et à ce moment précis
Dorothy part définitivement de ce monde vers d'autres plans de la conscience.
Ce genre de phénomène existe et tient place pour diverses raisons. L'une
d'elles sera, je pense, pour nous entr'ouvrir certaines portes dans notre
propre évolution, mais aussi pour catalyser quelque chose d'important aux yeux
de notre civilisation et de sa conscience collective.
Alors
d'après ce que tu dis, après cette chute dans l'escalier, c'est quelqu'un de
totalement différent, une autre personnalité. Très intéressant ! En tout cas,
c'est complexe. Cela me rappelle la chute d'Alice dans le terrier du lapin
blanc et toute l'histoire qui s'en suivit !
~ 34 ~
FACULTATIVEMENT
Est-ce que tu as des projets ?
S'il
s'agit d'une exposition, non, pas dans l'immédiat. Par contre, j'ai plein d'idées en tête et beaucoup de
projets pour mon travail. Je suis maintenant intrigué
par des inscriptions antiques écrites ou gravées dans la pierre.
J'ai l'intention de peindre quelques
tableaux avec une inscription composée en araméen. Une première toile de cette
série est déjà faite.
Une des langues dans lesquelles s'exprimait Jésus.
Oui.
Un voyage ?
J'aime de
moins en moins voyager, parce que les déplacements géographiques distants
m'enlèvent de mon atelier et me distraient de mon travail. Ce que j'avais envie de connaître
dans le monde, je l'ai connu. Je suis allé à Pétra, en Égypte, en Inde ... Je
voudrais bien voir la Capadoce avec tout ce réseau d'habitations troglodytiques
et surtout ses villes souterraines. Le reste, non, cela me
paraît un tourisme vain qui n'est pas fait pour moi.
Je crois que tu penses à Göreme en Turquie avec cette ville souterraine
qu'a fait construire Enlíl-Seth, l'adversaire familial d'Osiris.
Est-ce que tu t'intéresses à la politique ?
Non.
Moi non plus. [fous rires] Tu regardes la télévision ?
Vaguement, très distraitement. Un peu d'infos, mais
pas trop, parce ce que ça soûle. Quand je regarde les infos, ce qui
m'intéresse, c'est quasi exclusivement la couleur de la cravate du
présentateur. [fous rires]
Des journaux ?
J'achète
quelques journaux le matin juste pour me tenir vraiment vaguement au courant de
ce qui se passe.
Tu sors dans un restaurant ?
Très peu à
cause du bruit qui règne dans ce genre d'endroits ...
[Michel saisit de nouveau le caillou]
[Silence prolongé]
~ 35 ~
EN-DESSOUS DE NOS PIEDS
Il y a encore une chose qui me fascine dans ta peinture, à savoir la source de
lumière. Celle-ci ne se laisse pas facilement identifier ...
J'ai
toujours eu le sentiment que je peignais des scènes qui se passaient dans les
souterrains, donc dans d'énormes cavernes, grottes, salles, couloirs, cryptes
et autres espaces énigmatiques pour la plupart étonnamment vastes, même
gigantesques, enfouis très TRÈS PROFONDÉMENT sous la surface de la terre. Chose
singulière : il y a quand même une atmosphère et un ciel. Au-dessus du ciel, il
y a la croûte terrestre.
C'est-à-dire, c'est un monde par excellence concret qui se situe en-dessous, à
une profondeur insondable sous la surface de la planète. Je ne peux pas te
l'expliquer : c'est quelque chose que je ressens toujours vraiment très fort,
au point à en avoir la conviction irrésistible que je connais ce monde et que
ce monde constitue une réalité tangible. La lumière y est donc nécessairement
diffuse et tamisée.
C'est fascinant ce que tu dis. Les scientifiques s'aperçoivent que les
aurores boréales ne sont pas dues à ce que l'on a supposé et soutenu à ce jour.
Les conjonctures des vents solaires et des champs magnétiques s'avèrent
incompatibles pour pouvoir expliquer ce phénomène. D'aucuns commencent à
envisager très sérieusement la bouleversante possibilité d'une source de
lumière en provenance du centre de la Terre. Si ça se trouve, notre planète est
creuse avec un soleil intérieur de structure cristalline.
Après tout, la conviction que notre planète n'est qu'une boule mi-liquide
mi-solide faite de magma, de lave essentiellement métallique et de feu dans son
noyau ne résulte que de spéculations jamais fondées qu'on a prises peut-être
trop vite pour certitude et qu'on nous a enseignées à l'école.
Oui. Il est temps de reconsidérer avec grand soin
ce qu'en disent les anciens Sumériens, les Tibétains, les Hopis d'Arizona ou
encore les Esquimaux avec quelques autres peuples et de nous pencher avec une
attention accrue sur le cas d'un pilote américain du nom Richard E. Byrd mort
en 1957. Il sera intéressant de revoir une série de photographies prises
au-dessus du Pôle Nord en 1973 par un satellite ATS3 ... attends une seconde,
que je vérifie dans mon cahier ... oui c'est ça, ou encore par le satellite ERS
en 1992 au-dessus de l'inexistante en réalité banquise de Ross en Antarctique
...
Tu laisses
entendre qu'il y a quoi ? des trous ? une espèce d'entrées ou de vortex ?
Oui.
Alors Jules Verne n'est pas entièrement à côté de la
plaque ! C'est quelque part rassurant.
Il n'est pas entièrement à côté de la plaque.
Tu sais, il
adorait les encyclopédies et les dictionnaires scientifiques de son temps, a dû
connaître un muséum d'histoire naturelle et puis par-dessus tout avoir une
mémoire vraiment singulière. Une planète creuse, ah quelle merveille ! Je
pense que tout cela ne nous empêche en rien de reconnaître le fait qu'un
plateau de Gizeh peut receler à lui seul des souterrains qui abritent des
révélations phénoménales.
Tout à fait.
~ 36 ~
SANS COMPROMIS
Est-ce que la réalité t'inspire ?
Non. Je ne me suis jamais inspiré par la réalité. Je peux être inspiré par des
choses réelles à condition qu'elles soient sur un support plat, c'est-à-dire
photographiées ou reproduites. Jamais un tableau de moi n'est parti d'un objet
qui soit là dans un décor tridimensionnel. Cela part d'une image, donc d'un
repère bidimensionnel. Je ne puis démarrer un tableau qu'à partir de documents,
de références et de supports plats du genre photographie, gravure,
reproduction, illustration. Tu es aussi un de mes modèles et tu vois bien comment je travaille. Le
corps d'un modèle doit être de préférence photographié d'abord. Par la suite,
je pars donc d'un support plat qui définit une surface. Cela a toujours été
comme ça.
~ 37 ~
INTERSTICE
Pourquoi de temps à autre tu as recours au thème de la barque ?
Il s'agit
d'un passage, peut-être le plus important de notre vie, de ma vie. Il y a donc
un fleuve majestueux comme le Nil Souterrain ou le Styx
avec ses rives et son lit. On voit que ses eaux amniotiques sont patientes et
très calmes parce que faites probablement de courants contemplatifs de leur
propre mémoire, de cette mémoire manifestée si intimement ... et venant depuis
une conscience cosmique supra humaine qui simultanément immerge et dépasse
tout.
Quand j'étais en
Égypte, j'ai fait une partie de mon voyage en bateau sur le Nil. Oui,
j'étais alors témoin de toutes ces contrées figées somptueusement dans le
temps. Elles défilaient sous mes paupières que je gardais ouvertes de manière
différente. Soudain, je me suis retrouvé au milieu entre deux mondes, en ce
milieu artériel qui me permettait de traverser tous ces paysages bibliques que
mon coeur reconnaissait.
Alors je baisse mes paupières comme autrefois tellement de fois je l'ai fait
pour voir ce que je peux voir au plus intime de qui je suis ... et je vois une
barque et dedans ... il y a un être qui sait qu'il y a l'Autre Rive, même s'il
ne La voit pas (encore).
[Silence
prolongé]
~ 38 ~
UNE OUVERTURE
À ton avis, vers quoi se dirige notre monde ? vers quels horizons ? Voudrais-tu
dire quelque chose pour clore notre rencontre ?
Nous vivons dans le cadre d'une civilisation de
surface. Si cette civilisation continue de penser comme elle pense et de faire
ce qu'elle fait, elle va inéluctablement vers le chaos. J'en suis profondément
persuadé. L'humanité se dirige vers sa propre implosion à grands pas. Il ne
faut pas se faire d'illusions là-dessus. Tant que les attitudes et les modes de
réflexion et d'action n'auront pas changé, on va vers le précipice. D'ailleurs
nous sommes déjà à son bord. Il faut être cosmiquement naïf et borné pour ne
pas voir, pour ne pas constater que rien n'a fonctionné dans ce monde. Aucun
système politique, économique et social n'a marché. De surcroît, la mentalité
de tant de gens est atrocement terrible. Ce qui intéresse maintenant les
peuples, c'est le sacro-saint "pouvoir d'achat". C'est tout
simplement aberrant. Que représente un tel "pouvoir" ? Tu approuves
ce terme, Irénée ?
Pour moi, ce terme est véhiculé par une
civilisation repliée sur elle même, une civilisation non éclairée et implosive.
Tellement de gens se déresponsabilisent, montrent du doigt les autres et
vendent leur âme pour ce prétendu "pouvoir" ! Tellement de gens en
réalité n'en arrivent qu'à atrophier et en définitive à détruire leur véritable
pouvoir personnel ... Le pire, c'est que ces gens se déconnectent de la Nature
d'une manière ou d'une autre et arrêtent de penser par eux-mêmes. En
conséquence, ils ne savent même plus ce que veut dire l'intuition et le
discernement. Si jamais ils connaissent la signification de ces deux forces,
ils ne savent plus ni à quelle fin, ni comment les utiliser.
Mais oui,
c'est ça le paradoxe ! Quand on regarde toutes ces réunions sur plateau, tous
les référendums, tous ces débats et toutes ces revendications, il n'y a qu'un
seul mot d'ordre qui revient en boucle et qui sonne "pouvoir
d'achat". C'est indigeste.
Tout cela relève en grande partie de la philosophie du profit. Dans le profit -
n'en déplaise aux économistes et autres figures politiques de référence - il
n'y a aucune éthique, aucune pensée qui élève. Je ne parle même pas de morale, car je n'aime pas
ce mot. Il ne peut en être autrement parce que le profit est
le fruit empoisonné d'un système économique cancéreux. Ce système
s'auto-détruit et notre civilisation avec. Elle n'est pas victime de ce
système, parce que c'est elle qui l'a conçu, l'a mis en place et c'est elle qui
ne veut pas s'en débarrasser par manque d'imagination.
[silence prolongé]
Je ne sais pas
si la solution serait dans l'art. Ce qui est certain, c'est que l'art est un
refuge à partir duquel on aura eu les possibilités et les moyens d'agir,
peut-être pour qu'au moins une partie de cette humanité terrestre s'éveille et
change sa manière d'être.
Cela dit, en ce qui me concerne, je tiens toutefois à préciser que je n'ai
jamais eu la prétention de transmettre des témoignages à l'humanité entière, oh
non. Tous ceux qui découvrent et apprécient ma peinture, y puisent ce qu'ils
ressentent au plus profond de ce qu'ils sont.
Tiens Irénée, un
rayon de soleil ! Le temps s'éclaircit pour de bon
Ainsi,
je contribue à ma façon
à construire quelque chose de vibrant
au travers de nos masques et de nos comportements consensuels
qui nous étouffent, quelque chose qui, tel un rayon de laser,
transperce toutes ces strates abyssales de notre mémoire,
quelque chose qui nous aide peut-être à repérer
les sources de notre drame.
Tout cela dans l'exercice d'une Conscience indéfinissable qui nous immerge
et qui nous dépasse extraordinairement pour que l'Homme
qui est tel qu'Il est, puisse aller de l'avant
..........................................
... vers l'Autre Rive ...
...
Michel, je te remercie de tout mon être pour cette ouverture
Je t'en prie
Je vous laisse tous les deux.
Harm, je te remercie de travailler
sur le portrait
de Michel Henricot
.
.
À l'exception de la photo avec raisins faite par Yohannes Theron pour la pièce de théâtre "Casanova" de Irénée Sikora, toutes les 44 photos présentées dans l'interview
avec Michel Henricot sur les pages FlorRaison en novembre 2013,
ont été réalisées par Harm Kuijers & Irénée Sikora
Nous allons apprécier les propositions de traduction
de cette interview dans sa version intégrale vers d'autres langues.
Tous Droits Réservés, All Rights Resereved
Irénée Sikora
Copyright, FlorRaison, Paris-Rotterdam, Novembre 2013
PEINTURE - L'interview avec Michel Henricot 22/11/2013